La directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs est destinée à rendre la protection des consommateurs effective. Elle pose un double principe :
- l'instauration d'un régime juridique d'action de groupe pour chaque État membre, en cohérence avec son droit interne ;
- la possibilité pour les consommateurs de chaque État membre de participer à une action de groupe à l'échelle européenne.
La directive de 2020 désigne l'action de groupe par les termes "action représentative" : "Une action visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs qui est intentée par une entité qualifiée en tant que partie demanderesse pour le compte de consommateurs en vue de demander une mesure de cessation, une mesure de réparation, ou les deux."
Le texte prévoit des garanties appropriées pour éviter les recours abusifs et la judiciarisation du droit des consommateurs.
La directive distingue :
- l'action représentative nationale, intentée par une entité qualifiée dans l’État membre dans lequel ladite entité qualifiée a été désignée ;
- l'action représentative transfrontière, intentée par une entité qualifiée dans un État membre autre que celui dans lequel l’entité qualifiée a été désignée.
Un très large champ d'application est proposé : 66 actes européens sont énumérés dans l'annexe I de la directive (qui couvrent divers domaines : services financiers, réseaux et services de communications électroniques, voyages aériens, assurances, santé…).
La directive précise qu'elle "ne devrait pas remplacer les mécanismes procéduraux nationaux existants visant à protéger les intérêts collectifs ou individuels des consommateurs. Compte tenu des traditions juridiques des États membres, elle devrait laisser ceux-ci libres de concevoir le mécanisme procédural des actions représentatives […] comme faisant partie d’un mécanisme procédural existant ou nouveau pour obtenir des mesures de cessation ou des mesures de réparation collectives, ou comme un mécanisme procédural distinct, à condition qu’au moins un mécanisme procédural national pour les actions représentatives soit conforme à la présente directive".
Selon la directive de 2020, seules des entités qualifiées peuvent effectuer un recours en justice, afin d'éviter des recours abusifs. Les entités qualifiées sont ainsi définies : "Toute organisation ou tout organisme public représentant les intérêts des consommateurs qui a été désigné par un État membre comme étant qualifié pour intenter des actions représentatives […]". Les critères d'habilitation dépendent selon le type d'action, afin de garantir :
- transparence ;
- indépendance ;
- absence de conflits d'intérêts.
La directive cite les organisations de consommateurs, qui "devraient toutes être considérées comme bien placées pour demander le statut d’entité qualifiée conformément au droit national" ou encore les organismes publics, en fonction des traditions juridiques nationales, qui "pourraient aussi jouer un rôle actif pour ce qui est de veiller au respect des dispositions pertinentes du droit de l’Union en intentant des actions représentatives".
Le contrôle est moins étroit pour les actions de caractère national, et la constitution d'entités pour une action spécifique est autorisée.
Dans le cadre d'actions représentatives transfrontières, une entité ayant présenté auprès d'un État membre une demande de désignation doit satisfaire aux critères suivants :
- être constituée conformément au droit national de l'État membre de sa désignation ;
- démontrer 12 mois d'activité publique réelle dans la protection des intérêts des consommateurs ;
- démontrer dans son statut qu'elle a un intérêt légitime dans la protection des intérêts des consommateurs ;
- poursuivre un but non lucratif ;
- ne pas faire l'objet d'une procédure d'insolvabilité et ne pas être insolvable ;
- être indépendante et ne pas être influencée par des personnes autres que des consommateurs, en particulier par des professionnels, qui ont un intérêt économique dans l’introduction d’une quelconque action représentative ;
- mettre à la disposition du public, en des termes clairs et compréhensibles, des informations démontrant qu'elle satisfait aux critères précédents.
L'action transfrontière à l'échelle européenne requiert la reconnaissance, par chaque État membre, d'une entité qualifiée, désignée sur des critères d'indépendance et de transparence.
L'action de groupe transfrontières est intentée par une entité qualifiée dans un État membre autre que celui dans lequel l’entité qualifiée a été désignée.
La directive de 2020 dispose que, dans le cadre de l'introduction d'actions représentatives transfrontières, chaque État membre :
- veille à ce que les entités qualifiées désignées à l’avance dans un autre État membre aux fins d’intenter des actions représentatives transfrontières puissent intenter ces actions représentatives devant leurs juridictions ou autorités administratives ;
- veille, lorsque l’infraction lèse ou est susceptible de léser les consommateurs dans différents États membres, à ce que l’action représentative puisse être intentée devant la juridiction ou l’autorité administrative d’un État membre par plusieurs entités qualifiées de différents États membres afin de protéger les intérêts collectifs des consommateurs dans différents États membres ;
- communique à la Commission une liste des entités qualifiées qu’il a désignées à l’avance aux fins d’intenter des actions représentatives transfrontières. Cette liste est acceptée par les juridictions et les autorités administratives comme preuve de la qualité pour agir de l’entité qualifiée en vue d’intenter une action représentative transfrontière, sans préjudice du droit de la juridiction ou de l’autorité administrative saisie d’examiner si l’objet statutaire de l’entité qualifiée justifie qu’elle introduise une action dans une affaire déterminée.
