Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Après l'intervention de Monsieur le Ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et les libertés locales, je consacrerai pour l'essentiel mon intervention aux deux points suivants :
· La réforme du titre XII de la Constitution,
· L'organisation d'une large concertation sur les transferts de compétences de l'Etat aux collectivités locales, concertation à laquelle vous serez étroitement associés.
I - La réforme du titre XII de la Constitution.
Je vous avais déjà présenté les grandes lignes du projet de révision du titre XII de la Constitution le 28 mai dernier. Il est possible aujourd'hui, alors que le Premier ministre a rendu un certain nombre d'arbitrages et que la concertation interministérielle est engagée, d'être un peu plus précis.
Tout d'abord, les régions seront mentionnées pour la première fois dans la Constitution aux côtés des communes et des départements, tout en laissant la possibilité de créer des collectivités à statut particulier. Les collectivités d'Outre-Mer seront bien entendu concernées par cette importante réforme.
Il s'agira aussi de donner toute sa portée au principe de libre administration des collectivités locales inscrits à l'article 72 de notre loi fondamentale, principe qui a perdu de sa vigueur au cours des dernières années sous le poids des contraintes et des tentatives de recentralisation.
La réaffirmation de ce principe, inscrit dans notre Constitution, s'exercera par trois moyens complémentaires qui sont à la fois des conditions de l'exercice des libertés locales et leur meilleure expression :
- une autonomie financière renouvelée ;
- un droit à l'expérimentation ouvert de façon plus large ;
- la généralisation des référendums locaux décisionnels à tous les niveaux de collectivités.
Tout d'abord, les collectivités locales doivent retrouver une véritable autonomie financière. Il faut inverser la tendance qui conduit depuis plusieurs années à substituer des dotations aux ressources fiscales des collectivités locales. La liste est longue :
- suppression sans concertation de la vignette automobile jusque-là perçue par les départements ;
- suppression de la part salariale de la taxe professionnelle qui en représentait le tiers ;
- - suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ;
- - suppression des droits de mutation à titre onéreux perçus par les régions et plafonnement de ces mêmes droits attribués aux départements ;
- - augmentation du niveau des dégrèvements à compter de 2001 sur la taxe d'habitation au profit des personnes les plus modestes.
Si cette tendance était poursuivie, les élus locaux finiraient par se transformer en gestionnaires de dotations de l'Etat, ce qui ne correspond pas à leur vocation d'élus du suffrage universel.
A la suite des différentes mesures que je viens de mentionner, la part de la fiscalité dans les ressources totales des collectivités locales est descendue en dessous des 50 %. Elle est même de l'ordre de 37 % seulement pour les régions, dont la place essentielle dans la décentralisation a été rappelée à plusieurs reprises par le Premier ministre. Or les dotations, qui sont soumises à des arbitrages annuels, n'ont pas nécessairement la même dynamique que les impôts.
En tout, ces quatre dernières années, ce sont ainsi presque quinze milliards d'euros de fiscalité locale qui ont été supprimés pour être transformés en dotation d'Etat, représentant aujourd'hui près de 9 % de son budget. Compte tenu de la situation des finances publiques, on comprend mieux, devant de telles masses, la tentation récurrente de réduire progressivement ces compensations pour redonner un peu d'oxygène au budget de l'Etat. Cette tentation aurait moins matière à s'exprimer si l'organisation des finances locales reposait davantage sur des ressources propres. De plus, dans le même temps qu'étaient réduites les marges de manoeuvre fiscales des départements, a été mis en place avec l'allocation personnalisée d'autonomie, ou APA, une réforme difficilement supportable pour les finances départementales. Ainsi, le système actuel a atteint ses limites.
En se plaçant dans une autre logique et en donnant les moyens aux collectivités locales d'assumer les nouvelles compétences qui leur seront transférées, l'Etat placera les élus locaux en situation de responsabilité devant leurs électeurs. La fiscalité locale doit redevenir lisible pour le citoyen contribuable qui doit savoir quelle utilisation est faite de sa participation au développement communal, intercommunal, département ou régional. Globalement, les finances publiques ne s'en porteront que mieux. Bien évidemment, les dotations de l'Etat ne seront pas pour autant supprimées mais le système, devenu trop complexe et opaque, sera revu. Le principe d'une péréquation entre collectivités riches et pauvres sera lui aussi maintenu.
