Discours de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, notamment sur la profession des avocats, la construction de l'Europe judiciaire, la coopération européenne dans la lutte contre le blanchiment, le libre établissement des avocats dans les pays membres de l'Union européenne, l'accès au droit, l'aide juridictionnelle, le règlement intérieur harmonisé, les incidences de la TVA sur l'accès au droit...Marseille, le 24 mai 2001.

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Circonstance : 57ème congrès de la FNUJA, à Marseille, le 24 mai 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Député-Maire,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Monsieur le Premier Président et Monsieur le Procureur Général,
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrai tout d'abord vous remercier de m'accueillir à l'occasion du 57e Congrès de votre organisation et de nous permettre ainsi de débattre ensemble sous les couleurs phocéennes. Vous avez évoqué l'histoire, monsieur le Président, et c'est vrai qu'on ne peut pas rester indifférent à une ville qui s'enorgueillit de plus de 2600 ans d'existence comme on ne peut pas oublier non plus que l'hymne national de notre pays depuis 1795 s'appelle, justement, la marseillaise. On comprend qu'avec de tels atouts Alexandre Dumas lui-même n'ait pas craint de la comparer avec la capitale en allant jusqu'à dire que si Paris avait une canebière, ce serait un petit Marseille !
La richesse de Marseille, c'est aussi son port qui lui donne son incomparable ouverture sur le monde - c'est " Marseille porte ouverte sur l'Orient "- et qui lui permet de s'affirmer comme ville euroméditerranéenne. Il suffit de se promener dans ses rues pour apprécier l'énergie qui s'en dégage et comprendre à quel point ici nous sommes dans une ville en mouvement perpétuel, une ville d'accueil, propice au nouveaux départs et aux rencontres.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que votre congrès s'y réunit puisque c'était déjà le cas il y a 18 ans, en 1983. A cette époque, vous réclamiez un budget plus important pour la justice. Vous aviez raison de rappeler la nécessité de la doter des moyens suffisants pour sa mission puisse être assurée dans des conditions dignes de notre démocratie. Vous savez que nous n'avons eu de cesse, depuis quatre ans, de rattraper les retards qui avaient pu être pris dans ce domaine. Cela ne fait plus aujourd'hui débat tant personne ne prendrait le risque de revenir sur la place prioritaire de l'institution judiciaire.
Vous le savez bien, vous qui êtes au cur de la pratique du droit et qui mesurez l'importance d'une justice indépendante et respectueuse des droits des parties. Nous avons beaucoup avancé, notamment grâce à la loi du 15 juin 2000, sur ce sujet. Je sais combien votre profession s'est battue pour que nous inscrivions dans la loi les termes d'un procès équitable quels que soient les actes, la personnalité ou les origines de ceux qui se retrouvent confrontés à la justice. Mais n'est-ce pas là justement ce qui fonde votre métier et l'avocat n'est-il pas celui qui tend la main au plus faible, qui défend jusqu'à l'indéfendable et côtoie le la violence des uns, la naïveté ou le désespoir des autres avec une même obstination : faire triompher le droit. Ceci vous honore et votre profession est depuis toujours partie prenante de l'Etat de droit. Bien sûr, il y a des procès médiatiques et des avocats qui le sont. Certains veulent aussi médiatiser la justice, plus souvent pour la vilipender que pour saluer son action. Laissons de côté ces agitations stériles et ces paillettes éphémères pour ne regarder que ce qui a vocation à durer.
La régulation des rapports économiques et sociaux ne pourrait s'envisager sans l'intervention de votre profession.
Par son activité de conseil auprès des entreprises et des particuliers, elle contribue à la diffusion du droit, participe au développement du pays et assure la sécurité des échanges et des actes juridiques.
Par son activité de représentation devant les juridictions, elle assure le maintien de l'égalité des armes entre les partie et contribue à la sérénité et l'autorité de la justice.
Par son rôle de défense des justiciables, elle veille au respect des droits de la personne. Car l'avocat est, principalement et avant tout, pour les justiciables, un défenseur qui sait les écouter et qui prête sa voix pour que leur cause soit entendue. Il est celui qui sait traduire ce qui est une histoire personnelle en termes juridiques, celui qui sait expliquer le droit et l'organisation de l'institution judiciaire à des citoyens souvent mal informés, celui enfin qui doit veiller à ce qu'il n'y ait pas de faux procès ou de simulacre de justice.
