Texte intégral
L'Est Républicain : mercredi 1er avril 1998
Q – Neuf mois après votre entrée en fonction, qu'est-ce qui a changé dans la « maison justice » ?
– Beaucoup de choses, à commencer par l'arrêt des instructions dans les dossiers individuels. De plus, j'anticipe la réforme en cours, en me conformant à l'avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour la nomination des membres du Parquet. J'ai, par ailleurs, décidé d'annoncer uniquement les réformes que j'aurai les moyens d'appliquer. C'est la raison pour laquelle j'ai différé la question de l'appel en Cour d'assises, même si je suis d'accord sur le principe.
Q – Les relations entre la justice et le pouvoir politique ont-elles changé ?
– J'ai l'impression que les « parquetiers » sont satisfaits de ne plus avoir à souffrir d'interventions du pouvoir politique. C'est un changement considérable par rapport à la pratique de ces dernières années. Les procureurs savent aujourd'hui qu'ils sont libres de prendre leurs réquisitions dans le cadre, évidemment, des directives générales données par le ministre qui a toujours la légitimité de définir sa politique pénale.
Q – Est-ce que les procureurs seront toujours tenus de faire des rapports à la Chancellerie sur les affaires susceptibles d'intéresser le gouvernement ?
– Je dis clairement : ce n'est pas parce que le Garde des Sceaux n'intervient pas, qu'il ne doit pas être informé. Cette information est nécessaire et légitime. Elle doit être précise et régulière. Et il ne doit pas y avoir de tri.
Q – Si l'indépendance est une question de statut, c'est d'abord une question d'hommes. Allez-vous maintenir en place les procureurs qui ont fait preuve de « docilité » envers le pouvoir, qu'il soit de gauche ou de droite ?
– Je ne fais de procès d'intention à personne. A partir du moment où un nouveau système est en place, que les magistrats l'appliquent avec loyauté, je n'ai pas d'à priori.
Q – La lutte contre la délinquance financière est-elle toujours une priorité pour le gouvernement Jospin ?
– Plus que jamais et on s'en donne les moyens. La décision a été prise de créer des plates-formes financières Paris, Aix-Marseille et Lyon. J'ai demandé qu'il en soit ainsi dans d'autres régions. À terme, il y aura six à huit plates-formes de ce type en France.
Q – Plus précisément, de quoi seront-elles constituées ?
– Sur Paris, le projet de pool financier comprendra 250 personnes environ et sera en place avant la fin de l'année. Pour des raisons de place, elles quitteront le Palais de Justice pour un endroit qui n'a pas encore été choisi.
Par ailleurs, j'ai saisi mon collègue des Finances, le gouverneur de la Banque de France et la commission du contrôle des banques qui m'ont donné leur accord pour affecter des spécialistes financiers qui assisteront les juges. Je souhaite que de telles équipes soient mises en place en province aussi vite que possible.
Q – Qu'en sera-t-il de la responsabilité des magistrats. Continueront-ils à être notés ?
– En France, les juges ne sont pas élus. Ils rendent la Justice au nom du peuple français. Dans ce cas, il faut organiser la responsabilité de l'ensemble des magistrats. Sur le plan civil et pénal, il n'y a rien à changer. Mais il y a des progrès à faire concernant la responsabilité disciplinaire. Sa mise en oeuvre doit être plus régulière même si ces cas sont peu nombreux compte-tenu du travail extrêmement difficile accompli par les juges. L'ensemble du système a intérêt à ce que les cas de dérive soient sanctionnés. Les magistrats continueront à être notés par leur hiérarchie judiciaire. Ces appréciations sont utiles au CSM.
Q – Quelle est la position du gouvernement par rapport aux paradis fiscaux qui protègent l'argent de la corruption ?
– Je suis très sévère à ce sujet. J'ai posé récemment le problème à mon collègue espagnol et italien. Nous ne pouvons plus tolérer qu'existent des paradis fiscaux dans le cadre de l'Union européenne. Il en existe aussi aux confins de cet espace. L'efficacité de la lutte contre la délinquance financière réside dans l'établissement de règles notamment en ce qui concerne les contrôles fiscaux dans tous les pays européens.
