Texte intégral
Chers Maîtres,
C'est un honneur et un plaisir que de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour ce qui s'avère être la convention nationale des avocats la plus importante organisée dans l'histoire de la profession.
Merci, tout d'abord, à votre président, Michel Bénichou, de m'avoir convié à clore les premiers Etats Généraux du droit autour du thème : "La sécurité juridique au cur des collectivités locales".
Ces Etats Généraux sont une occasion exceptionnelle de débats entre les élus, les agents publics et les avocats.
C'est à la fois comme Ministre délégué aux collectivités territoriales et comme représentant du Ministre d'Etat, Nicolas Sarkozy, que j'ai tenu à être présent parmi vous aujourd'hui. Nicolas, votre confrère, n'a pu nous rejoindre à Marseille pour des raisons d'emploi du temps, mais m'a demandé de vous témoigner de toute son amitié et de son estime.
Sachez que j'ai, à titre personnel, un immense respect pour votre profession. J'ai pu, au cours de ma carrière, constater à quel point vos tâches appellent l'exigence, la compétence mais aussi l'honneur et l'engagement.
Vous avez en commun, gravé dans vos mémoires, ce serment qui vous exhorte à exercer votre profession avec "dignité, conscience, indépendance, probité et humanité".
Votre mission est, pour une large part, une mission de service public. Une mission de service public, parce que vous combattez, souvent avec véhémence, en faveur des droits de la défense et la garantie des libertés, notamment dans le cadre de l'aide juridictionnelle.
Vous êtes plus de 40.000 avocats (43.977 très précisément selon votre dernier recensement) sur l'ensemble du territoire national. Vous êtes, surtout, de plus en plus nombreux chaque année (+ 29 % en huit ans soit 3,6 % de croissance moyenne annuelle).
Votre profession regroupe plusieurs activités très diverses (conseil, contentieux) et recouvre des réalités parfois opposées : quelle similitude d'activité existe-t-il, en effet, entre un avocat pénaliste qui exerce et plaide en province et un avocat d'affaires parisien fondu dans une structure internationale ?
En province ou à Paris, vous êtes tous, en revanche, des acteurs incontournables de la vie sociale et économique, des interlocuteurs privilégiés des personnes publiques et privées. Puisque, comme l'avait écrit l'éminent juriste Guy Braibant, "le mépris du droit coûte cher", votre rôle est inévitable, éternel et c'est tant mieux.
Le besoin de droit se manifeste tous les jours, partout, pour tous et de plus en plus. Les réalités changent, les besoins évoluent, les lois s'adaptent et vous devez, en permanence, vous adapter à de nouvelles situations, à de nouvelles exigences.
Le droit est une matière vivante, évolutive, qui se remet constamment en question pour pouvoir refléter la société à un moment donné. Ces mutations permanentes font de la profession d'avocat une activité palpitante.
Vous avez, souvent à raison, l'impression que vos préoccupations ne sont pas suffisamment entendues par les pouvoirs publics. L'Etat doit vous accompagner, vous soutenir dans vos démarches, vos innovations, vos revendications lorsqu'elles sont légitimes. Mais l'Etat, et toute la sphère publique à travers les différentes collectivités, doit être, non seulement, pour vous un interlocuteur mais aussi un acteur, c'est-à-dire aussi, en quelque sorte, un marché.
C'est toute la question posée par le thème qui nous rassemble aujourd'hui : le rapport entre les collectivités locales et les avocats.
I. Le droit et l'avocat désormais au cur des enjeux des collectivités locales
A) Les juristes prennent peu à peu conscience de l'importance du droit public et, plus particulièrement, de celui des collectivités à un moment où celles-ci sont confrontées à une plus grande judiciarisation.
1) Le droit public devient un champ d'action pour les avocats.
Le droit public, né du principe que l'Etat ne peut être un sujet juridique comme les autres, est encore peu représenté dans votre profession.