Il contribue par là-même au renforcement de la cohésion sociale et favorise par son action une plus grande égalité entre les citoyens.
Enfin, dans cette mission de défense, il apporte la nécessaire contradiction permettant au juge d'accéder au doute et de dépasser ainsi les fausses certitudes. Il n'y a pas de procès équitable si on a muselé la défense.
Vous avez choisi l'Europe pour thème de votre congrès. Je crois qu'il était nécessaire de s'interroger sur ses incidences possibles ou souhaitables à court et moyen terme. L'Europe est en effet devenu l'un des lieux incontournables où se décident des orientations majeures pour les pays qui la composent. Par ses directives autant que par ses traités, elle a pris une place dans l'architecture de notre droit que nul ne peut plus ignorer. Le droit communautaire est aujourd'hui au programme de tous les étudiants, qu'ils se destinent à la magistrature ou à la profession d'avocat et aucun d'entre eux ne pourrait aujourd'hui considérer qu'il s'agit d'une matière optionnelle. Les décisions de la Cour européenne des Droits de l'Homme ou celle de la Cour de Justice sont attendues parce qu'elles donnent le la en matière de principes de droit. Leur existence est, me semble-t-il, bien connue des citoyens qui savent qu'il y a désormais des possibilités européennes de recours.
Bien sûr, on fera remarquer que l'Europe a plus vite avancé sur les questions financières ou de libre circulation des marchandises et des hommes que dans le domaine de la justice et c'est vrai mais nous faisons en sorte que cela soit de moins en moins vrai.
Vous savez que la lutte contre la criminalité transfrontalière et en particulier la criminalité économique et financière a été l'une des priorités d'action de la Présidence française de l'Union. Nous avions également cherché à avancer dans la mise en pratique opérationnelle d'une coordination judiciaire multilatérale.
Le traité de Nice contient des chapitres importants qui vont dans ce sens et je peux vous assurer que nous continuons à travailler chaque jour à construire l'Europe judiciaire.
L'EUROPE JUDICIAIRE
La construction d'un véritable " espace judiciaire européen " est un des grands chantiers actuels de la Communauté. Sa nécessité est évidente et lié à l'imbrication de plus en plus forte des pays qui la composent. Nos concitoyens ne comprennent pas qu'une décision de justice prise dans un pays de l'Union ne puisse pas prétendre à être appliquée dans un autre Etat membre alors même qu'une décision d'ordre financier peut être simultanément appliquée dans plusieurs pays. Ils ne peuvent pas non plus comprendre que les frontières abolies pour les uns continueraient à exister pour les autres, notamment en ce qui concerne l'entraide judiciaire pénale.
Mais on doit garder en tête ce qu'écrivait J.DELORS à ce sujet : " la construction de l'Europe judiciaire interdit toute vision unifiante trop simpliste, et nécessite la construction patiente d'une relation de confiance entre ceux qui, dans chaque pays, sont chargés de dire le droit ou de mener des enquêtes ".
L'Europe judiciaire est un grand projet politique dont on commence à percevoir des réalisation concrètes, tant dans le domaine civil que pénal.
Ainsi, dans le domaine du droit de la famille, le règlement communautaire dit " Bruxelles II ", en vigueur depuis le 1er mars dernier, permet à tous les juges européens du divorce d'avoir les mêmes règles de compétence juridictionnelle et de faciliter la circulation de leurs décisions.
Le 28 mai prochain, je participerai à un Conseil à Bruxelles qui adoptera un règlement qui simplifiera et accélérera l'exécution des commission rogatoires civiles. Le même Conseil mettra en place un Réseau de Coopération judiciaire civile destiné à faciliter le travail direct entre les praticiens du droit.
Par ailleurs, l'élaboration d'un titre exécutoire européen figure parmi les grandes priorités du programme de travail sur la reconnaissance mutuelle, adopté sous la présidence française.
La matière pénale est également pleinement concernée par ce plan d'action sur la reconnaissance mutuelle. Dans ce domaine, le programme de mise en uvre du principe de reconnaissance mutuelle est très ambitieux et vise non seulement les mesures préalables au jugement définitif mais également l'exécution des décisions de condamnation, qu'il s'agisse de la condamnation à l'emprisonnement, à l'amende ou à d'autres types de peines.
Vous regrettez l'absence d'un parquet européen.
Cette idée d'un parquet européen avait été émise pour permettre une lutte efficace contre la fraude au budget communautaire.
