Texte intégral
Selon Elisabeth Guigou, la loi du 15 juin 2000 aurait pu donner lieu à quatre grandes lois sur la réforme de la procédure pénale, le renforcement des droits des victimes, le recours contre les décisions des cours d'assises et la juridictionnalisation de l'application des peines.
Dans cette opposition récurrente de l'accusatoire et de l'inquisitoire, nous avons su nous éloigner des modèles extérieurs au profit d'un dispositif conforme à l'évolution de notre propre tradition : nous avons renforcé le contradictoire.
Nous y sommes parvenus en apportant la garantie du double regard du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention, en renforçant la présence de l'avocat au cours de la garde à vue, en créant un recours contre les décisions des cours d'assises, en renforçant les droits des victimes et en élargissant les conditions d'octroi de la libération conditionnelle afin de mieux prévenir la récidive.
Le rôle du Parlement dans ces réformes a été décisif, et nul ne songe aujourd'hui à lui demander de défaire ce qu'il a si bien fait. L'objet de cette proposition de loi est tout autre.
Le Gouvernement a eu pour constant souci de mettre effectivement en uvre la loi du 15 juin 2000. Les moyens nécessaires ont été créés : 108 postes de juge des libertés et de la détention et 96 emplois de greffiers.
Nous ne pouvions financer par anticipation les réformes issues des débats parlementaires, que je viens de citer, et du texte définitif de 142 articles, mais le budget 2001 a engagé 338,7 millions de francs pour la seule mise en uvre de la loi. Plus des deux tiers des postes créés sur cet exercice étaient liés à la loi du 15 juin 2000, et 80 emplois de magistrats créés au budget 2002 sont encore dévolus à sa mise en uvre.
Depuis le début de la législature, le ministère de la justice a créé 7 273 emplois dont 1049 de magistrats, contre 727 au cours des 17 années précédentes.
La moyenne des créations d'emplois de magistrats est supérieure à 200 sur les 5 dernières années, alors qu'elle était inférieure à 50 entre 1995 et 1997.
J'ai toujours dit que l'application de la loi du 15 juin 2000 n'irait pas sans difficultés, certes inégalement réparties. Mais le Gouvernement s'est attaché à les réduire. Et j'ai suivi la mise en uvre de la loi en confiant trois missions successives d'évaluation à l'inspection générale des services judiciaires. Au vu du premier rapport, rendu en décembre 2000, je vous ai proposé de différer de quelques mois une partie des dispositions relatives à la juridictionnalisation de l'application des peines - ce fut la loi du 30 décembre 2000, issue d'une proposition de M. Dreyfus-Schmidt. Le second rapport, rendu en juin 2001, insistait sur le renforcement des moyens des parquets et des greffes. Ces recommandations ont été suivies.
Les services de la Chancellerie se sont particulièrement mobilisés pour cette loi : alors qu'elle avait été votée le 30 mai 2000, la première circulaire d'application a été diffusée le 31 mai ! L'ensemble des décrets et circulaires pris avec les ministères de l'intérieur et de la défense, a été publié en décembre 2000. Au prix d'efforts considérables de la Chancellerie, des juridictions, des barreaux, de la police, de la gendarmerie, le dispositif a pu entrer en vigueur de façon harmonieuse. Le grand bogue annoncé par certains avec quelque gourmandise ne s'est pas produit !
Des blocages matériels, juridiques ou psychologiques sont certes apparus : la loi du 15 juin 2000 a aussi permis de mesurer l'aptitude au changement de nos institutions. Christine Lazerges décrit bien, dans son rapport sur la loi, intitulé " une chance pour la justice ", les efforts que requiert un texte de cette ampleur.
Je me refuse à entrer ici dans la polémique suscitée parfois par ceux qui avaient soutenu la loi - quand ils ne regrettaient pas qu'elle n'aille pas assez loin ! Ces discussions présentent peu d'intérêt : elles sont le plus souvent inspirées par des arrière-pensées transparentes.
