Mémorandum français sur les sanctions aux violations du droit communautaire et son application effective, Paris le 20 décembre 1994.

Prononcé le

Auteur(s) moral(aux) : Ministère des Affaires étrangères

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Texte intégral

La mise en place du Marché unique a nécessité l'adoption entre 1985 et 1993 de près de 300 directives communautaires dont la transposition en droit interne sera prochainement achevée dans tous les Etats membres. Ce corpus législatif et réglementaire complété par d'autres directives et règlements dans d'autres domaines (environnement, domaine financier, visas...), constitue désormais le cadre d'exercice de nombreuses activités économiques à travers toute l'Union européenne et son application conditionne très largement le bon fonctionnement du Marché unique, l'homogénéité des conditions de concurrence et la fluidité des échanges. La sécurité et la protection de la santé des consommateurs sont aussi fonction d'une application homogène et cohérente des textes européens.
- C'est pourquoi il conviendrait aujourd'hui de s'assurer qu'une fois entrées en vigueur, la législation européenne d'application directe et la législation nationale dérivée des textes communautaires reçoivent une application effective et comparable dans les différents Etats membres.
- Il apparaît cpendant que rares sont les directives communautaires qui prévoient des dispositions sanctionnant leur violation (on peut, par exemple, citer pour mémoire le Règlement no 3665-87 du 27 novembre 1987 relatif au régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, ou le règlement no 3887-92 du 23 décembre 1992 sur le système de gestion et de contrôle de certains des régimes d'aides communautaires dans le domaine européen). En l'absence de telles dispositions, les sanctions applicables relèvent de la seule responsabilité des Etats membres dans le respect des principes généraux dégagés par la CJCE. Ceci ne suffit pas toujours à éviter des disparités importantes des niveaux ou de la nature des sanctions. Il y a donc là une source potentielle de distorsions de concurrence et d'inégalité entre les citoyens et entre les opérateurs économiques.
- La Commission et les Etats membres ont déjà pris conscience du problème dans le domaine plus spécifique de la protection des intérêts financiers de la Communauté et de la lutte contre la fraude. Le projet de règlement et le projet de convention actuellement sur la table du Conseil visent à définir des principes généraux et une certaine équivalence des niveaux de sanctions.
- Dans le même esprit, et en tenant compte des différences de nature et d'objet des textes communautaires, cette approche pourrait être étendue aux sanctions de la violation des textes communautaires en général et, en particulier, de ceux concernant le Marché unique. Il ne s'agirait pas d'élaborer de nouveaux textes généraux sur les sanctions mais d'arrêter au niveau politique les principes applicables qui lieraient la Commission et le Conseil pour l'édition de nouveaux textes communautaires ou pour la modification des textes existants.
- Enfin, cette réflexion sur les sanctions devrait être complétée par des enquêtes et des actions concrètes de coopération administrative dans les secteurs essentiels au bon fonctionnement du Marché unique, afin de promouvoir une application effective du droit communautaire par les autorités de contrôle.
1. L'édiction et la mise en place de sanctions en cas de violation des règles communautaires.
- 1.1 Le constat :
- La disparité de niveaux de sanctions nationales entre les différents Etats membres :
- Ces disparités devraient faire l'objet d'une étude de la part de la Commission, en liaison avec les opérateurs économiques. Des exemples peuvent d'ores et déjà être cités. Ainsi, la directive 80-778-CEE relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, qui ne prévoit pas explicitement de sanctions, a donné lieu à une application très différente selon les Etats (certains ont adopté des sanctions lourdes, d'autres aucune). De même, la directive 91-308-CEE relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, qui impose aux Etats membres de déterminer les sanctions à appliquer en cas d'infraction aux dispositions arrêtées par le texte, a été transposée de manière disparate avec un éventail très large de sanctions administratives ou-et pénales (depuis l'absence de sanctions jusqu'à des peines d'emprisonnement de 20 ans).
- L'opacité des sanctions nationales : les législations nationales n'étant pas toutes codifiées, il est difficile d'avoir une vision synthétique des dispositifs nationaux de sanctions retenus. Les opérateurs économiques ont certes accès au Journal officiel des Communautés européennes dans lequel les textes communautaires sont publiés, mais il leur est peu aisé de savoir quel type de sanctions les Etats membres ont adopté en vertu des directives.
- 1.2 Ce constat s'explique par
- l'insertion des sanctions dans l'organisation institutionnelle et administrative des Etats membres. Au sein de l'Union européenne, certains Etats sont à structure fédérale, d'autres à structure centralisée. Dans les Etats membres fédéraux, les échelons sub-fédéraux sont responsables de l'édiction des sanctions et des règles dans certains domaines. Dans tous les Etats-membres, fédéraux ou centralisés, les administrations décentralisées jouent, la plupart du temps, un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des règles communautaires. Les autorités centrales sont donc souvent dans l'ignorance des pratiques, et parfois des normes, en vigueur en matière de sanctions (des opérateurs économiques ont cité des directives sur l'interdiction des hormones ou portant sur l'eau potable).