L'idée n'a pas été retenue à Nice car la création d'un parquet européen ne peut venir que parachever un long travail de rapprochement des législations et de coopération judiciaire pénale. D'ores et déjà, les Etats membres ont décidé de rechercher des définitions, des infractions et des sanctions communes dans des domaines présentant un intérêt particulier comme la traite des personnes, le blanchiment et la protection de l'euro. Ces efforts concrétisés par l'adoption de plusieurs instruments, témoignent de la détermination des Etats membres à réduire les disparités entre nos législations dans le domaine pénal.
Par ailleurs, et dans l'optique de l'amélioration de la coopération judiciaire, il faut saluer l'efficacité et l'implication des magistrats de liaison, pionniers en la matière, pour aider à une meilleure compréhension des législations respectives et favoriser l'entraide. Le réseau judiciaire européen a su lui aussi devenu un rouage essentiel de l'Europe de la Justice grâce au travail des 35 points de contact régionaux. Cette année a vu la mise en place, dans les délai très courts qui avaient été fixés, c'est-à-dire le 1er mars, à Bruxelles, de Pro-Eurojust (Eurojust provisoire). Bien entendu, plusieurs négociations sont en cours pour créer un espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce sera alors, véritablement, le territoire européen que nous attendons tous. Il sera, j'en suis convaincue, l'argument décisif pour emporter tous les scepticismes qui restent encore à propos de l'Europe.
Déjà, une dynamique importante se dégage de l'unité provisoire (Pro-Eurojust) et la qualité des magistrats nommés par les 15 permet de penser qu'ils ne sont vraiment pas là pour faire de la figuration.
Leur objectif est triple :
1 Contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites.
2 Apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée, notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol.
3 Coopérer étroitement avec le Réseau judiciaire européen afin, notamment de simplifier l'exécution des commissions rogatoires.
Le poids de l'histoire, les oppositions d'intérêt, incitent donc à soutenir une approche pragmatique et réaliste, qui commence à donner des premiers résultats, par exemple pour l'exécution des commissions rogatoires ou pour les procédures d'extradition.
La construction européenne oblige tant les Etats que les citoyens, et parmi eux particulièrement les professionnels à se remettre en question et à modifier leurs habitudes et leurs modes de fonctionnement.
Ces remises en question peuvent parfois être difficiles, mais pour ce qui concerne les avocats, j'ai confiance en votre capacité à vous adapter aux changements et à inspirer des avancées dont les justiciables ne pourront que se féliciter.
Mon intervention ne prendra donc pas la forme d'un discours ; les nombreux sujets que vous avez abordés m'incite aussi à pratiquer cet exercice dynamique de " question/réponse ". Gardons les discours convenus pour d'autres enceintes.
LE BLANCHIMENT ET LE SECRET PROFESSIONNEL
Sur le blanchiment, je voudrai d'abord rappeler l'ampleur du phénomène. Je m'en tiendrai à un seul chiffre : chaque année les opérations de blanchiment engendrent un revenu mondial clandestin estimé par le Fonds monétaire international autour de 4 % du produit intérieur brut mondial, soit 1.000 milliards d'euros.
Je souhaite poursuivre, aujourd'hui, avec vous le dialogue noué à l'occasion des discussions du mois de décembre dernier.
Ces données doivent nous convaincre que le blanchiment représente une menace permanente pour la stabilité de nos économies. Ce n'est pas seulement une affaire de grands argentiers, mais un véritable fléau qui nous concerne tous, dans nos institutions, nos entreprises et aussi dans notre vie quotidienne parce qu'il s'appuie sur des réseaux criminels locaux.
Face à cette menace, les Etats doivent prendre des mesures énergiques. Les citoyens européens n'admettent pas que l'argent sale puisse prospérer impunément et ressentent comme étant la leur l'impuissance des Etats à appréhender ces profits illicites. De plus, cette impunité ne fait que renforcer le sentiment d'injustice et d'inégalité devant la loi, sentiment préjudiciable à la société entière.
Il fallait donc absolument, entre autres mesures, étendre et renforcer les mécanismes de prévention du blanchiment déjà mis en place par une précédente directive de 1991.
C'est ainsi que l'ensemble des Etats de l'Union ont trouvé un accord sur les conditions d'extension de la déclaration de soupçon à plusieurs professions et notamment à la profession d'avocat.