Deuxième axe de la réforme, le principe de libre administration des collectivités locales suppose qu'elles soient libres d'expérimenter les compétences qui leurs seront transférées, avec les adaptations réglementaires nécessaires. Des textes importants sont d'ailleurs nés dans le passé d'expériences locales comme le RMI et beaucoup de collectivités continuent à innover quand la loi ne les en empêche pas. Les collectivités locales doivent donc pouvoir demander à l'Etat d'expérimenter dans certains domaines quand elles l'estiment nécessaire. Le Parlement autorisera les collectivités volontaires, pendant une période déterminée, à exercer une nouvelle compétence ; cette expérimentation, qui a ainsi été pratiquée dans le passé pour certaines compétences comme les TER, pourra s'accompagner d'une possibilité de déroger localement, sous le contrôle du préfet et du juge administratif, à certaines règles. Au terme de la période expérimentale, une évaluation permettra au Parlement de pérenniser ou d'étendre la réforme.
Pour certaines compétences, la loi pourra désigner des collectivités chefs de file qui fixeront le cadre d'action des autres collectivités ou bien délégueront l'exercice d'une compétence à une autre collectivité à certaines conditions. Les collectivités pourront ainsi imaginer des formules de coopération entre elles pour la répartition de leurs compétences. Ainsi, si une région souhaite qu'une part de la politique de formation professionnelle soit exercée par les départements, et si ce souhait répond à l'attente de ces derniers, une solution doit être négociée entre ces collectivités. Déjà, aujourd'hui, les communes peuvent gérer les dossiers de RMI pour le compte du département. Ce principe de collectivité chef de file associé à la délégation de compétence est en mesure d'apporter de la souplesse à la gestion locale.
L'adaptation de l'organisation institutionnelle sera rendue possible de la même façon et les rapprochements de collectivités locales librement proposés seront autorisés. La multiplicité des niveaux d'administration territoriale est souvent mise en cause : communes, groupement de communes, agglomérations, pays, départements, régions, la liste s'allonge et chacun d'entre eux s'interroge sur leur avenir. A l'esprit de coopération pourrait se substituer l'esprit de concurrence, voire de rivalité, si vous ne veilliez pas, mesdames et messieurs les préfets, à éviter cet écueil. Il y a deux manières d'aborder ce problème. La méthode jacobine pourrait décréter arbitrairement et uniformément la suppression de telle ou telle entité. Le respect des libertés locales qui m'anime, mais aussi les leçons de l'expérience, me conduisent à récuser cette approche. Tout à l'inverse, il n'y a aucune raison d'exiger que l'organisation territoriale des collectivités locales soit rigoureusement identique d'un bout à l'autre de l'hexagone pourvu qu'une demande locale s'exprime et que l'unité de la République ne soit pas mise en cause. En un mot, celle-ci ne doit pas être confondue avec l'uniformité. J'ajouterai qu'une certaine diversité est signe de jeunesse et de dynamisme alors que le centralisme est au contraire la maladie de vieillesse des démocraties.
En troisième lieu, il faut que les citoyens puissent intervenir sur les sujets qui relèvent de la compétence des collectivités locales par la mise en oeuvre de référendums locaux, décisionnels, organisés par les exécutifs locaux. Il s'agit de donner un contenu plus riche à la démocratie participative que le Général de Gaulle appelait de ses vux et qui est l'un des fondements des institutions de la cinquième République. Ces référendums auront un caractère décisionnel, ce qui implique que les électeurs se prononcent sur une délibération entrant expressément dans les compétences de la collectivité organisatrice et proposée par son exécutif. Parallèlement, la loi renforcera les pouvoirs des préfets pour contrôler la légalité de ces référendums afin d'éviter les dérives que l'on a pu connaître ces derniers mois, notamment à Chamonix.
En outre, les consultations à caractère consultatif, qui existaient déjà au niveau communal et intercommunal, seront étendues aux départements et aux régions par la loi ordinaire selon des modalités à définir.
Au total, nous aurons mis en place des instruments dont pourront user les collectivités locales pour favoriser la dynamique territoriale. C'est par cette méthode, qui est fondée sur les réalités locales et non pas sur des schémas théoriques et abstraits décidés dans des bureaux parisiens, que nous ferons vivre la décentralisation et que nous lui ferons jouer son rôle de levier de la réforme de l'Etat. La décentralisation doit venir des territoires ; elle ne saurait être imposée par l'Etat central sans apparaître comme un nouvel avatar du centralisme.