Q – Ne regrettez-vous pas que les enquêtes sur les principales affaires politico-financières aient échoué en raison de l'existence des circuits internationaux ?
– Il faut utiliser toutes les ressources de la coopération judiciaire européenne et être exigeants avec le système judiciaire des pays qui sont candidats à l'Union européenne. Il ne faut pas que les différences dans les législations soient un obstacle à la coopération. En outre, il est nécessaire de faciliter les transmissions d'informations de juges à juges sur le plan européen. Mais ce que nous ne savons pas traiter, c'est la coopération à l'échelle internationale, même si des progrès ont été faits.
Q – Vous vous étiez pourtant engagée à développer cette coopération internationale ?
– Bien sûr. Mais en matière internationale, par définition on ne peut agir seul. On souffre d'un manque de visibilité en matière de coopération judiciaire. On ignore d'abord ce qui se fait déjà et l'on n'échange pas suffisamment les expériences. J'ai donc proposé à mes collègues de nous réunir régulièrement pour confronter nos expériences. Beaucoup ont donné leur accord à ce projet d'échanges dans le cadre de débats publics.
Q – Comment obtenir une meilleure harmonisation du travail des différentes administrations dans la lutte contre la corruption ?
– J'y travaille. Il faut que chacun accepte de sortir de son pré-carré… Ça se fera.
Q – La corruption est-elle, selon vous, une des causes de la montée du Front national ?
– Je n'ai cessé de le dire lors de la campagne des régionales en PACA. Dans ma région, si le FN est bien implanté, c'est parce que le chômage y est plus élevé et que la corruption y est plus intense qu'ailleurs, mis à part la région parisienne. Pour lutter contre le FN, outre le changement du mode de scrutin, il faut s'attaquer à la misère, au chômage et à la corruption. Car ces fléaux font partie des raisons pour lesquelles les électeurs se détournent des partis démocratiques.
Q – Pour être promus, les procureurs devront être proposés par le Garde des Sceaux. On est loin de la rupture promise ?
– Je change radicalement le mode de nomination des procureurs qui désormais sont tous, je dis bien tous, nommés par le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) et non plus par le Garde des Sceaux, y compris les procureurs généraux qui sont, dans le système actuel, nommés comme des préfets en Conseil des ministres. Il est vrai que, dans ma réforme, le Garde conserve le droit de proposer au CSM les nominations. Mais en aucun cas, le Garde ne pourra passer outre à un avis négatif de celui-ci. Un tel système existe déjà et fonctionne bien pour tous les magistrats du Siège, à la seule exception des conseillers à la Cour de cassation et des chefs de juridiction qui sont proposés par le CSM.
Q – Grâce à votre réforme, vous allez pouvoir intervenir dans le cours de la Justice. N'y a-t-il pas le risque d'exercice de pressions indirectes…
– Au contraire : tout le but de la réforme est de mettre un terme aux interventions dans les affaires individuelles qui ont, au fil des ans, dégradé la confiance dans la Justice. Aussi, la proposition de réforme introduit trois innovations radicales et porteuses d'un nouvel avenir pour la Justice. Il s'agira d'interdire les instructions du Garde dans les dossiers individuels ; d'accorder des garanties de nomination aux membres du Parquet comme jamais, dans l'histoire de la Justice, ils n'en ont bénéficié. Pour garantir l'égalité des citoyens, le Garde, au nom du gouvernement, prendra des directives générales et publiques fixant les objectifs de politique pénale applicables sur le territoire. Et si le Garde a un droit d'action auprès des tribunaux, c'est en toute transparence, par exemple pour déclencher l'action publique lorsqu'un classement sans suite paraît injustifiable, au regard des directives générales. Dans l'hypothèse où le Garde devrait intervenir en cours de procédure, de façon exceptionnelle, et dans des cas d'intérêt général, en tout état de cause, il ne pourrait le faire qu'après avis conforme d'une commission de magistrats placée auprès de la Cour de cassation.