Pour parvenir à cet accord, la France, dans l'exercice de la présidence de l'Union européenne, s'est attachée à promouvoir une voie de compromis qui puisse à la fois renforcer les moyens de lutter contre le blanchiment des capitaux tout en préservant en tous points les droits de la défense et, au-delà, le secret que l'avocat doit à son client.
C'est pourquoi, le projet de directive prévoit, et il me semble important de citer le texte, que la déclaration de soupçon des avocats n'a pas vocation à s'étendre, " aux informations reçues d'un de leurs clientslors de l'évaluation de sa situation juridique ou dans l'exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire, y compris, et j'insiste sur ce point, dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues en amont, pendant ou un aval de cette procédure.
Ainsi, le régime de la déclaration de soupçon, loin d'attenter à l'essence même de votre profession, protège la liberté de conscience de l'avocat, et préserve la confidentialité qu'il doit à son client ; elle consacre l'unicité de son engagement éthique, en ne dissociant pas le conseil de la défense.
Dans cette perspective, le Parlement européen, lors de la deuxième lecture du nouveau projet de directive, s'est attaché à limiter les obligations susceptibles de peser sur l'avocat.
LA DIRECTIVE LIBRE ETABLISSEMENT
La directive sur le libre établissement me semble être au cur de vos débats.
Cette directive, adoptée le 15 décembre 1997, constitue une nouvelle étape dans la reconnaissance des qualifications professionnelles et le plein exercice de la liberté d'établissement consacrée par le Traité CE.
Dans son principe, elle autorise l'exercice de la profession par les ressortissants des autres Etats et, sous certaines conditions, l'obtention du titre sans test d'aptitude.
L'exercice de la profession peut également s'effectuer sous forme collective, avec d'autres avocats de l'Etat membre d'origine et/ou d'autres Etats membres y compris celui d'accueil, si la législation de ce dernier le permet.
Cette directive, comme souvent en matière de directive, constitue un texte de compromis. Elle constitue néanmoins un progrès déterminant, en permettant aux avocats de défendre et conseiller leurs clients, particuliers ou entreprises, au-delà de leurs frontières d'origine.
Dans le prolongement du Traité d'Amsterdam et du sommet de Tampere, qui marquent un renforcement de l'action des Etat membres dans le domaine de la coopération judiciaire, elle va, en outre, favoriser l'édification d'un véritable Espace juridique et judiciaire.
Pour les 520 000 avocats européens, cette directive ouvre de nouvelles et réelles perspectives.
Elle doit constituer, notamment pour vous les jeunes avocats, une source d'ambition renouvelée.
Sans avoir à redouter la concurrence, le barreau français a incontestablement tous les atouts pour se saisir de ce nouvel outil et prendre pleinement sa part à l'édification de la maison européenne du Droit.
C'est dans cette perspective que mes services ont engagé la concertation avec le Conseil national des barreaux afin qu'un projet de loi de transposition soit élaboré et finalisé les meilleurs délais possibles.
Je connais votre implication et votre attachement aux valeurs déontologiques communes, valeurs consacrées par le code élaboré par le Comité consultatif des barreaux européens. Tout cela me permet de ne pas douter que vous contribuerez activement au renforcement du pluralisme juridique dans une Europe pacifiée.
Nous sommes décidés à aller dans le sens d'une plus grande présence des avocats nationaux sur le terrain international et à les aider pour cela en favorisant la création de nouvelles structures qui leur permettront de s'adapter à un marché européen ouvert.
L'avant-projet de texte permettant de créer des holdings est prêt. Cette nouvelle structure favorisera les politiques de mutualisation des compétences et facilitera l'intégration de nouveaux associés, notamment de jeunes aux capacités d'investissement souvent limitées en début de carrière.
Les réflexions sur l'interprofessionnalité avancent aussi. Tout comme la création de holdings, nous veillerons à ce qu'elles préservent les règles déontologiques dont la forte exigence ne peut être supprimée ou amoindrie à cette occasion.
Mais je vous dois aussi la vérité quant aux contraintes du calendrier parlementaire.
En ce qui concerne les projets en cours, nous pouvez compter sur mon appui pour les concrétiser.
L'automne sera consacré au budget et à quelques textes prioritaires ou en fin de navette parlementaire.
