Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach : Les pièces d'un dossier d'instruction qui visaient la scientologie ont disparu. Un des avocats de la partie civile vous a écrit hier. Il paraît que ce dossier est instruit depuis treize ans. Qu'allez-vous faire, tout simplement ?
Élisabeth Guigou : J'apprends cela ce matin, en vous écoutant.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous faites bien de nous écouter, vous voyez…
Élisabeth Guigou : … Et je pense que, par conséquent, c'est une affaire couverte par le secret de l'instruction, bien entendu. Et moi, je ne suis pas dans les dossiers de l'instruction, et je ne veux pas y être. Cela, c'est une époque révolue. En même temps, si les parties – qui ont le droit de s'exprimer, elles, et elles sont les seules à pouvoir le faire puisque l'article 11 les délie du secret de l'instruction – estiment qu'il y a eu un dysfonctionnement, à ce moment-là, je vais naturellement demander qu'on regarde. Et qui va regarder ? Pas moi, puisque je suis respectueuse de l'indépendance des magistrats instructeurs, mais je vais demander au chef de cour, c'est-à-dire au premier président de la cour d'appel de Paris et au procureur général, de me dire si, à leurs yeux, il y a eu dysfonctionnement. Voilà. Nous allons tirer cela au clair parce que personne ne peut être…
Jean-Pierre Elkabbach : Et s'il y a dysfonctionnement ?
Élisabeth Guigou : … Parce que personne ne peut être soupçonné dans notre pays d'être protégé. Il n'y a pas d'intouchable, et par conséquent les dossiers… Alors vous avez des dossiers d'instruction qui ont des délais, c'est assez courant lorsqu'il s'agit d'enquêtes très complexes.
Jean-Pierre Elkabbach : Mais treize ans…
Élisabeth Guigou : Mais il s'agit de savoir, en effet, si, en la matière, en l'occurrence, il y a eu dysfonctionnement. Eh bien cela, je vais demander aux responsables de l'autorité judiciaire de tirer cela au clair.
Jean-Pierre Elkabbach : Si j'ai bien compris ce que vous avez dit : personne, aucune secte, personne, même si elle a des complices ou des comparses, ne peut être protégé ?
Élisabeth Guigou : Mais bien entendu ! Il n'en est pas question !
Jean-Pierre Elkabbach : Ça veut dire aussi qu'il n'est pas impossible en France, de juger même des sectes, et celle-là ?
Élisabeth Guigou : Chaque personne, chaque groupe qui enfreint la loi dans notre pays, est poursuivi. Et par conséquent, personne n'est intouchable.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous lancez aujourd'hui la réforme des tribunaux de commerce – vous allez en parler, tout à l'heure, au conseil des ministres devant le président de la République et le Premier ministre – une institution vieille de 435 ans, qui vivait selon la loi du silence et du secret. De vrais magistrats rendront la justice aux côtés des juges consulaires – c'est ce que vous appelez « la mixité » –, si je comprends bien avec des pros ; cette fois-ci, il y aura des pros dans les tribunaux de commerce ?
Élisabeth Guigou : Ça fait longtemps qu'on sait qu'on a besoin de moderniser notre droit économique en général, et la justice consulaire en particulier. C'est une justice qui est rendue par des gens qui sont bénévoles ; qui consacrent donc, sans être rémunérés, une bonne partie de leur temps à faire cela ; et qui, pour la plupart, remplissent très, très bien ces fonctions. Sauf que il y a eu trop de dérives, d'abus, de malversations, à la fois dans les tribunaux de commerce et dans les professions, les auxiliaires – les greffiers, les mandataires et les liquidateurs –.
Jean-Pierre Elkabbach : 500 mandataires de justice…
Élisabeth Guigou : Et donc là, pour l'image même de la justice commerciale, c'est-à-dire que pour l'image de notre pays – à l'étranger aussi puisque, évidemment, l'économie c'est l'ouverture sur le monde –, nous avons besoin de moderniser cette justice et de faire en sorte que les brebis galeuses, les malversations ne puissent plus se reproduire. Je crois que la justice commerciale, elle-même, les juges consulaires le demandent. Ils sont venus me le demander, et c'est ce que nous allons faire. Tout à l'heure, je présente une communication en conseil des ministres.
Jean-Pierre Elkabbach : Donc les juges consulaires seront dessaisis de la moitié du pouvoir qu'ils exerçaient jusqu'à présent ?