C'est donc la fin des pratiques manipulatoires.
Q – Pourquoi avez-vous décidé de priver le juge d'instruction de la possibilité de placer en détention provisoire ?
– Dans une démocratie, il faut un double regard, surtout lorsqu'il s'agit de la liberté des personnes. C'est pourquoi je pense qu'il faut que les juges d'instruction se consacrent à leur tâche – établir la vérité – et qu'un autre juge décide de la mise en détention provisoire.
Q – À quand la fin des instructions judiciaires interminables ?
– Nous souhaitons fixer des délais aux instructions tout en augmentant les moyens donnés aux enquêteurs.
Q – En marge des affaires instruites par les juges Joly et N'Guyen, n'a-t-on pas assisté à certaines dérives ?
– Je ne commente pas les affaires en cours. L'information est nécessaire au fonctionnement de notre démocratie. Mais il faut veiller à éviter la justice-spectacle. Je compte beaucoup sur la responsabilité des uns et des autres. Je pense cependant qu'il faut que la loi interdise les images des personnes menottées et entravées. Ce n'est pas utile à la manifestation de la vérité et contraire à la dignité humaine.
Q – En juillet, le procureur de Beauvais a classé l'affaire Jean-François Mancel qui avait utilisé de l'argent public à des fins personnelles. Avez-vous été choquée par ce traitement de faveur ?
– Je n'ai pas d'appréciation particulière à porter sur ce dossier. Mais après la réforme, il faudra motiver les décisions de classement et les citoyens pourront faire un recours devant une commission spéciale créée à cet effet.
Q – Pourquoi avoir nommé trois juges d'instruction pour l'assassinat du préfet Erignac ?
– C'est la responsabilité du président du tribunal, qui a décidé que cet acte exceptionnellement grave rendait nécessaire l'intervention de trois juges. Le gouvernement entend faire respecter la loi. Dans le passé, les gouvernements ont beaucoup parlé et peu agi. Notre gouvernement veut au contraire obtenir que l'Etat de droit soit enfin respecté en Corse. C'est d'ailleurs le voeu profond de la grande majorité des Corses.
Q – Les Français peuvent-ils espérer un jour divorcer devant le maire ?
– J'ai souhaité poser la question de la réforme du divorce pour simplifier les procédures existantes. Je souhaite aussi que l'on étudie la possibilité d'offrir aux couples qui sont d'accord sur tout, de ne pas passer devant le juge. Mais je ne souhaite pas agir dans la précipitation et je n'envisage pas de réforme avant l'année prochaine.
Q – Les enquêteurs disposeront-ils d'un fichier des empreintes génétiques ?
– Oui, la loi est en voie d'être adoptée. Mais il faudra être vigilant sur les conditions dans lesquelles il sera utilisé, afin qu'il ne le soit pas à d'autres fins que celles prévues.
Q – Où en est la plainte pour diffamation déposée contre vous par Mme Tiberi ?
– J'ai été mise en examen. L'audience de jugement a été fixée (1). Toutefois, j'ai été avisée que Mme Tiberi avait décidé de retirer sa plainte.
Q – Vous avez été une des proches collaboratrices de François Mitterrand ? Quels souvenirs en gardez-vous ?
– Beaucoup de bons souvenirs notamment en ce qui concerne ses initiatives européennes. Un mauvais souvenir, celui des souffrances que lui occasionnait sa maladie.
Q – Que pensez-vous du traitement des affaires par la presse ?
– Une chose m'a véritablement choquée : la façon dont a été présentée à la télévision l'affaire du maire de Chablis.
Q – Vous avez rencontré Robert de Niro alors qu'il est témoin dans une affaire de proxénétisme. Avez-vous rencontré Roland Dumas ?
– Non. D'ailleurs, il ne me l'a pas demandé.
Q – Et si, il vous le demandait ?
– Si c'était en tant que président du Conseil constitutionnel, je ne vois pas pourquoi je refuserais.
