Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la nécessité du dialogue entre les représentants des collectivités concernées par la décentralisation et les personnels devant être transférés et sur la garantie fiscale et financière de la décentralisation, Toulouse le 4 juillet 2003.

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Circonstance : Réunion des Etats Généraux des élus locaux de la région Midi-Pyrénées à Toulouse (Haute-Garonne) le 4 juillet 2003-Discours de clôture

Texte intégral

Monsieur le Président du conseil régional de Midi-Pyrénées, Cher Martin Malvy
Monsieur le Ministre, Monsieur le député-maire de Toulouse, Cher Philippe Douste-Blazy,
Messieurs les Présidents de conseils généraux
Mesdames et Messieurs les parlementaires et chers collègues,
Monsieur le Préfet de région,
Mesdames et Messieurs les élus locaux et chers collègues,
Chers amis, je tiens à vous remercier chaleureusement de votre présence aujourd'hui, présence méritoire à plus d'un titre.
Méritoire, tout d'abord, parce que ces Etats généraux se tiennent à un moment de l'année où les esprits des uns et des autres sont davantage tournés vers la perspective de vacances méritées qu'enclins à participer à une longue séance de travail matinale.
Méritoire, ensuite, car vous êtes, pour nombre d'entre vous, venus de loin, parfois de très loin, pour être, avec nous, ici à Toulouse, aujourd'hui.
Méritoire, enfin, parce que votre présence massive démontre votre goût du dialogue républicain, quelles que soient vos sensibilités politiques. C'est ce goût de la chose publique qui vous a conduit, ce matin, à participer à ces Etats généraux intitulés " L'organisation décentralisée de la République : mode d'emploi ".
Au-delà de votre présence, permettez-moi de vous remercier, vous, les élus locaux de Midi-Pyrénées, pour votre participation active à la préparation de ces Etats généraux des élus locaux.
En effet, près d'un tiers d'entre vous ont répondu à la consultation engagée auprès de vous. Cette participation est d'autant plus méritoire que répondre à dix pages denses de questions précises n'était pas une sinécure, mais un pensum. Mais pouvait-on résumer le thème, multiforme et pluridisciplinaire, de " L'organisation décentralisée de la République " en deux ou trois questions ? A l'évidence, NON.
Chers amis, je ne suis pas ici pour vous faire la leçon. Je suis ici, au contraire, pour réfléchir avec vous, en dehors de toute passion politique et de toute pression médiatique, sur ce que nous voulons, sur ce que vous voulez faire pour décentraliser intelligemment notre pays.
Je suis ici pour tenter, avec vous, d'établir un " mode d'emploi " de l'organisation décentralisée de notre République, susceptible de servir de guide à l'action du Gouvernement.
A cet égard, et en guise de préambule, une question s'impose : sommes-nous enfin décidés à rompre avec notre " tradition multiséculaire de centralisation " ? Allons-nous, enfin, mettre un terme à un parisianisme tatillon, dont nous n'avons que trop pâti ? Allons-nous enfin donner toutes ses chances à la décentralisation, sans la cantonner à un rôle de substitut d'une auto-réforme que l'Etat serait incapable de s'imposer à lui-même ? S'il en était autrement, la décentralisation se résumerait bien vite à un simple transfert de charges.
Pour ma part, j'ai fait mon choix ! Car la décentralisation c'est l'avenir de notre pays. En effet, la décentralisation est une réforme bénéfique qui libère les initiatives locales, accroît l'efficience de l'action politique et enrichit la démocratie d'une dimension locale propice à son approfondissement.
Alors, Mesdames et Messieurs les élus, soyons clairs : je ne suis ici ni le mandataire, ni le porte-parole du gouvernement ou de la majorité parlementaire.
Je suis ici en tant que Président du Sénat, assemblée parlementaire à part entière qui exerce, en outre, -c'est un plus, un bonus-, une mission de représentant des collectivités territoriales.
Mesdames et Messieurs, si d'aventure vous en doutiez, je l'affirme : Christian Poncelet ne " roule " que pour l'institution qu'il préside et à laquelle il est viscéralement attaché !
Alors, Mesdames et Messieurs les élus, vous me connaissez, suffisamment du moins, pour savoir que je n'ai pas, non plus, un goût immodéré pour la repentance. En revanche, j'ai la volonté de porter un regard lucide et honnête sur la réalité.
Alors, penchons-nous, quelques instants, sur la genèse de la décentralisation, sur la façon dont elle a été mise en uvre, tant dans son acte 1, en 1982, avec son acte de baptême, la loi du 2 mars, que dans son acte 2, dont les fondations ont été posées par la réforme constitutionnelle du 17 mars 2003.
Force est de constater que ces deux actes fondateurs de la décentralisation n'ont, ni l'un, ni l'autre, réussi à faire l'unanimité au sein de la classe politique.
Est-ce une conséquence inévitable des contextes politiques de ces deux réformes qui sont intervenues très rapidement à la suite d'une alternance politique ? Admettons-le, ce facteur a pu jouer, hier comme aujourd'hui.
On peut d'autant plus regretter cette absence de consensus initial que ces grandes étapes de la décentralisation n'ont pas été engagées ex nihilo.
