Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, à RFO Martinique le 13 octobre 2006, sur les mesures de rattrapage budgétaire pour le logement social, les hôpitaux et les services publics, les difficultés locales spécifiques et la proposition de zone franche globale pour la Martinique.

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Circonstance : Déplacement aux Antilles, le 12 octobre 2006 en Guadeloupe et le 13 en Martinique

Média : Aitv/Rfo - RFO

Texte intégral

Q - Bonsoir à tous, bonsoir M. le Premier ministre. Merci de nous
accorder cet entretien. On connaît tous vos attaches avec la
Martinique, une partie de la famille de votre femme est d'ici. Or, cela
fait un an et demi que vous êtes Premier ministre et ce n'est que
maintenant que vous venez nous voir, à six mois d'une échéance
électorale très importante. Qui est-ce que l'on reçoit, c'est le chef
du Gouvernement ou un probable candidat à l'élection présidentielle qui
vient tâter le terrain ?
R - Non, c'est le chef de Gouvernement. Vous savez, je l'ai dit à tous
nos compatriotes, je souhaite que le Gouvernement travaille jusqu'au
dernier jour. Donc, c'est bien au service des Français, au service de
la Martinique que je suis ici.
Q - Vous annoncez le déblocage pour le logement social de 120 millions
d'euros, c'est la mesure phare annoncée hier en Guadeloupe. Donc 120
millions d'euros pour les quatre départements d'Outre-Mer, Martinique,
Guadeloupe, Guyane, Réunion. Or, c'est la somme que demandait la
Martinique pour elle toute seule, pour les trois ans qui viennent. Est
-ce qu'il y aura d'autres gestes qui seront faits pour satisfaire nos
élus qui sont quand même relativement déçus par cette annonce ?
R - Alors nous somme soucieux d'être au plus près des réalités du
terrain. Je sais qu'il y a une préoccupation particulière en Martinique
en ce qui concerne la rénovation urbaine, la réhabilitation et j'ai eu
l'occasion avec le maire de Fort de France, ce matin, de voir les
importants projets qu'il y avait ici à Fort de France. Donc, notre
souci, c'est d'apporter des réponses au quotidien. Et j'ai pris une
autre décision que j'ai annoncée, qui est une conférence annuelle sur
le logement social Outre-Mer et ce sera donc l'occasion d'un rendez-
vous d'ici quelques semaines, avant le début janvier 2007, où l'
ensemble des collectivités, des opérateurs avec l'Etat, se retrouveront
pour voir l'évolution des choses. Je crois que ce sont des domaines où
il faut être pragmatique, ce sont des domaines où il faut apporter des
réponses concrètes. Donc, croyez bien ; nous serons au rendez-vous du
logement social. C'est véritablement notre souci.
Q - Alors justement, l'un des problèmes évoqué par les opérateurs, c'
est la dette que l'Etat contracte à leur égard, l'Etat doit
actuellement 21 millions d'euros à tous ses opérateurs des logements
sociaux, vous avez promis d'apurer cette dette au premier semestre
2007...
R - Premier trimestre !
Q - ...Premier trimestre 2007, c'est très bien, mais comment faire au-
delà de cette promesse pour éviter que ce genre de chose ne se
reproduise et ne mettre en difficulté ces entreprises ?
R - Cela fait partie aussi des mesures que j'ai annoncées. Nous devons
avoir un pilotage politique et une organisation administrative qui nous
permet d'éviter cela. Alors bien sûr, préserver la ligne budgétaire
unique, faire en sorte que l'on puisse mieux connaître et mieux
individualiser le fonctionnement et les crédits du ministère du
Logement. Et la conférence annuelle permettra chaque année de faire un
point très précis de ce qui est engagé en faveur du logement social.
Donc, de ce point de vue, nous voulons pouvoir déterminer le montant
des crédits de logement à l'Outre-mer en même temps que le montant des
crédits pour la métropole. Vous le voyez bien, dans ce domaine du
logement, comme pour l'emploi, la solidarité, la santé, ce que nous
souhaitons, c'est que la politique qui a été mise en oeuvre en métropole
puisse, au même moment et avec les mêmes résultats, venir au service de
l'Outre-mer et de la Martinique.
Q - Vous connaissez assez bien la Martinique pour savoir que nous avons
également des problèmes avec nos hôpitaux qui sont plutôt mal en point,
qui sont dans le rouge ; ils manquent de moyens, manquent de personnel,
vétusté criante. Il y a aussi un manque de structures pour les
personnes âgées dépendantes, les syndicats réclament un plan d'urgence.
Comment peut on parler d'égalité sociale s'il n'y pas d'égalité
médicale ? Que comptez-vous faire ?
R - Il faut faire plus, vous avez tout à fait raison. La situation
actuelle n'est pas satisfaisante et c'est pour cela que dans le projet
de loi de finances 2007, nous avons prévu une enveloppe pour les
hôpitaux de 2,5 milliards supplémentaires. Et une partie de cette
enveloppe ira à la Martinique. Nous sommes soucieux que cette égalité
entre les territoires soit bien une réalité du quotidien. Nous
connaissons tous les atouts qu sont ceux de la Martinique dans la
qualité des personnes de santé, dans la qualité du personnel médical.