RTL : mercredi 16 avril 1998
Votre réforme de la justice est accueillie par des critiques des professionnels de la justice : les plus aimables parlent de réforme inachevée. Vous avez conservé le pouvoir pour le Grade des Sceaux de proposer les nominations des procureurs. Est-ce pour pouvoir écarter les fortes têtes ?
– « Non. Il faut quand même voir que la réforme que j'ai proposée hier au Conseil des ministres, et qui a d'ailleurs été adoptée, - c'est une réforme constitutionnelle, la clé de voûte… Il y aura six autres textes qui passeront au Parlement en première lecture avant l'été. Cette réforme vise à quoi faire ? D'abord, à donner des garanties d'indépendance aux magistrats du Parquet, les procureurs. Aujourd'hui, les procureurs généraux près des cours d'appel, qui sont 35, sont nommés par décret en Conseil des ministres, comme des préfets. Désormais, tous les procureurs, les procureurs généraux, mais aussi les quelque 2 000 procureurs qui sont sur le territoire français, seront tous nommés par le Conseil supérieur de la magistrature, sur ma proposition, qui est une instance indépendante. Je proposerai les magistrats du Parquet, comme d'ailleurs je propose quelque chose comme la nomination de 4 500 magistrats du siège. Personne n'y trouve à redire, à partir du moment où c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui détient la clé de la nomination. Je peux proposer quelqu'un, – magistrats du Parquet ou la plupart des magistrats du siège ; la très grande majorité, 4 500 sur 6 000 et quelques – mais c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui décide, qui détient la clé des nominations, c'est-à-dire qu'il ne pourra plus y avoir comme par le passe de nominations partisanes des procureurs. C'est fini. C'est un changement considérable, un changement de très grande ampleur, peut-être même un changement historique. De surcroît, ce n'est plus le Garde des Sceaux qui prendra les sanctions disciplinaires vis-à-vis des procureurs, comme c'est le cas aujourd'hui : ce sera à nouveau le Conseil supérieur de la magistrature. Donc, ce sont deux garanties fondamentales. »
Dans votre réforme, vous prévoyez également que le Garde des Sceaux aura la possibilité de disposer d'un droit d'action, c'est-à-dire d'intervenir ouvertement dans les dossiers individuels. La France serait quand même le seul pays d'Europe où un membre du Gouvernement disposera de ce pouvoir.
– « Non. Ce qu'il faut voir, c'est que la réforme, il ne faut pas la dénaturer ou la caricaturer. La réforme que je fais, elle consiste à dire “On donne des garanties d'indépendance aux magistrats du Parquet” – les magistrats du siège sont déjà indépendants, ils sont inamovibles – “à travers les nominations et la carrière aux magistrats du Parquet” : c'est la réforme du Conseil supérieur de la magistrature que j'ai proposé hier. Et puis, il n'est plus question que le Garde des Sceaux donne des instructions dans les dossiers individuels : je supprime l'article 36 du Code de procédure pénale qui aujourd'hui donne l'autorisation au Garde des Sceaux d'intervenir dans toutes les procédures. Je dis que comme il faut bien entendu que l'Etat ait une politique pénale, ne serait-ce que pour assurer qu'on ne soit pas traité différemment selon qu'on habite à Quimper où à Avignon, il est nécessaire d'avoir une unité des politiques menées par les procureurs, parce que la grande différence entre les procureurs et les magistrats du siège, c'est que les procureurs décident ou non de poursuivre. »
Pourquoi ne pas abolir cette possibilité et dire qu'ils doivent poursuivre systématiquement ?