Les choses évoluent pourtant et les publicistes sont de plus en plus nombreux et ce, pour deux raisons :
- La sphère publique s'est développée notamment avec l'acte I et II de la décentralisation, mais aussi, bien entendu, dans le cadre européen. L'essor du droit européen de la concurrence en est un exemple.
- La judiciarisation touche, certes, le droit privé mais aussi, aujourd'hui, le droit public. Les contentieux administratifs se multiplient et nombre de procès touchent désormais les marchés publics et les responsabilités d'élus.
Ce besoin accru de droit public s'illustre par le nombre croissant de hauts fonctionnaires qui deviennent avocats et qui sont embauchés par des structures, parce qu'ils sont parfois les meilleurs experts pour traiter de ces nouveaux enjeux. De tels mouvements doivent vous encourager à développer un nouveau créneau pour votre profession.
2) Le droit des collectivités, devenu autonome, interpelle de plus en plus les avocats.
Pendant longtemps, le droit des collectivités était uniquement le droit de l'Etat. Aujourd'hui, la réalité a changé.
Depuis la décentralisation de 1982 et depuis son acte II issu de la loi du 13 août 2004, les différentes collectivités locales émergent comme des structures aux gestions et aux personnels autonomes. Leur développement et leurs pouvoirs accrus créent inévitablement une nouvelle donne juridique, financière et fiscale.
Ce besoin de conseil et de sécurité juridique de ces collectivités se manifeste tant en droit public (urbanisme, environnement, marchés publics) qu'en droit privé.
Les mentalités suivent les réalités. Peu à peu, vous avez pris conscience de ces évolutions et, la preuve en est que nous sommes réunis autour de ce thème aujourd'hui, vous considérez désormais les collectivités comme un nouveau marché porteur qui s'ouvre à vous et à vos structures.
B) Encore faut-il que les avocats aient toute leur place dans ce nouveau marché et deviennent de véritables acteurs du droit des collectivités.
* Par rapport à l'administration
L'administration est, sans doute, aujourd'hui, le premier interlocuteur des collectivités.
J'en veux pour preuve la renommée des services tels que la DGCL, la DGI (Direction Générale des Impôts) ou la DLF (Direction de la Législation Fiscale) avec lesquels certains d'entre vous ont des contacts réguliers.
Au-delà de la mission de mise en oeuvre de la politique gouvernementale, ces administrations répondent directement à certaines interrogations techniques des collectivités.
Si l'Administration est l'interlocuteur privilégié des collectivités, elle ne doit pas en être pour autant le conseil exclusif.
Je crois que l'avocat est tout à fait à même de suivre au quotidien les interrogations juridiques financières et fiscales des collectivités, de les mettre en perspective et ce, au-delà de toute orientation politique.
* Par rapport aux "officines"
Profitant de la brèche entrouverte par la Loi de 1992 sur le monopole du droit permettant aux "Associations" de donner des consultations juridiques accessoires à leur activité principale, des "bureaux" parallèles se sont développés dans notre pays.
Ceux-ci, vous le savez, se livrent aussi, bien souvent, à un démarchage pour recruter des "clients-adhérents", ce qui est totalement proscrit par la profession d'avocat.
Il en est, d'ailleurs, de même d'officines qui n'ont comme légitimité que celle de grands groupes auxquels elles appartiennent, et avec lesquels les collectivités entretiennent des rapports financiers privilégiés, mais qui ne remplacent pas une expertise professionnelle et une éthique personnelle qui est propre à l'ordre des Avocats.
Leurs prestations ne peuvent, en aucun cas, remplacer celles du conseil de l'avocat soucieux de la confidentialité et des droits de son client, au-delà d'un simple intérêt commercial.
II. De nouveaux moyens doivent être trouvés pour que les avocats puissent remplir pleinement ces nombreuses nouvelles missions
A) De nouveaux moyens
1) Un exemple : le contrôle de légalité des actes.