Le législateur européen a choisi les termes d'"action représentative" dans la directive afin de mettre davantage l'accent sur le droit du consommateur que sur celui des entités qui le représentent. Cela permet, selon un rapport de l'Assemblée nationale, d'éviter toute confusion avec la class action du système américain.
Lorsque les actions de groupe européennes ont été mises en place, la majorité des États membres ont fait preuve d'inquiétudes quant aux class actions et aux "dérives associées à la jungle libérale d’un marché américain dérégulé".
La class action américaine se distingue de l'action représentative européenne par la possibilité de demander, en plus des dommages et intérêts compensatoires, des dommages et intérêts punitifs. Ces derniers ont une valeur d'exemplarité : des montants supplémentaires sont demandés à l'entreprise mise en cause afin de sanctionner une conduite scandaleuse et dissuader d'autres entreprises de pratiques similaires. Dans les actions de groupe françaises ou européennes, le consommateur est restauré dans la situation dans laquelle il était avant le manquement.
La class action américaine présente certains avantages selon le rapport de l'Assemblée nationale :
- efficacité en termes de coût et de temps, permise par la possibilité d'agrégation des affaires dans une seule procédure ;
- égalité d'accès à la justice et du droit à la compensation en rééquilibrant le rapport de forces entre les parties.
Mais elle présente aussi des défauts, qui peuvent entre autres biaiser l'intérêt de l'action en justice :
- les dommages et intérêts punitifs peuvent inciter les associations à mener des actions de groupe dans des perspectives anticoncurrentielles ou lucratives, voire à augmenter artificiellement leurs demandes ;
- le système de rémunération des avocats, qui perçoivent un pourcentage des dommages et intérêts, peut les inciter à démarcher des victimes dans le seul but d'obtenir une compensation confortable ;
- elle peut être très longue, du fait du processus de sélection des membres du groupe et de l'évaluation des preuves ;
- elle peut avoir un effet financier démesuré sur les entreprises et nuire à leur capacité de financement et d'innovation.
L'action de groupe est introduite en France par la loi relative à la consommation, dite loi Hamon, du 17 mars 2014, qui la définit ainsi : une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée peut agir devant une juridiction civile afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d'un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles :
- à l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ;
- lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du code de commerce ou du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Elle permet de rééquilibrer le rapport de forces entre professionnels et consommateurs.
L'action de groupe est étendue par la suite à d'autres domaines du droit :
- la santé (loi de modernisation du système de santé, 2016) ;
- l'environnement, la protection des données personnelles et les discriminations au travail (loi de modernisation de la justice, 2016) ;
- l'immobilier (loi sur le logement, 2018).
Deux personnes au moins doivent estimer avoir subi un préjudice résultant du même manquement professionnel. Les plaignants peuvent ainsi se défendre avec un seul dossier et un seul avocat. Ils doivent obligatoirement avoir recours à un syndicat ou une association agréée dont l'objet statutaire porte sur les intérêts défendus (Qu'est-ce que l'action de groupe ?).
Toutefois, selon une mission flash menée en 2020, le bilan des actions de groupe en France n'est guère probant : seules 21 actions de groupe ont été intentées depuis 2014, dont 14 dans le domaine de la consommation. Aucune entreprise n'a encore vu sa responsabilité engagée : "Ainsi, l'action de groupe n'a-t-elle pas été à l'origine d'avancées significatives dans la défense des consommateurs."
Les raisons sont connues :
- une qualité pour agir trop restreinte (sur les 15 associations de consommateurs agréées, seules cinq d'entre elles ont mené des actions de groupe) ;
- une procédure trop longue (dont une phase de mise en demeure "jugée inutilement chronophage") ;
- une absence de financement (dans un contexte de baisse des subventions publiques aux associations de consommation).
La France était tenue de transposer en droit interne toutes les dispositions de la directive européenne de 2020 au plus tard le 25 décembre 2022. Au 1er mars 2023, seuls trois États membres de l'UE avaient effectué cette transposition :
- la Hongrie ;
- la Lituanie ;
- les Pays-Bas.
La France, ainsi que 24 autres États membres, a donc reçu une mise en demeure pour défaut de transposition. Même si le droit français est en conformité avec la plupart des dispositions européennes, l'action de groupe transfrontière n'existe pas.
Une proposition de loi relative au régime juridique de l'action de groupe déposée le 15 décembre 2022 tirait à l'origine seulement les conséquences du constat dressé par la mission flash de 2020 (le rapport de février 2023 sur la proposition de loi décompte 32 actions de groupe depuis 2014, dont 20 dans le domaine de la consommation) :
- refondre le régime juridique de l'action de groupe ;
- mettre en place une action de groupe universelle ;
- limiter la durée des procédures ;
- assurer un financement pour faciliter les recours.
Les rapporteurs ont toutefois tenu compte de l'avis sur une proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, rendu par le Conseil d'État, qui faisait suite à sa saisine. Les dispositions de transposition de l'action de groupe qui n'y figuraient pas ont été intégrées par des amendements (entre autres l'action de groupe transfrontière).