– « Parce qu'à ce moment-là nous entrons dans un système tout à fait différent, qui est celui de la légalité des poursuites, qui n'est d'ailleurs pratiqué dans aucun des pays d'Europe l'état pur. Je crois qu'il faut laisser cette possibilité de choix. Mais à ce moment-là, il faut qu'il y ait une politique du Gouvernement. Elle s'exercera par des instructions générales applicables sur l'ensemble du territoire, ce qui garantira l'égalité de tous devant la justice. Je pense aussi qu'il faut que les citoyens puissent avoir des droits de recours. Ils ont le droit de savoir pourquoi un procureur classe sans suites. Donc, il y aura des commissions de recours. Je pense aussi que les citoyens ont le droit de présenter des réclamations lorsqu'ils estiment qu'ils ne sont pas convenablement traités sans déstabiliser les juges. Alors, il est vrai que la question se pose de savoir si ces instructions générales applicables partout suffiront à garantir le fait que la loi sera convenablement interprétée partout. Il peut y avoir des dysfonctionnements. S'il y a dysfonctionnements, et seulement dans ce cas-là, peut-être sera-t-il utile – c'est un point qui reste en discussion – en effet que le Garde des Sceaux puisse avoir la possibilité d'engager l'action publique, c'est-à-dire de demander à un procureur qui n'aurait pas engagé l'action publique alors qu'il aurait dû le faire, notamment lorsqu'il n'y a pas de parties civiles, tout simplement pour que la justice puisse être rendue, que la justice puisse se faire.
Mais en aucun cas, il ne peut s'agir pour le Garde des Sceaux de remplacer des instructions individuelles par une nouvelle procédure. Il n'en est pas question. Donc, il est vrai que ce que je suis en train de faire, c'est de retravailler les textes sur la base de la concertation très large à laquelle j'ai procédé et qui a donné lieu à ces remarques et critiques dont je tiendrai compte de toute façon, mais je tiendrai le cap politique qui est celui que je viens de vous dire. Mais il est important de faire en sorte que les textes traduisent bien dans le détail le cap politique qui est le mien : je ne veux pas que les textes puissent être interprétés de façon différente, par exemple qu'un autre Garde des Sceaux puisse les interpréter et utiliser ce droit qui ne peut être qu'exceptionnel et s'exercer en toute transparence et engager la responsabilité du ministre, de la même façon qu'on utilisait les instructions individuelles. Ce ne sera pas le cas. »
II n'en demeure pas moins vrai que les magistrats ne sont pas contents. Ils trouvent votre réforme incomplète ; certains d'entre eux ont déposé un préavis de grève pour le 5 mai. Y aura-t-il un syndrome Allègre avec E. Guigou, des bagarres avec des syndicats de magistrats ?
– « Non. Ce que je dis, c'est que nous avons besoin pour restaurer la confiance dans notre justice d'une réforme de grande ampleur. Je sais depuis le début que dans notre pays en particulier, on ne peut pas faire de réforme de grande ampleur sans déranger des habitudes. Par conséquent, c'est à peu près inévitable que ça suscite des réactions et des remous. Là s'ajoute un autre facteur : en plus, on légifère dans des champs de pouvoir déjà difficiles à réformer. C'est encore plus compliqué. Il faut tenir un équilibre : il faut qu'il y ait l'indépendance des magistrats du Parquet, qu'on ne puisse plus manipuler la justice, et ils ont des garanties pour cela. Deuxièmement, on ne peut pas désarmer l'Etat, parce que l'Etat est garant de l'égalité de tous sur le territoire. Troisièmement, il faut qu'il y ait une responsabilité des juges, c'est-à-dire un droit de regard extérieur. C'est pour cela qu'hier le projet que je présente a modifié la composition du Conseil supérieur de la magistrature pour qu'il y ait une majorité de non-magistrats, que le Conseil supérieur de la magistrature représente la nation tout entière, et pas simplement un corps professionnel et qu'il puisse y avoir des recours de citoyens. Cet équilibre-là, qui déplace évidemment les lignes, il va falloir pouvoir l'assurer. En aucun cas, le Garde des Sceaux n'interviendra et ne manipulera les dossiers individuels. C'est fini. »
Il y a eu des nominations dans les domaines administratif et policier en Corse hier. Il est également question que des créations de poste agent lieu dans le domaine de la justice pour suivre les affaires financières. Vous nous le confirmez ?