Je prendrai simplement l'exemple de la " garde à vue des témoins ". La garde à vue qui est une privation de liberté ne doit s'appliquer qu'aux suspects, puisqu'elle permet de retenir une personne en geôle dans un local de police ou de gendarmerie, après l'avoir fouillée à corps. Peut-on faire subir ce traitement à un simple témoin, dont rien ne permet de supposer, de l'avis même des enquêteurs, qu'il a commis une infraction ?
Vous savez d'ailleurs que la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme exige de réserver ce traitement qu'aux personnes pour lesquelles existent des raisons plausibles de soupçonner qu'une infraction a été commise. Pourtant, n'a-t-on pas honteusement désigné la loi du 15 juin 2000 comme une loi " faite pour les voyous " au motif qu'elle n'autorise pas la garde à vue des témoins ?
On lui a fait jouer indûment le rôle de bouc-émissaire des erreurs de la Justice ou des services d'enquête et des retards budgétaires auxquels le Gouvernement remédie depuis 1997.
L'on a aussi fait un amalgame infondé entre ses dispositions et la hausse de la délinquance.
En réalité, cette loi est une loi pour les libertés et une loi pour les victimes ; elle hisse notre droit au niveau des normes européennes.
Peut-être n'avons-nous pas été assez attentifs, en revanche, aux difficultés que connaissent les policiers et les gendarmes dans leurs missions de police judiciaire. Peut-être avons-nous manqué de pédagogie à leur égard.
Il était donc utile de confier à un parlementaire la mission de recueillir l'avis des professionnels sur l'application de la loi, dans la phase déterminante de l'enquête qu'est le début de la garde à vue. Tel était le sens de la mission confiée à Julien Dray par le Premier ministre, et dont le rapport inspire l'essentiel des dispositions qui vous sont soumises.
Julien Dray a fait un travail de grande qualité. Il a su écouter les policiers et se faire l'écho de leurs préoccupations, de leur souci d'une enquête pénale plus efficace, de leurs problèmes concrets. Il a évoqué leur lassitude devant le manque de moyens et leur souhait de voir dissiper ce qu'ils ressentent comme des incertitudes juridiques. En outre, le rapport contient une proposition de modification sur un autre point : l'appel du parquet sur les arrêts de cour d'assises.
Il appartient maintenant au Gouvernement et au Parlement de tirer toutes les conséquences de ce rapport. Le Gouvernement l'a fait en partie : la plupart des questions relatives à l'application de la loi ont trouvé une réponse dans la circulaire sur la garde à vue que j'ai diffusée le 10 janvier dernier : j'ai abordé là les modalités de l'avis au procureur en début de garde à vue et de la notification des droits des personnes, et rappelé que, si les enquêteurs sont tenus d'accomplir les actes nécessaires à la mise en uvre de ces droits, la procédure qu'ils dressent n'est pas annulée en l'absence d'exercice de ces droits. Il s'agissait d'un point extrêmement important, sur lequel les policiers étaient très inquiets, craignant parfois - à tort - que la loi ne leur impose une " obligation de résultat ".
Afin de simplifier la tâche des enquêteurs, la circulaire contient des formulaires de notification des droits aux personnes placées en garde à vue, et une " feuille de route " récapitulative leur permettant d'organiser leur travail. L'amélioration des dispositions pratiques, telles que le procès-verbal unique d'avis au procureur lors du placement en garde à vue de plusieurs personnes, et celle de l'organisation des permanences des parquets sont en cours.
La circulaire a été bien accueillie par les magistrats. Avec mes collègues Daniel Vaillant et Alain Richard, nous nous attacherons à ce que les enquêteurs puissent l'intégrer au plus vite dans leur pratique quotidienne. Elle précise également que, pour suivre complètement les recommandations de Julien Dray et éviter une charge supplémentaire aux services d'enquête, le Gouvernement n'étendra pas l'enregistrement audiovisuel des mineurs aux auditions des personnes majeures gardées à vue.
Mais sur certains points, seule une loi pouvait mettre fin, plus rapidement que la Cour de cassation, à l'inquiétude des enquêteurs quant à la validité juridique des actes effectués en début d'enquête.
