Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur les enjeux de la décentralisation pour la Corse en matière de développement économique et de dialogue social, Bastia le 25 octobre 2002.

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Circonstance : Réunion des assises des libertés locales en Corse, table-ronde sur le développement économique et social, à Bastia le 25 octobre 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Présidents ,
Mesdames et Messieurs ,
Nous sommes rassemblés aujourd'hui pour la première table ronde de ces assises des libertés locales de Corse .Son objet est primordial pour l'avenir, puisque nous allons discuter de développement économique. Je suis heureux également que soit enfin abordée la question du dialogue social, qui revêt aujourd'hui une importance toute particulière. Les deux sujets sont en effet indissociables, ensemble ils conditionnent le progrès en Corse. La société corse a tout autant besoin de progrès économique que de dialogue entre ses acteurs. Je dis d'emblée qu'elle a aussi, bien évidemment besoin de paix et de sécurité. Négliger cet aspect des choses serait parfaitement hypocrite. Tout doit être mis en uvre pour que le développement économique et le dialogue social soient l'avenir de la Corse, et non pas la dérive vers la violence. D'où l'importance toute particulière de cette table ronde .
Vous le savez, le gouvernement a engagé une réforme constitutionnelle, qui va donner à la France une organisation décentralisée. Ceci implique que les collectivités territoriales aient vocation à exercer toutes les compétences qu'elles sont le mieux placées pour exercer. Ceci implique aussi que les collectivités territoriales soient autorisées à expérimenter des modifications aux lois et règlements qui régissent l'exercice de leurs compétences, selon le cas par le Parlement ou par le gouvernement. En début d'année 2003, une loi organique et une loi ordinaire permettront de mettre en uvre le droit à l'expérimentation, et procéderont à de larges transferts de compétences.
Les assises des libertés locales, partout en France, ont pour objet de faire remonter les propositions concernant cette expérimentation, et ces transferts. Bien entendu en Corse ces assises ont un caractère particulier : je m'adresse aux élus et aux forces vives d'une collectivité territoriale dont le statut est unique, et qui vient de se voir transférer neuf champs de compétences nouvelles Vous avez donc des idées tout à fait pratiques sur ce qu'est la décentralisation, et notamment dans le domaine économique.
Je ne veux pas faire un exposé sur l'économie et le social en Corse, devant des gens qui non seulement connaissent ces sujets mais les vivent au quotidien .
Mon propos va simplement être de vous dire quels sont les sujets qui à mes yeux méritent tout particulièrement d'être traités aujourd'hui. Et puis aussi, dans quel esprit le gouvernement entend accompagner les progrès de la Corse. Il n'y a pas d'autres solutions que le développement économique : il faut y réfléchir sérieusement lorsque l'on a les atouts uniques de la Corse, qui sont ceux réunis de la montagne et de la Méditerranée.
Avec le développement vous aurez les moyens d'affirmer votre culture, de développer votre identité, d'être à la hauteur de votre histoire. Avec la stagnation, il y a l'amertume, la pauvreté, le sous développement et la violence. La violence a fait perdre beaucoup de vie humaines, de temps et d'argent .
S'agissant du développement économique, j'aimerais que deux sujets soient abordés de façon distincte.
Le premier, qui conditionne tout le reste, est simplement le suivant : quel développement souhaitez vous pour la Corse ? Cet après midi doit vous donner l'occasion d'aborder ce sujet de façon très libre. Avant que de réfléchir sur des dispositifs d'encouragement, sûrement indispensables, cette réflexion doit être conduite sur la vision du développement de la Corse.
Car il y a deux façons d'envisager l'économie corse : Une façon pessimiste, assez traditionnelle, qui consiste à considérer que la Corse est une montagne, isolée par la mer, cloisonnée par ses vallées, dépourvue de ressources en énergie, avec des terres agricoles pauvres, une activité économique saisonnière, des régions désertifiées, un chômage élevé.
Cette vision, nous la connaissons tous, elle peut se justifier pour plaider un traitement particulier pour la Corse. L'insularité, la faible densité de population, sont des critères objectifs de handicap. Je ne veux pas les nier au nom d'une vision idéaliste qui serait simplement irréaliste. Je ne veux pas me cacher que le retard de développement a été l'origine de beaucoup de difficultés. Je ne veux pas nier non plus que beaucoup de difficultés demeurent .
C'est la vision traditionnelle qui correspond assez bien à une tradition insulaire souvent fascinée par la dramaturgie, la nostalgie et le pessimisme. Je crois que la Corse est plus forte que ne le croient les Corses eux mêmes. Je souhaite qu'enfin elle accepte de se tourner vers l'avenir.
Non pas pour se cacher la réalité, mais pour avoir la volonté de transformer le futur. Il nous faut donc partir des atouts de l'île et réfléchir à leur valorisation. Je ne suis pas en train de dire que ce débat n'a jamais eu lieu. Je sais fort bien que tous vous avez réfléchi au développement de votre île. Mais souvent ce débat part de revendications sectorielles, au demeurant légitimes. Il est vrai que des expériences ont été tentées, parfois avec succès, telles que les appellations d'origine en viticulture, ou la culture et l'exportation des agrumes. Mais toutes ces expériences connaissent des limites et des difficultés, car elles apparaissent plus comme des initiatives individuelles que comme un saut collectif. Or c'est bien de celui-ci dont la Corse a besoin.