II - J'en viens maintenant, Mesdames et Messieurs les Préfets, à mon deuxième point, l'organisation d'une large concertation pour définir le contenu des transferts de compétences.
La conduite de la décentralisation doit s'inspirer d'un certain nombre de principes : subsidiarité et proximité, simplification et clarification, responsabilité et efficacité de l'action locale. J'ajouterai que le mouvement qui s'engage est une réforme si profonde qu'il convient de ne pas agir dans la précipitation. Ainsi parviendrons-nous à ancrer durablement dans les esprits l'idée d'une République des proximités que le Premier ministre appelle de ses vux. Le respect de ces principes suppose de faire l'inventaire des compétences que les collectivités locales exercent déjà et de les développer, par exemple, dans les domaines culturels, sportif, de l'environnement, du tourisme ou encore des réseaux de communication.
Cela suppose également d'étendre le champ des compétences qui sont actuellement distinguées entre l'Etat et les collectivités locales à la satisfaction générale. Ainsi, confier la gestion des collèges et des lycées aux départements et aux régions a été une grande réussite, l'Etat ayant conservé la responsabilité de l'enseignement. De même, il pourrait être envisagé de transférer aux collectivités locales la construction et la gestion des universités et des bâtiments hospitaliers. Cette extension du champ des compétences des collectivités locales devra aussi concerner des domaines où l'Etat fait déjà appel à leur participation financière. Je songe notamment aux routes nationales.
Il convient aussi de s'interroger sur les nombreuses formules de copilotage entre l'Etat et les collectivités locales qui se sont développées ces dernières années, par exemple en matière de RMI, de gestion de fonds sociaux, de politique du handicap ou encore dans le domaine de la formation professionnelle où trois lois successives, en 1983, 1993 et 2003 n'ont pas conduit le processus de décentralisation jusqu'à son terme. Il n'est pas toujours utile que les commissions, sous les poids desquelles vous étouffez, soient coprésidées par le président de la collectivité et vous-même, si la collectivité est à même de gérer seule sa compétence.
Ces règles générales de transfert et de réorganisation des compétences s'appuient sur une analyse dont vous connaissez les grandes lignes. L'échelon régional est celui de l'aménagement du territoire, de la réalisation des grandes infrastructures et, plus généralement, le lieu de définition d'un développement équilibré qui assure la solidarité entre ses habitants. C'est aussi à ce niveau que s'établit la cohérence entre l'action de l'Etat et de la région. Celle-ci s'exprime notamment par la gestion des contrats de plan et celle des fonds européens, à laquelle vous prenez une part essentielle en association avec les régions. Les départements, les communes et leurs groupements doivent, de leur côté, développer une politique de proximité par la réalisation d'un certain nombre d'équipements et l'offre de services à nos citoyens.
Pour autant, le Gouvernement n'a pas l'intention de décréter d'en haut ce qui doit être décentralisé. C'est pourquoi j'ai entrepris, avec le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, de consulter un grand nombre de responsables d'associations nationales d'élus, de personnalités qualifiées, d'universitaires et de représentants d'associations de fonctionnaires ainsi que des représentants des entreprises et des acteurs du secteur économique et social. C'est pourquoi le Premier ministre a décidé l'organisation d'un vaste débat dans les régions auquel seront associés les élus, les responsables socio-professionnels et les responsables associatifs de manière à faire émerger les attentes du terrain.
Dans ce processus, les préfets, notamment les préfets de région, auront un rôle important à jouer en concertation avec les élus. A cette fin des assises des libertés locales seront lancées dans les vingt-deux régions métropolitaines et les quatre régions d'Outre-Mer sur la base d'un cahier des charges qui sera défini par un comité de pilotage national. Pour organiser ce débat dans les meilleures conditions, j'ai proposé au ministre de l'intérieur que vous puissiez disposer d'un correspondant à l'administration centrale qui réponde à vos questions. Avec Nicolas SARKOZY, nous avons décidé de confier cette mission à M. Philippe PONDAVEN, inspecteur général de l'administration.
Vous recevrez dans les meilleurs délais une fiche d'instructions sur l'organisation de ces assises.