C'est le sens de la proposition de loi, dont les dispositions, loin de remettre en question l'esprit de la loi du 15 juin 2000, ne procèdent qu'à des ajustements ponctuels de la procédure pénale, destinés à faciliter sa mise en uvre par la police et la gendarmerie, en commençant par la garde à vue.
La proposition tend à substituer à la notion d'indice, figurant actuellement dans le code de procédure pénale, celle de " raison plausible de soupçonner la personne d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction ", notion retenue par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle met fin aux difficultés d'interprétation que rencontraient les enquêteurs pour déterminer les personnes qui pouvaient être placées en garde à vue.
La proposition modifie l'article 63-1 du code de procédure pénale qui précise dans quels délais les enquêteurs doivent notifier ses droits à la personne gardée à vue et accomplir les diligences nécessaires à l'exercice de ces droits. Jamais il n'avait été question d'un délai d'une heure pour les enquêteurs. Pourtant, ils craignaient que leur procédure soit nulle s'ils dépassaient ce délai. Aussi la proposition tend-elle à alléger la charge pesant sur les policiers et les gendarmes au début de l'enquête.
Le droit de toute personne en garde à vue de demander au procureur de la République, six mois plus tard, quelle suite il entend donner à l'enquête ne sera plus notifié qu'en fin de garde à vue et les diligences à accomplir pour prévenir la famille et un médecin devront être accomplies dans un délai de trois heures. Le délai imparti pour prendre contact avec un avocat n'est pas modifié.
Cependant, sur le délai dans lequel l'officier de police judiciaire doit informer le procureur de la République, l'article 2 de la proposition qui supprime l'exigence d'information immédiate, ne semble pas conforme à la Constitution. En effet, en vertu de l'article 66 de celle-ci, l'autorité judiciaire assure le respect des libertés individuelles et le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 août 1993, a jugé que le procureur devait être avisé aussi rapidement que possible. Les amendements à l'article 2 devraient lever toute discussion, en rétablissant l'information immédiate du procureur.
L'article 2 comporte également une formulation nouvelle du droit au silence, dont la loi du 15 juin 2000 avait fixé la notification dans une forme dont on comprend qu'elle puisse gêner les enquêteurs, tant les mots par lesquels un droit est notifié influent sur l'usage que choisissent d'en faire les personnes concernées. Aussi Julien Dray avait-il judicieusement proposé que la formule employée par les enquêteurs reprenne celle qu'utilisent les juges d'instruction lors de la première comparution.
Dire au gardé à vue qu'il a " le choix de se taire, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de faire des déclarations ", c'est lui permettre de connaître ses droits de façon neutre, sans influer sur sa décision. Par contre, le caractère dissuasif de la phrase qui suit a pu être critiqué du point de vue des droits de la défense. Je fais confiance au débat parlementaire pour améliorer la rédaction de cette disposition.
S'agissant de la détention provisoire du parent d'un enfant mineur de dix ans, la loi du 15 juin 2000 laisse penser que le seul fait d'exercer l'autorité parentale donne une sorte de crédit sur la liberté dans l'intérêt non de l'enfant mais de la personne poursuivie. Aussi la proposition réserve-t-elle cette disposition au parent qui exerce seul l'autorité parentale.
Par ailleurs, elle oblige à chercher une solution pour la protection de l'enfant que l'incarcération de son père ou de sa mère risque de placer dans une situation difficile. Il me paraît bon que la mesure soit étendue aux mineurs de 16 ans, car nul ne peut prétendre qu'il serait sans conséquence de laisser livré à lui-même un enfant de 14 ou 15 ans, du fait de l'incarcération de celui qui en a la garde.
J'approuve enfin l'obligation, pour le gardé à vue, de révéler l'existence d'un enfant à sa charge au plus tôt de l'enquête, nonobstant le fait que pendant la garde à vue il faut savoir ce que les enfants deviennent.