Élisabeth Guigou : Non, il ne faut pas voir les choses comme ça. Je crois qu'on a besoin d'une justice consulaire qui puisse, à la fois, profiter du savoir-faire, à la fois, des juges consulaires – qui sont des chefs d'entreprise, qui connaissent le monde de l'entreprise –, et d'autre part des magistrats professionnels qui connaissent la procédure et le droit. Et quand je parle de mixité – plutôt que d'échevinage qui est un vieux terme, qui renvoie au Moyen Âge – quand je parle de mixité, ça veut dire qu'il faut qu'il y ait cet enrichissement réciproque…
Jean-Pierre Elkabbach : La parité ?
Élisabeth Guigou : … C'est-à-dire, qu'il y ait des magistrats professionnels expérimentés dans les tribunaux de commerce et qu'en retour, il y ait des juges consulaires dans les tribunaux ordinaires. Pourquoi ? Parce qu'on a aussi besoin dans les cours d'appel, quand on juge les conflits du travail par exemple, d'avoir des experts.
Jean-Pierre Elkabbach : La réforme s'engage. À votre avis, quand sera-t-elle appliquée ?
Élisabeth Guigou : J'ai un calendrier assez précis. Moi, ce que je souhaite, c'est que nous puissions, au début de l'an 2000, pouvoir commencer à appliquer cette réforme. Cela va être un gros travail législatif, l'année 1999. J'espère que le calendrier parlementaire le permettra. Il va falloir réformer la carte des tribunaux de commerce.
Jean-Pierre Elkabbach : Il y en a 230 à peu près aujourd'hui.
Élisabeth Guigou : Il y en a 227.
Jean-Pierre Elkabbach : Et, il y en aura ?
Élisabeth Guigou : Vous avez des endroits dans lesquels vous avez une dizaine de tribunaux de commerce. Alors non, je ne dis pas : « il y en aura », parce que, moi, je souhaite qu'on fasse un travail sur le terrain à partir de la réalité. Mais je sais qu'il y a des endroits dans lesquels il y en a trop ; des tribunaux de commerce qui sont trop petits ; et il y a des cas dans lesquels la proximité, en réalité, c'est de la promiscuité.
Jean-Pierre Elkabbach : Il y a en aura moins de 227 au total, à la fin ?
Élisabeth Guigou : Forcément, on en supprimera, oui. On en supprimera, c'est clair.
Jean-Pierre Elkabbach : Il vous faudra 350 magistrats. Où allez-vous les trouver ?
Élisabeth Guigou : Le ministre de l'économie et des finances, et de l'industrie, Monsieur Dominique Strauss-Kahn, m'a promis que j'aurai les moyens qui correspondraient à cette réforme. D'ailleurs, nous mettrons en place cette réforme au fur et à mesure que l'on dégagera des moyens supplémentaires, c'est-à-dire des postes de magistrats pour exercer ces fonctions.
Jean-Pierre Elkabbach : Voilà.
Élisabeth Guigou : Il n'y a pas que la réforme pour les juges. Il y a la réforme des professions. Nous avons besoin d'un contrôle beaucoup plus étroit sur l'exercice de cette profession pour éviter les conflits…
Jean-Pierre Elkabbach : Pour les administrateurs, les greffiers, les liquidateurs…
Élisabeth Guigou : Voilà. Et pour contrôler les tarifs, ce que j'ai déjà commencé à faire, parce que ça n'est pas simplement depuis les rapports parlementaires et les rapports des inspections que je m'occupe des tribunaux de commerce. Je me souviens, il y a un an exactement, j'avais déjà fait un discours devant leur conférence générale en disant qu'il fallait une profonde réforme.
Jean-Pierre Elkabbach : On pourrait continuer longtemps. Mais vous parlez longtemps des tribunaux de commerce pour ne pas parler du PACS, Madame Guigou. Alors parlons du PACS.
Élisabeth Guigou : Moi, je parle du PACS avec bonheur…
Jean-Pierre Elkabbach : Oui. Ah bon ?
Élisabeth Guigou : Je pense que c'est une bonne réforme, qui va être massivement votée par la majorité actuelle… (rires, NDLR).
Jean-Pierre Elkabbach : Remarquez, la meilleure réponse, c'est votre rire.
Élisabeth Guigou : Vous avez vu, hier…
Jean-Pierre Elkabbach : Oui, oui. Ils vous ont acclamée…
Élisabeth Guigou : Absolument.