De même, il conviendrait qu'une réunion des préfets de région puisse préciser le dispositif dès la fin du mois d'août de manière à leur permettre de constituer, dans les meilleurs délais, un comité de pilotage régional. Les préfets de département, de leur côté, devront prendre rapidement les contacts adéquats avec les élus locaux et les représentants de la société civile susceptibles de participer aux assises et de nourrir les débats de leurs propositions. Avec le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et les autres ministres du Gouvernement, nous veillerons à participer au plus grand nombre d'assises qui seront organisées dans les régions.
Celles-ci aborderont à la fois des thèmes généraux sur l'organisation des institutions, la répartition des compétences ou encore la place de l'expérimentation et des thèmes plus spécifiques en fonction des caractéristiques des régions et de la qualité des ministres invités.
Il ne serait pas logique d'entamer une réforme qui vise à modifier en profondeur les règles de fonctionnement de notre pacte républicain, dans lequel les collectivités locales concourent au développement et à la prospérité de notre pays d'une manière remarquable, dans un paysage institutionnel aux contours mal définis et où l'approche technocratique prend souvent la place du bon sens. Vous sentez vous-mêmes, sur le terrain, qu'il convient de simplifier le travail des acteurs locaux, y compris le vôtre, et de sortir des blocages qui freinent aujourd'hui la dynamique territoriale. Les rapports trimestriels que vous adressez au ministère de l'intérieur en témoignent.
Une réflexion va donc être engagée, avec nos collègues Gilles de Robien et Jean-Paul Delevoye, sur les lois récentes concernant l'intercommunalité, l'aménagement du territoire et les pays ainsi que la solidarité et le renouvellement urbain. Cette réflexion portera notamment sur les périmètres qui ont été critiqués par une partie des élus. Il faudra retenir le meilleur de ces lois. Le nombre de groupements de communes, qui couvre les deux tiers des habitants, a fortement augmenté et se généralisera bientôt à l'ensemble du territoire. Les schémas de cohérence territoriale peuvent, à une échelle plus large que l'agglomération, organiser le développement à venir du territoire de manière plus pertinente que le simple regroupement de communes. Mais ces outils ne peuvent jouer leur rôle en raison de certaines lourdeurs administratives ; inversement, des périmètres ont été imposés un peu vite à certaines collectivés locales. Ils sont assez compliqués à mettre en oeuvre en dépit des efforts d'explication que vous avez déployés sur le terrain et manquent parfois de cohérences entre eux. C'est pourquoi j'ai proposé qu'un groupe de travail associant des acteurs locaux et faisant appel à certains d'entre vous se penche sur une révision de ces lois à la rentrée de septembre. Il ne s'agira pas de créer une nouvelle loi mais d'amender celles qui existent dans le sens de la simplicité et de la facilité d'exécution.
Liberté et responsabilité : tels sont les maîtres mots de la réforme qui va être engagée.
Mesdames et messieurs les Préfets, je n'ai pas besoin de vous convaincre qu'il faut laisser respirer davantage les territoires, développer les capacités d'initiative et simplifier les règles ; qu'il faut aussi que les élus locaux soient à même d'assumer les conséquences de leur choix sans être tentés d'imputer systématiquement les difficultés qu'ils rencontrent aux directives étatiques. Vous êtes des ingénieurs du consensus social et des techniciens du territoire. Vous avez donc un rôle majeur à jouer dans cette réforme aux côtés des élus locaux par l'exercice du contrôle de légalité qui est la condition d'un état de droit, par votre capacité à encourager les initiatives et à les aider à prendre forme et par l'exemple que vous saurez donner dans l'organisation de vos propres services de l'adaptation du service public aux attentes de nos concitoyens.
Vous êtes déjà en première ligne pour tenter, au quotidien, de simplifier l'action des collectivités locales, des entrepreneurs et des citoyens tout en maintenant la règle de droit. Vous savez donc, mieux que quiconque, que l'Etat que vous représentez aura un rôle essentiel dans la réussite de cet ambitieux programme. Ainsi, vous montrerez que lorsque TOCQUEVILLE écrivait au dix-neuvième siècle " L'Etat peut à peine faire le nécessaire et il voudrait faire le superflu ", il esquissait en vérité les contours d'une ardente obligation à laquelle je vous sais entièrement dévoués.
Je vous remercie de votre attention.