Dans les deux cas, à l'évidence, les réformes ont été précédées d'un très large travail de réflexion et de propositions.
Sans que ce soit ici le lieu de faire de longs rappels historiques, reconnaissons aux travaux conduits au cours des années 70, que ce soit par la Commission Guichard et ses travaux sur " Vivre ensemble ", ou le projet de loi sur les libertés locales, à la fin des années 70, ou encore les travaux de l'opposition d'alors, la décentralisation de 1982 s'est très largement nourrie des années de débats qui l'ont précédée.
Pour autant, je tiens à l'affirmer haut et fort, c'est au courage et à la volonté politiques de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre que nous devons les deux ruptures majeures que personne n'avait osé opérer jusqu'alors :
- le transfert des exécutifs départementaux et régionaux des mains du préfet à celles d'une autorité élue ;
- le passage d'un système de tutelle, de contrôle administratif a priori des actes des collectivités territoriales, à un contrôle juridictionnel a posteriori.
Que n'a-t-on entendu, à l'époque, sur le démantèlement de l'Etat, l'éclatement de la République, la dilution de l'autorité et la consécration des féodaux.
Alors, Mesdames et Messieurs, il en va de même de la réforme constitutionnelle de 2003, celle qui a conféré un ancrage constitutionnel à l'organisation décentralisée de la République.
De la même façon, les travaux des années précédentes ont très largement permis, si vous me permettez l'expression, de " préparer le terrain " et, en partie tout du moins, les esprits.
Je pense aux travaux du Sénat, à ses rapports d'information et à ses propositions de loi constitutionnelle d'octobre 2000 et de juillet 2002, mais aussi, chers amis, aux travaux de la Commission Mauroy. Toutes ces contributions ont conclu à la nécessité d'engager une nouvelle étape de la décentralisation pour moderniser notre pays.
C'est maintenant chose faite, avec la réforme constitutionnelle introduisant le concept, "révolutionnaire", à bien des égards, "d'organisation décentralisée de la République" dans notre loi fondamentale avec toutes ses implications et ses déclinaisons.
Que ce soit en 1982 ou en 2003, je l'ai dit, ces deux moments clés de notre histoire territoriale n'ont, hélas, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, pas vu se dessiner un consensus national.
Mais les choses changent et nous savons bien qu'aujourd'hui les lois de 1982 sont inscrites au cur de notre pacte républicain et font partie intégrante de notre patrimoine commun.
Je fais le pari qu'il en sera de même pour la décentralisation de 2003, prolongement indispensable de l'uvre bénéfique entreprise en 1982.
Pour autant, les inquiétudes exprimées par les uns et les autres, hier comme aujourd'hui, ne sont pas illégitimes.
Rassurez-vous, en effet, je ne suis pas venu vous bercer d'un angélisme anesthésiant en vous disant " dormez tranquilles, tout va bien ".
Ces inquiétudes, et c'est tout l'objet de nos débats, doivent s'exprimer, doivent être discutées, doivent pouvoir susciter des réflexions, voire des remises en question. C'est tout le sens de ces Etats généraux.
Le débat et le dialogue sont consubstantiels à la République et à la démocratie. Ils les nourrissent et les font vivre.
J'ai, en effet, au long de ma vie publique, acquis une conviction : la décentralisation est une chose trop sérieuse pour faire l'objet de querelles partisanes.
Pour ma part, je tiens d'ores et déjà à vous dire que j'ai éprouvé beaucoup de tristesse à voir le beau mot de " décentralisation " conspué dans la rue, comme s'il s'agissait d'un terme infâmant, comme si les exécutifs locaux étaient incapables de bien, - voire de mieux -, traiter les agents qui rejoindraient la fonction publique territoriale, comme si la décentralisation s'apparentait à une antichambre de la privatisation.
Avant de conclure, je reste convaincu, qu'à l'instar des grandes évolutions de la société, l'organisation décentralisée de notre République se heurte à la force d'inertie des conservatismes, au premier rang desquels se trouvent un étatisme tatillon, un jacobinisme aussi frileux que dépassé, et des corporatismes égoïstes qui travestissent la réalité.
Donnons à notre pays une autre vision. Libérons-le des entraves de la centralisation. Cessons d'étouffer les élus. Offrons à notre République l'oxygène des territoires !
Mesdames et Messieurs les élus locaux de Midi-Pyrénées, j'ai la conviction que la décentralisation est une uvre de longue haleine qu'il nous appartient, tous ensemble, de défendre, de promouvoir et de poursuivre.
1982 est un peu comme une symphonie inachevée. C'est avec vous que nous devons, tous ensemble, compléter cette partition qui a tant contribué à revivifier notre pays.
Vous l'avez compris, pour moi, entre l'acte 1 de 1982 et l'acte 2 de 2003, il n'y a pas rupture, mais continuité. Il n'y a pas opposition stérile de deux camps politiques, mais il y a poursuite intelligente d'une uvre politique, au sens noble du terme, indispensable à l'avenir de notre pays, à son dynamisme, à sa modernité et à sa cohésion sociale.

(source http://www.senat.fr, le 18 septembre 2003)