Aujourd'hui, contrairement aux habitudes, je voudrais que nous ayions un débat sur l'avenir le meilleur, le plus porteur, en faisant abstraction quelques instants des difficultés de tous ordres qui entravent le développement économique. Si tous les moyens de surmonter ces difficultés étaient donnés à la Corse, que souhaiterait-elle pour son développement ? Je voudrais que cette vision de l'avenir économique de la Corse soit abordée aujourd'hui, par vous qui en êtes les acteurs, pour que nous ayions en tête des objectifs. Je voudrais que soient abordées sans complexe des questions aussi essentielles que celles du tourisme de qualité ; de l'avenir de l'agriculture ; de l'avènement d'un nouveau secteur tertiaire, grâce aux technologies de l'information. J'aimerais savoir si vous jugez possibles de véritables tournants dans le développement économique de la Corse - par exemple un développement intégré de filières à partir du tourisme, la promotion d'une nouvelle agriculture centrée sur la qualité, l'implantation d'une économie tertiaire de pointe. J'aimerais savoir aussi si vous croyez davantage au statu quo amélioré.
Dans un deuxième temps, il nous faudra bien sûr aborder le sujet des aides au développement. La loi du 22 janvier prévoit deux séries de mesures. Le programme exceptionnel d'investissement, dont le montant a été fixé à 1,98 milliard d'euros en 15 ans, doit être l'instrument du rattrapage économique et de la résorption des handicaps. Vous savez que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a décidé la création d'un fonds budgétaire unique pour la Corse, rattaché au ministère de l'intérieur, destiné à financer ce programme. Il n'est pas question que cette occasion soit manquée pour la Corse. Il n'est pas question de mettre en place un ènième plan, dont les crédits ne seraient pas consommés faute d'accord sur les opérations, faute de diligence dans les procédures. Je l'ai dit devant l'Assemblée territoriale au mois de juillet dernier, dans l'esprit du gouvernement, il s'agit d'un nouveau départ .

Il faut faire en sorte que le rattrapage soit régulier et complet, au cours des quinze années qui viennent. Il faut aussi faire en sorte que ce plan soit un levier pour d'autres opérations. La première convention d'application du PEI, que je vais signer tout à l'heure avec Jean Baggioni, porte sur près de 482 millions d'euros. Ce sont 16 domaines prioritaires qui ont été identifiés, depuis les routes, le chemin de fer, les ports, jusqu'aux hopitaux, aux centres de formation, aux centres culturels. J'ai bien conscience qu'un tel programme résulte lui-même d'arbitrages et de priorités. Il ne peut pas répondre à l'intégralité des demandes, qui sont très nombreuses. Mais j'ai le sentiment d'un véritable pas en avant. J'ai aussi obtenu un accord du ministre du budget pour que soient assouplies les règles d'avances sur les subventions d'investissement, ces avances étant souvent déterminantes pour démarrer les opérations. Là aussi, un pas en avant a été franchi.
La balle est maintenant dans votre camp : vous-mêmes, qu' attendez-vous de ce programme, que proposez-vous pour qu'il soit un vrai levier de développement ?
Il faut aussi naturellement aborder la question du statut fiscal de la Corse. La loi du 22 janvier 2002 a fait le choix de la sortie de la zone franche, vers le dispositif de crédit d'impôt. J'ai le sentiment que ce choix ne fait pas l'unanimité. Le bilan de la zone franche est un bon bilan. Elle a profité à une majorité d'entreprises, une entreprise sur deux pour l'imposition des bénéfices, deux sur trois pour le dispositif social, trois sur quatre pour l'exonération de taxe professionnelle. L'ensemble de ces dispositifs a certainement favorisé la pérennité des entreprises, et amélioré leur rentabilité. La question est maintenant de savoir si le crédit d'impôt est le bon instrument pour prendre le relais de la zone franche. D'autres dispositifs peuvent-ils, doivent-ils être imaginés ? J'ai décidé de mettre en place un groupe de travail consacré à ces questions, sous l'autorité du préfet de Corse. Le ministre de l'économie et des finances, à ma demande, a confié à un inspecteur général des finances, très bon connaisseur des questions corses, M. Jean-Claude Hirel , la responsabilité d'animer ce groupe, qui a démarré ses travaux cette semaine. J'attends de ces travaux des conclusions dans le mois à venir. Faut-il conserver un dispositif de type zone franche ? Doit-il être plus limité, plus ciblé ? doit-il se cumuler, ou pas, avec le crédit d'impôt ? De même sur les arrêtés Miot, sujet de tant de controverses, peut on proposer des améliorations par rapport au dispositif de la loi du 22 janvier, et dans quelles conditions ? Il appartiendra aux élus et aux professionnels de faire des propositions et de dégager un consensus pour que le gouvernement puisse agir .