(Source : http://www.interieur.gouv.fr, le 26 juillet 2002)
Après l'intervention de Monsieur le Ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et les libertés locales, je consacrerai pour l'essentiel mon intervention aux deux points suivants :
· La réforme du titre XII de la Constitution,
· L'organisation d'une large concertation sur les transferts de compétences de l'Etat aux collectivités locales, concertation à laquelle vous serez étroitement associés.
I - La réforme du titre XII de la Constitution.
Je vous avais déjà présenté les grandes lignes du projet de révision du titre XII de la Constitution le 28 mai dernier. Il est possible aujourd'hui, alors que le Premier ministre a rendu un certain nombre d'arbitrages et que la concertation interministérielle est engagée, d'être un peu plus précis.
Tout d'abord, les régions seront mentionnées pour la première fois dans la Constitution aux côtés des communes et des départements, tout en laissant la possibilité de créer des collectivités à statut particulier. Les collectivités d'Outre-Mer seront bien entendu concernées par cette importante réforme.
Il s'agira aussi de donner toute sa portée au principe de libre administration des collectivités locales inscrits à l'article 72 de notre loi fondamentale, principe qui a perdu de sa vigueur au cours des dernières années sous le poids des contraintes et des tentatives de recentralisation.
La réaffirmation de ce principe, inscrit dans notre Constitution, s'exercera par trois moyens complémentaires qui sont à la fois des conditions de l'exercice des libertés locales et leur meilleure expression :
- une autonomie financière renouvelée ;
- un droit à l'expérimentation ouvert de façon plus large ;
- la généralisation des référendums locaux décisionnels à tous les niveaux de collectivités.
Tout d'abord, les collectivités locales doivent retrouver une véritable autonomie financière. Il faut inverser la tendance qui conduit depuis plusieurs années à substituer des dotations aux ressources fiscales des collectivités locales. La liste est longue :
- suppression sans concertation de la vignette automobile jusque-là perçue par les départements ;
- suppression de la part salariale de la taxe professionnelle qui en représentait le tiers ;
- - suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ;
- - suppression des droits de mutation à titre onéreux perçus par les régions et plafonnement de ces mêmes droits attribués aux départements ;
- - augmentation du niveau des dégrèvements à compter de 2001 sur la taxe d'habitation au profit des personnes les plus modestes.
Si cette tendance était poursuivie, les élus locaux finiraient par se transformer en gestionnaires de dotations de l'Etat, ce qui ne correspond pas à leur vocation d'élus du suffrage universel.
A la suite des différentes mesures que je viens de mentionner, la part de la fiscalité dans les ressources totales des collectivités locales est descendue en dessous des 50 %. Elle est même de l'ordre de 37 % seulement pour les régions, dont la place essentielle dans la décentralisation a été rappelée à plusieurs reprises par le Premier ministre. Or les dotations, qui sont soumises à des arbitrages annuels, n'ont pas nécessairement la même dynamique que les impôts.
En tout, ces quatre dernières années, ce sont ainsi presque quinze milliards d'euros de fiscalité locale qui ont été supprimés pour être transformés en dotation d'Etat, représentant aujourd'hui près de 9 % de son budget. Compte tenu de la situation des finances publiques, on comprend mieux, devant de telles masses, la tentation récurrente de réduire progressivement ces compensations pour redonner un peu d'oxygène au budget de l'Etat. Cette tentation aurait moins matière à s'exprimer si l'organisation des finances locales reposait davantage sur des ressources propres. De plus, dans le même temps qu'étaient réduites les marges de manoeuvre fiscales des départements, a été mis en place avec l'allocation personnalisée d'autonomie, ou APA, une réforme difficilement supportable pour les finances départementales. Ainsi, le système actuel a atteint ses limites.
En se plaçant dans une autre logique et en donnant les moyens aux collectivités locales d'assumer les nouvelles compétences qui leur seront transférées, l'Etat placera les élus locaux en situation de responsabilité devant leurs électeurs. La fiscalité locale doit redevenir lisible pour le citoyen contribuable qui doit savoir quelle utilisation est faite de sa participation au développement communal, intercommunal, département ou régional. Globalement, les finances publiques ne s'en porteront que mieux. Bien évidemment, les dotations de l'Etat ne seront pas pour autant supprimées mais le système, devenu trop complexe et opaque, sera revu. Le principe d'une péréquation entre collectivités riches et pauvres sera lui aussi maintenu.