– « Oui. Je souhaite permettre aux deux procureurs de Bastia et d'Ajaccio de pouvoir voir leur équipe confortée par des spécialistes. Ça va se faire. Vous voyez dans quoi est engagé le Gouvernement : faire respecter la loi, arrêter cette complaisance qui s'était développée au fil des années... »
Quand M. Bonnet déterre chaque jour une affaire, on peut se demander pourquoi depuis des années...
– « La loi n'était pas appliquée en Corse. Le Gouvernement et le Président de la République, lorsqu'il est allé à Ajaccio, lorsque nous sommes allés rendre hommage au préfet Erignac, s'est engagé à ce que désormais la loi soit appliquée. C'est aussi simple que ça ! »
Pourrait-il y avoir des responsabilités judiciaires au niveau administratif ?
– « De toute façon, nous n'allons pas faire de différences. S'il y a des fonctionnaires qui ont violé la loi, ils seront, comme sur le continent, poursuivis à ce titre. »
La délinquance juvénile : Libération publie ce matin un extrait du rapport parlementaire qui sera remis cet après-midi à L. Jospin qui dit qu'il faut appliqués la loi plutôt que d'en prévoir une autre, notamment la responsabilité pénale des parents lorsqu'ils manquent à leur devoir d'éducation.
– « Oui. Je crois qu'il faut responsabiliser les parents. On voit bien que tous ces enfants qui dérivent, c'est parce qu'ils ont des structures familiales qui sont complètement décomposées, soit que le père n'est plus là, ou bien la mère non plus, ou bien est complètement débordée. Ce sont des enfants qui n'ont plus aucun repère. Ceci dit, je me méfie des solutions-miracles. Je crois que face à ce phénomène très grave de la délinquance juvénile – il y a des jeunes de plus en plus jeunes qui commettent des actes de plus en plus graves, il y a des enfants qui depuis des années ne vont plus à l'école, des enfants de 10-12 ans. Il faut se garder de dire, de se réfugier dans l'idée qu'il puisse y avoir une solution – l'abaissement de la majorité pénale, mettre en prison tous les parents. À quoi cela servirait-il ? On irait à l'encontre de l'objectif recherché qui est justement de faire en sorte que les parents s'occupent de leurs enfants. Il existe d'ailleurs certains parquets où on donne aux parents des amendes pour leur dire "Quand même, quand les enfants dégradent des bâtiments publics...", pourquoi pas. Mais il faut laisser cela à l'appréciation du juge, c'est-à-dire à l'appréciation de celui qui peut apprécier la situation individuelle.
Surtout, ce qu'il faut essayer de faire, c'est une prise en charge beaucoup plus précoce, et de ces enfants et de ces familles à problèmes : il faut les détecter, il faut qu'à chaque stade, tous les pouvoirs publics exercent leurs responsabilités. Il ne faut plus systématiquement exclure ces enfants de l'école. Il faut les mettre dans des classes-relais, parce que c'est vrai qu'ils perturbent les classes habituelles. Mais on ne peut pas les éjecter purement et simplement du système scolaire, parce qu'à ce moment-là, ils se retrouvent dans la rue, et souvent pendant des années. Ce que je trouve intéressant – je n'ai pas lu le rapport encore, comme idée, c'est par exemple d'essayer au fond de mieux coordonner, que les interventions des pouvoirs publics soient à la fois plus précoces et mieux coordonnées sur le terrain, pour qu'on ait une prise en charge effective, qu'on essaie de prévenir. Et puis, lorsqu'il y a une délinquance répétitive, à ce moment-là, oui, en effet, il faut des sanctions, y compris en convoquant tout de suite l'enfant avec ses parents – ça se fait dans une dizaine de parquets en France, il va falloir le généraliser – et qu'on confronte les délinquants avec leurs victimes. À ce moment-là, on a des mises en responsabilité totales. C'est un phénomène complexe, une délinquance qui relève de la crise sociale. Donc, méfions-nous des uniques solutions-miracles. »