Je ne vous cacherai pas qu'à l'heure du choix, la loi pénitentiaire, dont l'intitulé devra évoluer vers la notion du sens de la peine, de l'exécution des peines et du service public pénitentiaire ainsi que le projet sur l'accès au droit seront mes priorités. Je vous dois le langage de la vérité. J'entends sur ces deux textes tenir mes engagements, notamment s'agissant de l'accès au droit, engagements pris dans le protocole signé avec notre profession au mois de décembre dernier.
L'ACCES AU DROIT ET L'AIDE JURIDICTIONNELLE
La commission présidée par Paul BOUCHET a fait un remarquable travail dans un temps très limité. Son rapport montre les insuffisances et les dysfonctionnements dont souffrent l'aide juridictionnelle et l'accès au droit.
Les propositions faites par la commission sont toutes en cours d'examen, mais je souhaite surtout qu'elles fassent l'objet d'un vaste débat. Nous disposons là d'une base de travail récente, documentée qui garantit une discussion constructive et non pas spéculative.
J'ai noté Monsieur le Président les premières observations --presque à chaud - de votre fédération, tant sur la forme que sur le fond.
Vous avez manifesté votre accord sur certaines pistes par la Commission BOUCHET, vous en récusez d'autres, en particulier le tarif forfaitaire à l'heure que vous estimez incompatible avec la mission d'un avocat indépendant ou encore la suppression de la tranche d'aide juridictionnelle partielle.
Je vous remercie d'ouvrir le débat, je vous l'ai dit, j'y suis profondément favorable. Il va de soi que je n'entends pas trancher de ces questions complexes et délicates dans la solitude d'une démarche administrative. Je suis en mesure de vous annoncer aujourd'hui que dès le 8 juin prochain, une réunion se tiendra à la Chancellerie avec l'ensemble des organisations d'Avocats.
LE REGLEMENT INTERIEUR HARMONISE (RIH)
La loi du 31 décembre 1991 (article 21-1) charge le Conseil national des barreaux de veiller à l'harmonisation des règles et usages de la profession.
La CNB a édicté un règlement intérieur harmonisé (RIH) que certains barreaux ont adopté intégralement, mais que d'autres ont, soit refusé, soit accepté partiellement.
Les dispositions les plus contestées sont celle qui restreignent la possibilité pour l'avocat d'exercer en réseau pluridisciplinaire (article 16 du RIH) et celles qui lui font interdiction de cumuler des mandats pour enchérir sur un même immeuble saisi.
25 règlements intérieurs ont fait l'objet de recours, certains parce qu'ils reprenaient le RIH, d'autres (en petit nombre) pour la raison inverse.
Les cours d'appel quant à elles ont été divisées sur la portée normative du RIH, certaines admettant son caractère obligatoire, d'autres le refusant.
La cour de Cassation a tranché cette question dans un arrêt du 13 mars 2001 qui a reconnu que le RIH avait nécessairement une portée normative et réglementaire pour unifier les règles déontologiques et éviter les disparités préjudiciables entre les ordres.
La question de la légalité sur le fond des dispositions litigieuses des règlements reste toutefois posée.
Vous serez donc invités très prochainement, ainsi que les autres organisations professionnelles d'avocats, à venir vous exprimer sur les propositions qui ont été faites, afin que je puisse, à la lumière de ces consultations, élaborer un projet de loi.
LA REFORME DU 15 JUIN 2000
J'ai déjà eu l'occasion de dire publiquement, lors de la conférence des bâtonniers en janvier dernier, combien les avocats avaient su soutenir le progrès législatif que constitue la loi du 15 juin 2000, dite loi présomption d'innocence, mais dont j'aime à rappeler qu'elle améliore aussi le sort des victimes.
Aujourd'hui, après 5 mois d'application, le temps est venu des premières évaluations. Bien sûr, elles devront être affinées, notamment après le rapport d'évaluation que doit déposer dans la première quinzaine de juin l'Inspection générale des services judiciaires. Je vous livre les informations dont je dispose à l'heure actuelle d'autant plus volontiers que je sais combien vous souhaitez les connaître.
- sur la garde à vue :
Les avocats interviennent sans problèmes majeurs signalés dans les commissariats en milieu urbain, avec une présence moins fréquente en milieu rural dans les brigades de gendarmerie.
Je n'ai pas encore de chiffres, mais c'est la tendance.
De janvier 2001 à avril 2001, par rapport à la même période en 2000, le nombre de gardes à vue a baissé de 10 % environ. L'encadrement de la garde à vue porte donc ses fruits.