Deuxième axe de la réforme, le principe de libre administration des collectivités locales suppose qu'elles soient libres d'expérimenter les compétences qui leurs seront transférées, avec les adaptations réglementaires nécessaires. Des textes importants sont d'ailleurs nés dans le passé d'expériences locales comme le RMI et beaucoup de collectivités continuent à innover quand la loi ne les en empêche pas. Les collectivités locales doivent donc pouvoir demander à l'Etat d'expérimenter dans certains domaines quand elles l'estiment nécessaire. Le Parlement autorisera les collectivités volontaires, pendant une période déterminée, à exercer une nouvelle compétence ; cette expérimentation, qui a ainsi été pratiquée dans le passé pour certaines compétences comme les TER, pourra s'accompagner d'une possibilité de déroger localement, sous le contrôle du préfet et du juge administratif, à certaines règles. Au terme de la période expérimentale, une évaluation permettra au Parlement de pérenniser ou d'étendre la réforme.
Pour certaines compétences, la loi pourra désigner des collectivités chefs de file qui fixeront le cadre d'action des autres collectivités ou bien délégueront l'exercice d'une compétence à une autre collectivité à certaines conditions. Les collectivités pourront ainsi imaginer des formules de coopération entre elles pour la répartition de leurs compétences. Ainsi, si une région souhaite qu'une part de la politique de formation professionnelle soit exercée par les départements, et si ce souhait répond à l'attente de ces derniers, une solution doit être négociée entre ces collectivités. Déjà, aujourd'hui, les communes peuvent gérer les dossiers de RMI pour le compte du département. Ce principe de collectivité chef de file associé à la délégation de compétence est en mesure d'apporter de la souplesse à la gestion locale.
L'adaptation de l'organisation institutionnelle sera rendue possible de la même façon et les rapprochements de collectivités locales librement proposés seront autorisés. La multiplicité des niveaux d'administration territoriale est souvent mise en cause : communes, groupement de communes, agglomérations, pays, départements, régions, la liste s'allonge et chacun d'entre eux s'interroge sur leur avenir. A l'esprit de coopération pourrait se substituer l'esprit de concurrence, voire de rivalité, si vous ne veilliez pas, mesdames et messieurs les préfets, à éviter cet écueil. Il y a deux manières d'aborder ce problème. La méthode jacobine pourrait décréter arbitrairement et uniformément la suppression de telle ou telle entité. Le respect des libertés locales qui m'anime, mais aussi les leçons de l'expérience, me conduisent à récuser cette approche. Tout à l'inverse, il n'y a aucune raison d'exiger que l'organisation territoriale des collectivités locales soit rigoureusement identique d'un bout à l'autre de l'hexagone pourvu qu'une demande locale s'exprime et que l'unité de la République ne soit pas mise en cause. En un mot, celle-ci ne doit pas être confondue avec l'uniformité. J'ajouterai qu'une certaine diversité est signe de jeunesse et de dynamisme alors que le centralisme est au contraire la maladie de vieillesse des démocraties.
En troisième lieu, il faut que les citoyens puissent intervenir sur les sujets qui relèvent de la compétence des collectivités locales par la mise en oeuvre de référendums locaux, décisionnels, organisés par les exécutifs locaux. Il s'agit de donner un contenu plus riche à la démocratie participative que le Général de Gaulle appelait de ses vux et qui est l'un des fondements des institutions de la cinquième République. Ces référendums auront un caractère décisionnel, ce qui implique que les électeurs se prononcent sur une délibération entrant expressément dans les compétences de la collectivité organisatrice et proposée par son exécutif. Parallèlement, la loi renforcera les pouvoirs des préfets pour contrôler la légalité de ces référendums afin d'éviter les dérives que l'on a pu connaître ces derniers mois, notamment à Chamonix.
En outre, les consultations à caractère consultatif, qui existaient déjà au niveau communal et intercommunal, seront étendues aux départements et aux régions par la loi ordinaire selon des modalités à définir.
Au total, nous aurons mis en place des instruments dont pourront user les collectivités locales pour favoriser la dynamique territoriale. C'est par cette méthode, qui est fondée sur les réalités locales et non pas sur des schémas théoriques et abstraits décidés dans des bureaux parisiens, que nous ferons vivre la décentralisation et que nous lui ferons jouer son rôle de levier de la réforme de l'Etat. La décentralisation doit venir des territoires ; elle ne saurait être imposée par l'Etat central sans apparaître comme un nouvel avatar du centralisme.