- L'insertion des sanctions dans la culture juridique nationale : une inadaptation des normes et des sanctions envisagées par les textes communautaires à la tradition juridique des Etats est de nature à créer de grandes disparités dans la manière d'organiser le dispositif de sanctions des violations (ainsi dans le domaine des marchés publics, où les directives prévoient un système de recours contentieux alors que certains systèmes juridiques nationaux ne connaissent que l'arbitrage).
- L'insertion des sanctions dans le dispositif juridique national : les modalités de transposition des textes communautaires, dont la qualité de rédaction est parfois critiquable, sont souvent une source de confusions. Il y a rarement l'élaboration d'un outil juridique cohérent et complet, comprenant également les sanctions, qui soit aisément accessible aux citoyens.
- Cette élaboration est particulièrement difficile quand il s'agit de définir les sanctions aux violations d'un règlement qui est directement applicable et n'a pas à être transposé en tant que tel. De plus, les conflits entre les dispositions communautaires et les règles nationales existantes ne sont pas toujours réglés.
1.3 Propositions envisageables :
- Le choix de la sanction :
- a) Il conviendrait de prévoir, quand cela est nécessaire, l'insertion dans les nouveaux textes communautaires (directives ou règlements) d'une clause obligatoire sur les sanctions et d'une obligation de transparence des sanctions. Cette démarche devrait être également adoptée pour les textes communautaires existants.
- La clause "standard" prévoirait l'obligation de prendre des sanctions à appliquer en cas d'infraction aux dispositions du texte et celles-ci devraient avoir un caractère effectif, proportionné et dissuasif. Par ailleurs, les Etats membres seraient tenus d'informer de façon précise la Commission des sanctions applicables en cas de violation du texte considéré.
- b) Selon les textes concernés, il faudrait également envisager :
- soit l'indication dans le corps du texte communautaire ou pris en vertu du 3ème pilier, d'orientations générales sur le type de sanctions à prendre ou sur les effets qu'elles doivent produire (à l'instar du règlement sur la contrefaçon qui dispose que les mesures à prendre par les Etats doivent avoir pour effet de priver effectivement les personnes concernées du profit économique de l'opération).
- Soit la définition de la sanction (indication sur la nature et-ou le niveau) dans le texte communautaire ou pris en vertu du 3ème pilier (à cet égard, des précédents existent tels le règlement 4064-89 du Conseil du 21 décembre dans le domaine de la concurrence en ses articles 14 et 15, ou le règlement no 3665-87 de la Commission portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles en son article 33 ou encore le règlement no 3975-87 du Conseil déterminant les modalités d'application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens en son article 12).
c) L'édiction d'une "clause standard", de même que les orientations générales sur le type de sanctions à prendre, conduit à confier aux Etats la responsabilité du choix de la qualification (administrative ou pénale) de la sanction.
- La situation est différente dans l'hypothèse où le texte communautaire ou pris en vertu du 3ème pilier comporterait une définition de la sanction à adopter.
- Dans le cadre du premier pilier, une définition de la sanction ne porterait que sur des sanctions administratives. En revanche, pour tout éventuel rapporchement des sanctions pénales, il conviendra de recourir au titre VI du traité sur l'Union européenne, c'est-à-dire aux dispositions sur la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, à l'instar des travaux engagés sur la protection des intérêts financiers de la Communauté.
- L'information sur les sanctions :
- Les sanctions applicables par les Etats membres devraient être connues des autres Etats membres, des partenaires économiques et des citoyens. Elles devraient donc être communiquées à la Commission qui en assurerait la publication au JOCE. Des campagnes de sensibilisation sur ce thème pourraient être organisées par la Commission. Toute modification ultérieure de ces sanctions devraient être également notifiée, pour information, à la Commission.
- Sans préjuger des options qui seront retenues sur la base de ces propositions, l'engagement des institutions communautaires et des Etats membres à instaurer un dispositif homogène et d'efficacité équivalente dans l'Union de sanctions aux violations du droit communautaire pourrait prendre la forme soit d'une résolution du Conseil Marché intérieur soit d'orientations inscrites dans les conclusions du Conseil Européen de juin 1995.
2. L'application du droit communautaire et des sanctions.
- La réflexion sur les modifications à proposer pour que le système de sanctions soit à la fois plus homogène et plus efficace au sein de l'Union n'épuise pas la question de l'application effective du droit communautaire.
- 2.1 Le constat :
- Outre l'engagement parfois insuffisant des Etats membres à faire respecter les dispositifs de sanctions, la mauvaise application des textes peut provenir de plusieurs causes :
- La disparité des méthodologies de contrôle retenues par les Etats : les méthodes d'analyse permettant d'identifier la violation des règles communautaires sont très différentes selon les Etats et cette disparité entraîne une application différenciée et inégale des sanctions (exemple des directives sur les hormones).