Jean-Pierre Elkabbach : … Peut-être parce que, dans « Le Journal du Dimanche », vous les avez un peu engueulés ! Vous avez dénoncé « la lâcheté, l'hypocrisie » et certains d'entre eux se sont sentis…
Élisabeth Guigou : J'aurais préféré que cet accident de parcours ne se produise pas. Mais ils ont montré, hier à l'Assemblé, que vraiment ils étaient décidés à montrer que la majorité se mobilisait sur ce texte.
Jean-Pierre Elkabbach : On leur a tiré les oreilles. C'est possible d'être sûrs d'avoir la majorité pour le PACS ?
Élisabeth Guigou : Je pense que oui.
Jean-Pierre Elkabbach : En quoi ce texte est-il différent du texte précédent ? Parce que vous savez ce qu'a dit Jean-Louis Debré pour le RPR : il a reproché au gouvernement de violer les règles constitutionnelles sur le PACS, en représentant si vite un texte qui ressemble au précédent.
Élisabeth Guigou : Non. Ce qui a été décidé par les parlementaires, c'est d'intégrer d'abord les amendements – qu'on était décidé à accepter – qui améliorent le texte. Par exemple, ne pas attendre lorsqu'un des deux partenaires a une maladie grave, ne pas lui imposer des délais pour les droits de succession allégés, ou pour avoir accès à certains avantages. Ou encore, c'est vrai, traiter le problème des frères et soeurs. Alors là, je crois que c'est très important.
Jean-Pierre Elkabbach : On l'intègre dans votre projet, on intègre les frères et soeurs ?
Élisabeth Guigou : Je crois que ce qui est très important, c'est qu'il va dénaturer le sens du texte, qui s'adresse, d'abord prioritairement, aux couples homosexuels ou hétérosexuels, mais pas à eux seulement, depuis le début. On dit que des personnes qui vivent ensemble, tout simplement, sans avoir des liens charnels peuvent bénéficier du PACS. Mais on a exclu les frères et soeurs, les parents, etc., parce qu'à partir du moment où il y a présomption de relations sexuelles dans l'organisation d'une vie commune, on ne peut pas bénir naturellement ce qui pourrait être un inceste.
Jean-Pierre Elkabbach : La fratrie est supprimée du texte, de votre texte ?
Élisabeth Guigou : Non, mais le texte reste initial, c'est-à-dire…
Jean-Pierre Elkabbach : C'est compliqué !
Élisabeth Guigou : Non, non, non !
Jean-Pierre Elkabbach : Ça change tout le temps !
Élisabeth Guigou : Si vous m'écoutez, vous allez comprendre. C'est très simple.
Jean-Pierre Elkabbach : Je vous écoute, religieusement.
Élisabeth Guigou : Donc ce que les parlementaires proposent – et je crois que c'est une bonne solution à ce problème –, c'est qu'on pourra donner accès à certains frères et soeurs qui vivent ensemble – deux qui vivent ensemble –, certains avantages du PACS, sans qu'ils aient nécessairement à signer un PACS. Il leur faudra démontrer simplement – puisque le problème, c'est l'imposition commune – devant les services fiscaux, qu'ils ont une résidence commune.
Jean-Pierre Elkabbach : D'accord. Mais s'il y a trois frères et soeurs, trois soeurs et deux frères ?
Élisabeth Guigou : Eh bien, non !
Jean-Pierre Elkabbach : C'est toute la famille qui va bénéficier du PACS ?
Élisabeth Guigou : Non, nous avons décidé que c'était deux personnes, et deux personnes seulement. C'est un choix. Pourquoi ? Parce que si on dit : trois, quatre, cinq, pourquoi pas une fratrie de quinze ?
Jean-Pierre Elkabbach : Pourquoi pas toute la famille ?
Élisabeth Guigou : Pourquoi pas des sectes ? Puisqu'on avait commencé par là.
Jean-Pierre Elkabbach : Quelle horreur !
Élisabeth Guigou : Oui, quelle horreur ! Pourquoi pas la polygamie ? Donc non ! Nous ne faisons pas n'importe quoi.
Jean-Pierre Elkabbach : J'ai envie de vous dire : est-ce que le PACS pour le gouvernement Jospin, ça vaut tout ce bataclan et ces tracas ?
Élisabeth Guigou : Moi, je pense qu'on aurait pu, qu'on pourrait avoir un débat beaucoup plus serein sur ce sujet. Et je regrette, si vous voulez, que certains à droite le prennent de façon si politicienne.