Je veux que les infrastructures, que les moyens mis au service de la
population soient les mêmes et en conséquence, il y a évidemment un
effort de rattrapage à faire.
Q - Vous avez fait de la lutte contre le chômage votre cheval de
bataille, celui du Gouvernement, et c'est vrai que même si les chiffres
sont alarmants, ils ont quand même baissé ; les chiffres du chômage ont
baissé ici à la Martinique notamment grâce au plan de cohésion sociale.
Sauf qu'il y a un problème, c'est que les jeunes, ici à la Martinique,
n'ont pas bénéficié de cette baisse malgré le CNE. Est-ce qu'il y a des
mesures spécifiques qui sont prévues pour eux ?
R - Alors, vous avez tout à fait raison, je suis dans l'obligation de
constater que parmi les demandeurs d'emploi, il y a une augmentation de
la proportion des jeunes. Il y a environ une augmentation autour de 10
% du nombre des jeunes de moins de 25 ans. Il faut donc faire un effort
spécifique et c'est pour cela que l'effort que j'ai vu et qui est un
effort qu a été engagé depuis 45 ans avec le régiment de service
militaire adapté est si important. Puisque 80 % de ceux qui passent par
ce service militaire adapté trouvent un emploi avec une formation ; ce
que j'ai vu ce matin est tout à fait éclairant. Donc, dans ce domaine,
il faut faire davantage et je veux adopter des mesures spécifiques qui
permettront de s'adresser au chômage des jeunes ici, à la Martinique et
plus généralement Outre-mer. Vous avez raison, la tendance est bonne
mais il reste des points noirs, il faut que nous les traitions.
Q - Lors de sa visite en mars dernier à la Martinique, N. Sarkozy avait
proposé comme le souhaitaient beaucoup de chefs d'entreprise depuis des
années que la Martinique devienne une zone franche globale, comme l'est
la Corse depuis 1996. Est-ce que vous êtes favorable à ce dispositif et
si oui quand est-ce qu'il sera mis en oeuvre ?
R - Il y a une réflexion et une piste de réflexion intéressante et il
faut continuer dans cette voie, il y a néanmoins des problèmes et des
préoccupations que nous devons traiter. Si nous créons une zone franche
unique, qu'adviendra-t-il des zones franches actuelles et des avantages
qui sont les leurs ; il y a le risque évidemment d'une déperdition d'
avantages. Deuxièmement, comment répondre aux besoins des collectivités
si évidemment la baisse de revenus fiscaux s'accompagne de la création
d'une telle zone franche. Donc vous le voyez, il y a toute une série de
problèmes qu'il faut traiter. Donc poursuivons l'idée mais veillons à
répondre à l'ensemble des préoccupations, il faut trouver des solutions
qui soient à l'avantage de tous les Martiniquais.
Q - Je vais continuer à égrener le chapelet des difficultés ; vous
savez que le tourisme aussi a de gros problèmes, les hôteliers
notamment qui ont du mal à joindre les deux bouts et qui sont inquiets.
Ils demandent aussi bien à la Martinique, à la Guadeloupe qu'à la
Réunion de pouvoir bénéficier d'exonérations de charges et de taxes.
Qu'est-ce que vous leur répondez ?
R - Je suis particulièrement sensibilisé à cette question, je suis venu
avec François BAROIN dont vous connaissez l'engagement au service de
l'Outre-mer et de la Martinique, je suis venu aussi avec Léon BERTRAND
qui a rencontré l'ensemble des professionnels du tourisme et notre
préoccupation, c'est de bien inscrire dans la durée les recettes et le
flux touristique, faire en sorte qu'ils puissent s'étaler sur l'
ensemble de la saison. C'est effectivement une difficulté, cela
implique d'accompagner le mouvement de création des infrastructures,
cela veut dire aussi, accompagner la formation des personnels pour
créer véritablement une situation qui soit à la mesure des qualités et
des paysages. Aimé Césaire aimait à dire : « crier à beauté », « crier
à la beauté », eh bien, véritablement, c'est vrai : quand on arrive à
La Martinique, on a le souffle coupé devant une telle beauté, et je
souhaite que, nombreux soient ceux qui puissent en profiter dans le
respect bien sûr de ce qu'est celle île.
Q - Un mot sur la banane : vous savez que les producteurs antillais
sont également inquiets avec le nouveau système et la baisse des tarifs
douaniers, ils craignent un déferlement de "la banane dollar " sur le
marché européen, dans les mois qui viennent. Quelle est la marge de
manoeuvre de la France, quand on sait que l'OMC fait plus ou moins, la
pluie et le beau temps dans cette affaire ?