- sur la détention provisoire :
On constate une baisse de 26 % des détentions provisoires au premier trimestre 2001 par rapport au 1er trimestre 2001. Ce sont près de 2700 personnes en moins qui ont été placées en détention provisoire, et cela alors même que les juges des libertés et de la détention suivent les propositions les juges d'instructions dans plus de neuf cas sur dix.
Autrement dit, magistrats instructeurs et JLD ont bien intégré la nécessité du caractère exceptionnel de la détention provisoire;
- sur l'application des peines :
Les libertés conditionnelles sont plus nombreuses (28 % de plus en janvier/ février 2001 qu'à la même période en 2000).
Surtout, le climat, notamment pour les " longues peines ", est bien meilleur dans les établissements pénitentiaires grâce aux espoirs suscités par la juridiction de libération conditionnelle.
Autrement dit, la bataille de la loi du 15 juin 2000 est en train d'être gagnée et les avocats n'y ont pas été étrangers ;
Que parmi eux, les UJA en soient remerciées.
LES REFLEXIONS SUR LA TVA
Le protocole d'accord que nous avons signé au mois de décembre dernier prévoit qu'une réflexion sera menée sur les incidences de la TVA sur l'accès au droit.
Vous savez qu'il s'agit là d'un sujet difficile et les composantes communautaires en rendent les évolutions plus délicates.
Une première réunion a eu lieu récemment à la Chancellerie avec les représentants du Ministère de l'Economie et des Finances et un représentant du Conseil National des Barreaux
Une nouvelle réunion est prévue fin juin pour examiner les éléments concrets qui auront été mis en commun.
LE PRETOIRE
L'application de la loi du 12 avril 2000 dont l'article 24 permet l'intervention d'un avocat devant la commission de discipline des établissements pénitentiaires est des plus positives.
Il est vrai que le Ministère de la Justice s'était montré réservé quant à l'application de cette loi dont nul ne pouvait affirmer qu'elle avait été rédigée dans le but avéré de l'appliquer dans les établissements pénitentiaires.
C'est pourquoi, un avis du Conseil d'Etat était souhaitable, afin de ne pas commettre d'impair dans un domaine dont chacun connaît le caractère sensible.
Le Conseil d'Etat a tranché et la loi du 12 avril s'applique depuis maintenant 7 mois sans difficulté particulière. Bien au contraire, nous constatons, comme il était possible de s'y attendre, que l'intervention d'un avocat permet aux détenus non seulement de mieux se faire entendre mais aussi de mieux comprendre le sens de leur comparution devant la commission de discipline. C'est là un point important et auquel je tiens, qui est celui de la lisibilité du droit et de la justice pour ceux qui ont affaire à elle.
Si la loi du 12 avril avait été perçue parfois avec réticences, celles-ci semblent levées, et les directeurs d'établissements pénitentiaires estiment que la présence de l'avocat permet d'apaiser les conflits. Là encore, je crois que cela confirme combien l'intervention d'un tiers dans des situations difficiles est une bonne démarche de dénouement des crispations. La collectivité doit donc bien y être favorable à chaque fois que cela s'impose.
Ces nouvelles dispositions sur la commission de discipline et la juridictionnalisation de l'application des peines ouvrent un vaste champ d'intervention à la défense. C'est ainsi que progresse l'Etat de droit et chacun peut s'en féliciter.
La rémunérations des avocats intervenant dans ce cadre devra faire l'objet d'une modification législative, qui sera intégrée au projet de loi que je déposerai à l'automne.
D'ores et déjà, certains conseils départementaux de l'accès au droit prennent en charge ces dépenses. Les comptables publics des CDAD avaient parfois refusé cette prise en charge, mais le ministère de l'économie a donné des instructions pour régler cette question.
LE DROIT DE LA FAMILLE
Comme vous le savez, le Gouvernement a engagé une réforme du droit de la famille indispensable pour le rendre plus adapté aux réalités actuelles.
Un document d'orientation global a été présenté le 4 avril dernier par Ségolène Royal et par moi-même. Ce document faisait suite aux rapports d'Irène Théry et de Madame Dekeuwer-Defossez, au colloque sur le droit de la famille organisé le 4 mai 2000 au Carrousel du Louvre, et aux nombreuses consultations que nous avons menées.
Il permet de présenter globalement, dans un ensemble cohérent, les propositions faites par le Gouvernement sur les 5 grands axes de la réforme. Ils font l'objet, vous le savez, de propositions de lois qui ont ou seront bientôt examinés par le Parlement.