II - J'en viens maintenant, Mesdames et Messieurs les Préfets, à mon deuxième point, l'organisation d'une large concertation pour définir le contenu des transferts de compétences.
La conduite de la décentralisation doit s'inspirer d'un certain nombre de principes : subsidiarité et proximité, simplification et clarification, responsabilité et efficacité de l'action locale. J'ajouterai que le mouvement qui s'engage est une réforme si profonde qu'il convient de ne pas agir dans la précipitation. Ainsi parviendrons-nous à ancrer durablement dans les esprits l'idée d'une République des proximités que le Premier ministre appelle de ses vux. Le respect de ces principes suppose de faire l'inventaire des compétences que les collectivités locales exercent déjà et de les développer, par exemple, dans les domaines culturels, sportif, de l'environnement, du tourisme ou encore des réseaux de communication.
Cela suppose également d'étendre le champ des compétences qui sont actuellement distinguées entre l'Etat et les collectivités locales à la satisfaction générale. Ainsi, confier la gestion des collèges et des lycées aux départements et aux régions a été une grande réussite, l'Etat ayant conservé la responsabilité de l'enseignement. De même, il pourrait être envisagé de transférer aux collectivités locales la construction et la gestion des universités et des bâtiments hospitaliers. Cette extension du champ des compétences des collectivités locales devra aussi concerner des domaines où l'Etat fait déjà appel à leur participation financière. Je songe notamment aux routes nationales.
Il convient aussi de s'interroger sur les nombreuses formules de copilotage entre l'Etat et les collectivités locales qui se sont développées ces dernières années, par exemple en matière de RMI, de gestion de fonds sociaux, de politique du handicap ou encore dans le domaine de la formation professionnelle où trois lois successives, en 1983, 1993 et 2003 n'ont pas conduit le processus de décentralisation jusqu'à son terme. Il n'est pas toujours utile que les commissions, sous les poids desquelles vous étouffez, soient coprésidées par le président de la collectivité et vous-même, si la collectivité est à même de gérer seule sa compétence.
Ces règles générales de transfert et de réorganisation des compétences s'appuient sur une analyse dont vous connaissez les grandes lignes. L'échelon régional est celui de l'aménagement du territoire, de la réalisation des grandes infrastructures et, plus généralement, le lieu de définition d'un développement équilibré qui assure la solidarité entre ses habitants. C'est aussi à ce niveau que s'établit la cohérence entre l'action de l'Etat et de la région. Celle-ci s'exprime notamment par la gestion des contrats de plan et celle des fonds européens, à laquelle vous prenez une part essentielle en association avec les régions. Les départements, les communes et leurs groupements doivent, de leur côté, développer une politique de proximité par la réalisation d'un certain nombre d'équipements et l'offre de services à nos citoyens.
Pour autant, le Gouvernement n'a pas l'intention de décréter d'en haut ce qui doit être décentralisé. C'est pourquoi j'ai entrepris, avec le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, de consulter un grand nombre de responsables d'associations nationales d'élus, de personnalités qualifiées, d'universitaires et de représentants d'associations de fonctionnaires ainsi que des représentants des entreprises et des acteurs du secteur économique et social. C'est pourquoi le Premier ministre a décidé l'organisation d'un vaste débat dans les régions auquel seront associés les élus, les responsables socio-professionnels et les responsables associatifs de manière à faire émerger les attentes du terrain.
Dans ce processus, les préfets, notamment les préfets de région, auront un rôle important à jouer en concertation avec les élus. A cette fin des assises des libertés locales seront lancées dans les vingt-deux régions métropolitaines et les quatre régions d'Outre-Mer sur la base d'un cahier des charges qui sera défini par un comité de pilotage national. Pour organiser ce débat dans les meilleures conditions, j'ai proposé au ministre de l'intérieur que vous puissiez disposer d'un correspondant à l'administration centrale qui réponde à vos questions. Avec Nicolas SARKOZY, nous avons décidé de confier cette mission à M. Philippe PONDAVEN, inspecteur général de l'administration.
Vous recevrez dans les meilleurs délais une fiche d'instructions sur l'organisation de ces assises.