R - La marge de manoeuvre, elle existe, vous l'avez vu, et avec quelle
vigilance nous agissons, sous l'égide du président de la République,
avec Dominique BUSSEREAU et Christine LAGARDE, dans le cadre de l'OMC,
nous avons défendu nos intérêts à Hong Kong, et nous allons continuer à
le faire. En ce qui concerne la banane, j'ai rencontré hier, à la
Guadeloupe, l'ensemble de la filière antillaise "banane", et nous avons
le souci de continuer à accompagner ce secteur. Je sais tout le travail
qui a été fait ; travail de modernisation, travail de regroupement
aussi, à travers la création d'une union ; il faut aller plus loin,
nous sommes quasiment en vue d'un accord avec la Commission. Il faut
dans les dernières semaines vérifier que cet accord satisfait
pleinement la filière. Et je crois pouvoir dire que nous allons dans la
bonne direction et que les intérêts de la banane seront défendus. Vous
savez que nous sommes particulièrement vigilants dans ce domaine.
Q - Un mot également de l'immigration. La situation en Martinique est
devenue très complexe, il y a eu certaines facilités par le passé, avec
des gens qui ont pu obtenir des titres de séjour. Aujourd'hui, avec les
lois Sarkozy, les boulons se resserrent au niveau de la préfecture.
Sauf, que cela a créé des situations humaines très difficiles, très
délicates. Y a-t-il éventuellement, une façon peut-être un peu plus
souple de gérer ce genre de chose pour éviter ces drames, alors qu'il y
a des gens qui sont là depuis des années et à qui on demande de partir
; on ne renouvelle pas leur titre de séjour.
R - Je suis très sensible à ce que vous dites, parce que nous savons
tous ce qu'est l'esprit de la créolité, nous savons tous qu'il faut
trouver le juste équilibre entre le droit, la justice, et beaucoup a
été fait dans le domaine contre l'immigration irrégulière. Et c'est
vrai que la situation de La Martinique est aujourd'hui meilleure. Mais
il faut aussi prendre en compte le respect des personnes, le respect de
la dignité, il y a un esprit créole et de La Caraïbe, et nous devons le
défendre. Donc, à la fois, avec responsabilité, humanité, mais aussi,
avec le souci de respecter nos intérêts et de faire vivre notre droit.
Q - Deux questions encore. D'abord, pour en revenir à la politique. On
sait tous qu'actuellement la situation est un peu tendue à l'UMP, même
si vous prônez l'unité et que N. Sarkozy en fait de même, les rivalités
sont bien là. Ne craignez-vous pas, si il y a une deuxième candidature,
comme vous l'avez laissé entendre, la semaine dernière, que ce soit la
vôtre ou celle de M. Alliot-Marie, que cela fragilise votre camp, au
risque même, de le faire perdre pour l'élection présidentielle ?
R - Bien évidemment, nous sommes engagés au service de nos idées, et
soucieux de tout faire pour que l'unité soit préservée et que la
majorité puisse gagner. Mais vous savez, il y a, pour moi, chef de
gouvernement, un objectif qui transcende tous les autres, et c'est le
sens même de ma mission : servir nos compatriotes, aller jusqu'au bout
de cette mission, être au service des Français jusqu'au dernier jour.
Je le rencontre tous les jours en voyant nos compatriotes, et je l'ai
vu sur le marché aux légumes, ici, à Fort-de-France, à travers les
rues, dans l'accueil très chaleureux qui m'a été réservé : on attend
que le Gouvernement travaille, on attend que le Gouvernement avance, et
continue à marquer des points, dans le domaine de la lutte contre le
chômage, sur les problèmes de santé, en matière de logement. Donc, c'
est vraiment mon souci, être au service des Français, chacun trouve sa
place, chacun se fixe son ambition. Ma responsabilité à moi elle est
claire.
Q - Donc vous verrez plus tard pour l'élection présidentielle ?
R - Je le dis : ma responsabilité est claire, je suis au service des
Français.
Q - Vous savez que les people jouent un rôle très important,
actuellement, dans la pré-campagne, et aujourd'hui, c'est Yannick NOAH,
qui a fait parler de lui, avec une déclaration fracassante reprise par
tous les médias - c'était à la Une du Parisien ce matin. Il vous tresse
des lauriers, en disant - je cite ses propos - que votre discours à l'
ONU était "super classe", alors que N. Sarkozy s'est comporté comme
"une balance a New York", en référence à son intervention, il y a
quelques semaines sur les relations entre la France et les Etats-Unis.
Est-ce vous aussi, ce jour-là, vous avez estimé que le ministre de l'
Intérieur a été trop loin ?
R - Je crois qu'il ne faut pas comparer les situations qui sont
différentes entre la situation historique de 2003, où j'étais - et j'ai
eu cet honneur immense -, la voix de la France et la voix des espoirs
de paix d'une partie des populations. Je crois qu'il y a une situation
très particulière, j'ai beaucoup de respect pour le joueur de tennis et
le chanteur qu'est Yannick NOAH, mais je crois qu'il faut savoir
distinguer la politique du reste.
Q - Sauf que cela vous donne un peu de baume au coeur, après les moments
difficiles que vous avez traversés ces derniers mois ?
R - Le baume au coeur, c'est le résultat, c'est la rencontre du
quotidien et c'est surtout la nécessité de faire avancer les choses.
C'est cela, l'urgence que nous avons.
Q - D. de Villepin, merci
R - Merci.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 27 octobre 2006