- La disparité et le niveau des moyens pour faire respecter les règles : le décalage est fréquent entre la rigueur des sanctions prévues par les Etats et l'insuffisance des moyens financiers, techniques et humains pour effectuer le constat des infractions et recourir aux sanctions. De ce fait, les sanctions ne sont pas toujours mises en oeuvre (exemple de la directive sur les prescriptions minimales dans le domaine de la santé et la sécurité).
- La concentration des travaux de la Commission sur les problèmes de législation et de transposition formelle plus que sur les problèmes d'application effective.
- 2.2 Propositions :
- Propositions générales.
- Il faudrait envisager, quand cela est nécessaire, l'insertion d'une clause standard dans les règlements et directives prévoyant une obligation de moyens engageant les Etats-membres à mettre en place les dispositifs nécessaires à l'application effective des normes et des sanctions.
- La coopération administrative entre les Etats-membres en matière de contrôle doit être renforcée dans les domaines où elle est peu développée. Une obligation de coopérer devrait même être envisagée dans certains secteurs, afin de doter les Etats-membres de moyens nécessaires à une application cohérente, homogène et rapide des régies communautaires.
Secteurs prioritaires :
- La gestion de la frontière externe du Marché unique constitue un domaine privilégié d'application : La Communauté dispose d'une législation douanière très poussée, qui comprend des dispositions en matière de sanctions. Par ailleurs, la coopération administrative entre les douanes nationales est bien amorcée.
- Il reste que les méthodes de contrôle des autorités douanières sont encore trop disparates, que la question de l'homogénéité du niveau des contrôles des marchandises quel que soit le point d'entrée dans l'Union est posée et que les possibilités de coopération entre les administrations nationales (échanges de fonctionnaires et d'information, utilisation d'infrastructures et d'équipement) ne sont pas toutes suffisamment exploitées.
- Par ailleurs, certains opérateurs économiques souhaitent, dans certains domaines, des actions communes des autorités douanières nationales, par exemple, pour mieux lutter contre la contrefaçon, l'utilité de la création de corps de contrôle spécialisés étant à étudier. Enfin, il est parfois indispensable, notamment dans le cadre de la réglementation agricole et sanitaire, de mettre en place les structures adaptées pour collaborer avec les autorités des pays tiers et assurer les contrôles nécessaires.
- La Commission a dessiné les premiers axes d'un programme "Douane 2000" qui pourrait, dans le cadre du premier pilier, servir de base à la réflexion du Conseil sur ce domaine essentiel. Dans cette perspective, elle devrait proposer aux Etats-membres l'adoption d'un règlement. La Présidence française veillera à préparer la position commune sur ce règlement, afin de donner un contenu concret à la coopération administrative en ce domaine.
D'autres secteurs sont également essentiels au bon fonctionnement du Marché intérieur en constituent un autre.
- Il y a des domaines ou des secteurs pour lesquels la vérification d'une application effective du droit communautaire est nécessaire pour garantir l'égalité de concurrence entre les entreprises et la protection de la santé et de la sécurité des personnes : c'est le cas des marchés publics ou de la législation en matière d'environnement, par exemple.
- Il serait ainsi nécessaire d'identifier ces domaines et secteurs, en fonction de leur importance économique et des problèmes d'application de la législation communautaire.
- Une analyse approfondie des causes de la non application au droit serait alors menée. L'identification des raisons de la mauvaise application du droit permettrait alors de faire des propositions pour y remédier.
- Un tel exercice pourrait être mené par la Commission, assistée par un groupe de haut niveau (éventuellement grâce au renforcement du Comité consultatif Marché intérieur) qui participerait à l'élaboration de solutions concrètes, dans la mesure où elle dispose des plaintes des opérateurs et peut avoir une appréhension globale des problèmes.
- Cette demande ne devrait pas empêcher les Etats membres de faire des suggestions sur les secteurs dans lesquels des difficultés particulières et pénalisantes leur sont connues.
- L'objectif final est d'assurer des droits identiques aux citoyens de l'Union qui, soumis à des normes communes, doivent s'attendre à les voir appliquées de façon équivalente. A cet égard, il convient de poursuivre les efforts visant à instituer à terme un espace judiciaire européen, garantissant aux citoyens les mêmes droits fondamentaux vis-à-vis des systèmes juridictionnels, offrant les mêmes garanties de procédure, de transparence des procédures administratives et pénales, d'accès à la justice, et instituant des procédures de coopération judiciaire et administrative en explorant toutes les voies d'échanges d'expérience et de rapprochement. La crédibilité de l'ordre juridique communautaire et du Marché unique requiert un progrès constant en ces domaines.
- L'identification des problèmes et les solutions proposées devraient être entérinées, si possible, par le Conseil européen sous présidence française (juin 1995) ou, à défaut, avant la fin de l'année 1995.