Vous le savez, les Préfets sont en charge du contrôle de légalité des actes des collectivités, garantie essentielle d'un Etat de droit. Là aussi, les réalités ont changé. D'un rôle seulement de sanction, le Préfet est aussi passé à un rôle de conseil.
Le nombre de délibérations ou d'actes à contrôler est énorme : on comptait plus de 7 millions d'actes en 2000 et on constate d'année en année une progression d'au moins 5 %.
Si l'on a soustrait un certain nombre d'actes mineurs au contrôle, en revanche, le champ des compétences transférées va nécessairement faire exploser le nombre d'actes à contrôler, dans des conditions de sécurité juridique encore plus difficiles là où il y aura des domaines d'expérimentation. Puisque par définition sur les sujets sensibles transférés à titre provisoire, le cadre de référence juridique sera flou alors que les sujets seront d'autant plus sensibles et devront être l'objet d'un strict respect de la légalité.
Le contrôle de légalité souffre, ainsi, de retards et du manque de formation technique pour les affaires difficiles comme certains marchés publics ou des contentieux complexes.
Il faut donc, je crois, revisiter l'exercice du contrôle de légalité pour qu'il soit mieux compris, mieux accepté, et pour lui redonner le sens et l'efficacité qu'il a parfois perdus.
Ce service pourrait être optimisé en regroupant en un lieu ou une structure unique les compétences des divers services (DDE, Concurrence, Trésorerie générale,) qui en auraient la charge dans un " cabinet juridique de l'Etat " et auxquels pourront s'adjoindre, le cas échéant, des avocats stagiaires.
Plus que jamais, il faut des regards techniques croisés. Je sais que votre profession y est très favorable.
La phase contentieuse qui peut suivre le contrôle de légalité ne peut être le monopole des Préfets. Les services juridiques de l'Etat ne sont pas omniscients et les préfectures ne disposent pas, dans la plupart des cas, de services appropriés et suffisants lorsqu'il s'agit d'affaires compliquées. Elles doivent alors pouvoir recourir à des avocats pour les assister.
2) C'est notamment à ce titre que je souhaite vous parler de La Charte de partenariat entre le Ministère de l'intérieur et le Conseil national des Barreaux.
Le Ministère de l'Intérieur et le Conseil National des Barreaux souhaitant, en effet, renforcer leurs relations à travers des actions partenariales, deux axes ont été décidés :
- A compter de janvier 2006, les élèves avocats des centres régionaux de formation professionnelle auront la possibilité d'effectuer des stages au sein des préfectures et du pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité de Lyon. Nous songeons, d'ailleurs, dès maintenant à bientôt étendre cette initiative au niveau national.
Cet accueil, organisé sous l'autorité du Secrétariat général du ministère, sera formalisé par la signature de conventions de stages entre les préfectures et les CRFPA afin d'établir les conditions matérielles, la durée du stage, et le service d'affectation le plus adapté.
En outre, la Direction générale des collectivités locales pourra, dans ce cadre, participer à la constitution des dossiers d'études de cas qui serviront de support pédagogique dans le cursus de formation des élèves avocats.
- Second axe de cette Charte : Le Ministère de l'Intérieur et le Conseil National des Barreaux conviennent de réfléchir ensemble et d'établir une concertation et des échanges réguliers sur des sujets communs intéressant le droit des collectivités locales.
Ces échanges se concrétiseront par une ou plusieurs rencontres organisées entre les parties sur des sujets d'actualité du droit des collectivités territoriales. En particulier, un partenariat spécifique sera mis en place entre les parties pour les prochains forums annuels organisés par le Conseil National des Barreaux.
Dans ce cadre, il pourra également être organisé :
- des interventions de cadres de la Direction générale des collectivités locales dans les cycles de formation ou les enceintes de réflexion du Conseil National des Barreaux et, le cas échéant, des centres régionaux de formation des avocats;
- la participation d'avocats à des stages de formation contentieux destinés aux agents de la DGCL.