Dans le domaine des aides fiscales, vous savez que la Commission européenne nous impose des règles, qu'elle surveille les aides d ' Etat aux entreprises dans le souci de ne pas fausser la concurrence. Je suis tout prêt à me rendre à Bruxelles pour exposer les demandes qui pourraient émerger à partir des assises de ce jour, de ce groupe de travail, et qui feraient l'objet d'un consensus. J'ai d'ores et déjà pris rendez-vous avec Romano Prodi, le président de la Commission européenne, afin d'aborder tous ces sujets à la mi-décembre.
Je sais qu'un memorandum européen avait été adressé à la Commission, il y deux ans, pour plaider une série de demandes d'aides au nom de l'insularité. Le résultat n'a pas été concluant, car les autorités européennes se sont retranchées derrière le droit existant. Peut être devant l'ampleur et la disparité des demandes présentées ?
Face à la puissance des règles européennes, je crois d'avantage pour ma part au pragmatisme. Je crois que toute grand messe sur un statut de l'insularité nous ferait prendre encore du retard. L'important est d'obtenir des résultats concrets, tangibles, sur les dossiers auxquels vous êtes le plus attachés.
Je suis en train de négocier, en liaison étroite avec le ministre des finances, auprès de la Commission, un nouveau régime dérogatoire sur la fiscalité du tabac en Corse, afin de protéger l'usine de production de Furiani et le réseau de distribution du tabac, qui représentent plusieurs centaines d'emplois. Je le fais au nom de l'insularité, qui est une notion figurant dans le traité d'Amsterdam, et qui ne doit pas rester un vain mot. Je le fais parce que je considère que l'enjeu économique et social pour la Corse est considérable .
Vous demandez à pouvoir moderniser votre flotte et à pouvoir pêcher un peu plus loin de la bande côtière, pour renouveler les ressources. Vous souhaitez, et cela est légitime, que les jeunes puissent trouver un avenir dans cette activité. J'ai aussi engagé la concertation avec le ministre de l'agriculture sur les aides à la pêche, afin que vos revendications puissent être prises en compte dans le cadre de la nouvelle politique commune de la pêche. La France est décidée à défendre la pêche méditerranéenne au sein de l'Europe. Le ministre de l'agriculture a fait part de cette volonté tout récemment dans un de vos grands quotidiens régionaux. Il a fort justement rendu hommage aux traditions de bonne conduite de la pêche locale corse, qui ont conduit récemment à préserver les langoustes. Je suis décidé à défendre avec lui l'avenir de la pêche en Corse, au sein de la Méditerranée et de l'Europe.
Chacun de ces dossiers, dont vous connaissez l'importance, nécessite une longue négociation et beaucoup de persuasion. Mais lorsque l'enjeu est réel, lorsque les arguments sont justes, j'ai le sentiment que l'on arrive à convaincre.
Nous allons aussi parler de dialogue social. Je sais que ce sujet a fait l'objet de discussions approfondies jusqu'à une période encore toute récente.
Le dialogue social en France est souvent compliqué à mener, même si toutes les structures existent pour le faire. En Corse, le climat social souffre souvent d'incompréhensions, de conflits qui ne permettent pas de progresser. Le blocage de l'activité est souvent considéré comme un préalable à toute discussion.
Les travaux baptisés de "volet social" de Matignon, qui ont largement débordé du processus initial puisqu'ils se sont tenus de décembre 2001 à juin 2002, ont débouché juste avant l'été sur des propositions qui me paraissent souvent très intéressantes .
Le constat a été fait par les représentants de syndicats de salariés, d'organisations patronales, de chambres consulaires, d'administrations de l ' Etat, d'un manque de reconnaissance mutuelle entre partenaires sociaux, et d'un déficit de dialogue. Le souhait a été exprimé de créer des outils nouveaux , c'est un souhait que je partage. Il faut à la fois certainement revivifier le rôle du conseil économique et social de Corse dans ce domaine. Mais il faut aussi se doter d'instruments tels qu'une agence régionale d'amélioration des conditions de travail. Le ministre du travail, que j'ai saisi de ce sujet, y est favorable. Il pourra donc aboutir si la collectivité territoriale le souhaite.
D'autres mesures doivent être prises pour faciliter l'insertion professionnelle des corses en Corse : il faut par exemple développer les concours régionaux pour le recrutement de fonctionnaires des catégories B et C.

Les états généraux de l'économie tenus à Corte le mois dernier et consacrés au monde du travail sont parvenus à des conclusions qui vont aussi dans le sens du dialogue social : c'est toute la société corse qui prend conscience de cette nécessité et l ' Etat répondra à son appel .
Voilà les réflexions que je voulais vous livrer à l'ouverture de cette première table ronde. La Corse a choisi de traiter à part, au sein de ses assises, les questions économiques et sociales. De cette première singularité, tout à fait bienvenue, j'attends de vrais résultats en termes de propositions. Le gouvernement va y être particulièrement attentif et en tirera toutes les conséquences .
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 5 novembre 2002)