De même, il conviendrait qu'une réunion des préfets de région puisse préciser le dispositif dès la fin du mois d'août de manière à leur permettre de constituer, dans les meilleurs délais, un comité de pilotage régional. Les préfets de département, de leur côté, devront prendre rapidement les contacts adéquats avec les élus locaux et les représentants de la société civile susceptibles de participer aux assises et de nourrir les débats de leurs propositions. Avec le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et les autres ministres du Gouvernement, nous veillerons à participer au plus grand nombre d'assises qui seront organisées dans les régions.
Celles-ci aborderont à la fois des thèmes généraux sur l'organisation des institutions, la répartition des compétences ou encore la place de l'expérimentation et des thèmes plus spécifiques en fonction des caractéristiques des régions et de la qualité des ministres invités.
Il ne serait pas logique d'entamer une réforme qui vise à modifier en profondeur les règles de fonctionnement de notre pacte républicain, dans lequel les collectivités locales concourent au développement et à la prospérité de notre pays d'une manière remarquable, dans un paysage institutionnel aux contours mal définis et où l'approche technocratique prend souvent la place du bon sens. Vous sentez vous-mêmes, sur le terrain, qu'il convient de simplifier le travail des acteurs locaux, y compris le vôtre, et de sortir des blocages qui freinent aujourd'hui la dynamique territoriale. Les rapports trimestriels que vous adressez au ministère de l'intérieur en témoignent.
Une réflexion va donc être engagée, avec nos collègues Gilles de Robien et Jean-Paul Delevoye, sur les lois récentes concernant l'intercommunalité, l'aménagement du territoire et les pays ainsi que la solidarité et le renouvellement urbain. Cette réflexion portera notamment sur les périmètres qui ont été critiqués par une partie des élus. Il faudra retenir le meilleur de ces lois. Le nombre de groupements de communes, qui couvre les deux tiers des habitants, a fortement augmenté et se généralisera bientôt à l'ensemble du territoire. Les schémas de cohérence territoriale peuvent, à une échelle plus large que l'agglomération, organiser le développement à venir du territoire de manière plus pertinente que le simple regroupement de communes. Mais ces outils ne peuvent jouer leur rôle en raison de certaines lourdeurs administratives ; inversement, des périmètres ont été imposés un peu vite à certaines collectivés locales. Ils sont assez compliqués à mettre en oeuvre en dépit des efforts d'explication que vous avez déployés sur le terrain et manquent parfois de cohérences entre eux. C'est pourquoi j'ai proposé qu'un groupe de travail associant des acteurs locaux et faisant appel à certains d'entre vous se penche sur une révision de ces lois à la rentrée de septembre. Il ne s'agira pas de créer une nouvelle loi mais d'amender celles qui existent dans le sens de la simplicité et de la facilité d'exécution.
Liberté et responsabilité : tels sont les maîtres mots de la réforme qui va être engagée.
Mesdames et messieurs les Préfets, je n'ai pas besoin de vous convaincre qu'il faut laisser respirer davantage les territoires, développer les capacités d'initiative et simplifier les règles ; qu'il faut aussi que les élus locaux soient à même d'assumer les conséquences de leur choix sans être tentés d'imputer systématiquement les difficultés qu'ils rencontrent aux directives étatiques. Vous êtes des ingénieurs du consensus social et des techniciens du territoire. Vous avez donc un rôle majeur à jouer dans cette réforme aux côtés des élus locaux par l'exercice du contrôle de légalité qui est la condition d'un état de droit, par votre capacité à encourager les initiatives et à les aider à prendre forme et par l'exemple que vous saurez donner dans l'organisation de vos propres services de l'adaptation du service public aux attentes de nos concitoyens.
Vous êtes déjà en première ligne pour tenter, au quotidien, de simplifier l'action des collectivités locales, des entrepreneurs et des citoyens tout en maintenant la règle de droit. Vous savez donc, mieux que quiconque, que l'Etat que vous représentez aura un rôle essentiel dans la réussite de cet ambitieux programme. Ainsi, vous montrerez que lorsque TOCQUEVILLE écrivait au dix-neuvième siècle " L'Etat peut à peine faire le nécessaire et il voudrait faire le superflu ", il esquissait en vérité les contours d'une ardente obligation à laquelle je vous sais entièrement dévoués.
Je vous remercie de votre attention.
(Source : http://www.interieur.gouv.fr, le 26 juillet 2002)