B) De nouvelles missions pour les avocats.
1) Le rôle historique de l'avocat auprès des collectivités est déjà bien reconnu. Et il doit l'être encore plus, en particulier dans des domaines difficiles, tant pour les collectivités que pour les avocats, comme la matière pénale.
En droit pénal, vous savez bien que de plus en plus, les élus locaux, les maires par exemple, sont confrontés à des responsabilités nouvelles qui les préoccupent voire les tétanisent. Quid de la responsabilité pénale d'un maire mis en examen pour la noyade d'un enfant sur une plage de la commune ?
Quid d'un maire mis en examen pour détournement de biens publics, parfois à raison, parfois à tort ?
Désarmés devant des situations parfois dramatiques, les élus locaux ont, de plus en plus, besoin de l'assistance d'avocats pour plaider leur cause et les sauver de ce qu'ils considèrent être un bourbier juridique. Ces élus sont parfois "responsables mais pas coupables". Comment leur expliquer une réalité juridique qui, pour eux, n'est qu'un concept ? Comment les aider à s'en sortir ? Seuls vous et votre expertise peuvent les y aider.
2) L'avocat ne fait pas que plaider : il est aussi le conseiller des collectivités en dehors même d'un quelconque contentieux.
Les collectivités se démènent face aux risques juridiques mais elles ne savent pas toujours comment gérer de tels risques et ont, par conséquent, de plus en plus besoin de conseils.
Votre convention le démontre tout au long de ces trois journées, l'avocat est désormais et également le conseil des collectivités en matière de droit de l'environnement, de droit de l'urbanisme, de droit de travaux publics, etc.
Je ne prendrai que trois exemples sur lesquels, compte tenu de la politique engagée par le gouvernement, je suis amené à me pencher quotidiennement.
- le droit fiscal et des finances locales : tant au titre des taxes locales qu'elles perçoivent que des impôts auxquelles elles sont assujetties, les collectivités accèdent à des modes de gestion dynamiques, auxquels les avocats sont de plus en plus étroitement associés. La participation du Sénateur Jean-Pierre Fourcade, par ailleurs Président de la CCEC, à votre convention préparatoire sur le sujet n'est sans doute pas un hasard.
- le droit social : avec une fonction publique territoriale en mutation et progression constante et qui dénombre cette année 1,7 million de fonctionnaires publics territoriaux, comment les collectivités pourraient-elles encore s'exonérer du conseil de vos spécialistes, alors que l'avocat est désormais l'interlocuteur privilégié des DRH ?
- enfin, dans le domaine des marchés publics, certaines affaires sont d'une grande complexité, ce qui conduit aujourd'hui les services de l'Etat à n'en vérifier que le formalisme, alors qu'en décortiquant les coûts et les prestations, des turpitudes peuvent apparaître. Là encore, l'assistance de l'avocat pour les collectivités peut être précieuse.
Ce sont là de nouveaux champs d'investigation sur lesquels, j'en suis convaincu, les avocats comptent déjà mais doivent compter encore davantage. Les collectivités doivent acquérir un réflexe vers votre profession et ce, dans un souci de leur propre autonomie vis à vis des choix financiers, techniques ou politiques de l'Etat.
Vous l'avez compris, je crois qu'il est urgent que les avocats puissent participer davantage aux enjeux juridiques locaux impliquant les collectivités.
Avec le Ministre d'Etat, Nicolas Sarkozy, qui est lui-même avocat, nous sommes déterminés à vous donner la place que vous méritez et que les collectivités méritent, elles aussi.
En jouant un rôle accru au service de l'Etat et des collectivités, l'avocat pourra, ainsi, contribuer à donner tout son sens au droit public qui, plus que d'aider le citoyen, tient son existence et sa légitimité dans un service atypique en faveur de la chose publique.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 28 octobre 2005)