C'est ainsi que la filiation et l'autorité parentale seront discutées à l'Assemblée Nationale les 12 et 14 juin prochains, l'examen du texte relatif au divorce devrait être inscrit à l'automne, celui concernant le nom a été voté en 1ère lecture le 8 février et sera examiné par le Sénat le 21 juin, de même que le texte sur les droits du conjoint survivant, qui fera l'objet d'une lecture au Sénat le même jour, après avoir été adopté en 1ère lecture à l'Assemblée Nationale les 6 et 8 février.
Cette réforme du droit de la famille, qui soulève des questions fondamentales, est conçue pour tous et doit être acceptée par tous.
C'est pourquoi, au-delà des rapports et concertations avec les spécialistes et les professionnels, il m'est apparu indispensable d'associer les citoyens à cette démarche, le dialogue et les échanges d'idées sont toujours nécessaires, mais encore plus dans ce domaine que dans d'autres.
Quatre débats citoyens ont donc été organisés, afin de permettre à tous de s'exprimer sur ces sujets oh ! combien sensibles.
Ces débats passionnants et d'une grande richesse permettront, j'en suis sûre, de parvenir à une réforme équilibrée, acceptable par tous et adaptée aux besoins de la société actuelle.
Je souhaite conclure sur les " Entretiens de Vendôme ".
Je ne peux vous suivre lorsque vous manifestez votre préférence pour un " modeste Livre Blanc", à " une vaste concertation intégrant des composantes disparates du monde de la justice ".
Après avoir reçu de nombreuses visites place Vendôme : fonctionnaires, avocats et magistrats, j'ai acquis la conviction que ces " composantes disparates " étaient précisément disparates parce qu'elles ne savaient pas se parler.
Que n'ai-je entendu les uns critiquant les autres. Les regards échangés étaient ceux de la méfiance plutôt que ceux de la complicité.
Je ne crains pas de dire que le mal vivre des acteurs du monde judiciaire était palpable, évident, pour le regard encore extérieur qui était le mien à cette époque.
Il était grand temps de libérer la parole ; de décloisonner le monde judiciaire et d'en faire un monde justement et non des mondes.
La vie judiciaire est faite d'interactivité ; un magistrat quelles que soient ses qualités et ses compétences n'aura pas la capacité d'être un " bon " magistrat rendant de " bonnes " décisions, si les avocats ne lui présentent pas de " bons " dossiers exploitables. Que l'un des maillons de la chaîne judiciaire soit médiocre et c'est la justice qui le sera aussi.
La justice et ses auteurs doivent apprendre à faire mieux, autrement souvent, mais ensemble toujours. C'est le sens de ma démarche sur la qualité de la justice.
Les " Entretiens de Vendôme " doivent être aussi bien au niveau national que local un lieu de dialogue - et j'ai pu personnellement constater tant au niveau national que local qu'après des débats difficiles de nouvelles pratiques s'installent. Ils sont lieu de réflexion, dirigée vers l'amélioration du fonctionnement des juridictions et cela passe en particulier par la recherche d'une meilleure qualité du service offert aux citoyens.
N'oublions pas que la justice n'appartient pas plus aux magistrats qu'aux avocats et que si la justice est rendue au nom du peuple français, elle doit être rendue dans le seul intérêt de nos concitoyens et de la collectivité qu'ils composent.
Voilà les réponses que je peux apporter à vos interrogations. Je sais bien que vous voudriez que je vous promette plus encore et que tout soit déjà en place avant même d'avoir été discuté. Je ne crois pas que vous pourriez trouver que ma démarche de dialogue et de débat n'est pas une bonne chose et regretter d'être associé à l'avancement des dossiers qui vous concernent directement. Cela prend plus de temps qu'une décision que je prendrais sans concertation mais qui serait une décision que personne ne comprend ou que personne ne veut appliquer, j'appelle cela tout simplement une mauvaise décision. Je n'aime pas non plus prendre des engagements que je sais ne pas pouvoir tenir mais sachez que pour ceux que je prends, je mets toute mon énergie et tout mon pouvoir pour les faire aboutir dans des termes et des délais acceptables. C'est peu de chose mais c'est peut-être l'essentiel pour avancer ensemble sur le même chemin.
Je vous remercie.

(source http://www.justice.gouv.fr, le 31 mai 2001)