L'impossibilité de faire appel des décisions d'acquittement des cours d'assises est également apparue comme une source de possibles contradictions lorsque plusieurs accusés comparaissent dans une même affaire et que l'un d'eux est acquitté. En effet les accusés condamnés peuvent faire appel, mais l'accusé acquitté est considéré comme définitivement jugé et devient en appel un témoin à ce qui était son propre procès. Il peut alors faire des déclarations nouvelles, charger ou au contraire venir au secours de ses co-accusés et en définitive provoquer sans grand risque une décision peu cohérente. C'est pourquoi il me semble important qu'au moins dans ce cas le ministère public puisse interjeter appel contre un acquittement, afin de permettre à la cour d'assises d'appel de juger l'affaire dans sa globalité.
La disposition sur les conditions et les seuils de la détention provisoire ne figurait ni parmi les propositions du rapport de Julien Dray, ni dans celui de Christine Lazerges. Mais la détention provisoire a été au cur des polémiques sur l'application de la loi du 15 juin 2000, même si les procès instruits contre elle étaient fondés le plus souvent sur des charges erronées. Ainsi, dans l'une des affaires qui a le plus défrayé la chronique, cette loi n'était pas entrée en vigueur et la décision des magistrats ne pouvait même pas être regardée comme anticipant ses dispositions. Au reste, si la détention provisoire avait significativement décru dans les six premiers mois de 2001, elle a désormais retrouvé le même niveau que dans les derniers mois de 2000.
Nous nous trouvons en fait sur la ligne de crête entre un ajustement technique et une modification plus substantielle des principes consacrés par le Parlement il y a peu de temps.
Notre régime de détention provisoire était, avant la loi du 15 juin 2000, souvent archaïque, et sa réforme était unanimement attendue, tant la France faisait figure de mauvais élève de l'Europe. Ce fut une réforme de consensus, fondée sur le principe intangible selon lequel nul ne peut, fût-il récidiviste, être jugé d'avance et que la détention provisoire ne saurait être un substitut à la condamnation, de sorte que les cas dans lesquels la détention provisoire peut être ordonnée ont été revus en fonction du seuil des peines encourues. En conséquence, elle a été interdite pour des délinquants poursuivis pour des atteintes aux biens, d'où peut résulter parfois un sentiment d'impunité, quand ces actes sont réitérés parfois très vite. On dénonce souvent l'exemple d'une personne qui, sitôt relâchée, est à nouveau interpellée pour des faits de même nature.
La proposition tente de répondre à cela en insérant dans l'article 143-1 du code de procédure pénale un alinéa étendant la détention provisoire au mis en examen qui se voit reprocher plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans. Quel que soit le débat qui suivra, cette solution aurait l'avantage de préserver la graduation établie par notre droit entre la gravité des atteintes aux personnes et celle des atteintes aux biens.
Voilà donc un texte qui, sur un nombre restreint de sujets, traduit les demandes de simplification émises par ceux qui, chaque jour, mettent en uvre les lois que vous votez. Ce débat est aussi l'occasion de s'interroger sur ce qu'est, pour les policiers, pour les gendarmes, pour les magistrats, l'application de la loi pénale.
Dans l'exercice de ces métiers difficiles, chaque décision pose la question de l'équilibre entre la liberté individuelle et la sécurité collective.
C'est par la confrontation de chaque histoire, de chaque procédure particulière avec ces grands principes que l'équilibre peut être trouvé. Ce texte permettra, je pense, de l'atteindre.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 25 janvier 2002)
Dans cette opposition récurrente de l'accusatoire et de l'inquisitoire, nous avons su nous éloigner des modèles extérieurs au profit d'un dispositif conforme à l'évolution de notre propre tradition : nous avons renforcé le contradictoire.
Nous y sommes parvenus en apportant la garantie du double regard du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention, en renforçant la présence de l'avocat au cours de la garde à vue, en créant un recours contre les décisions des cours d'assises, en renforçant les droits des victimes et en élargissant les conditions d'octroi de la libération conditionnelle afin de mieux prévenir la récidive.
Le rôle du Parlement dans ces réformes a été décisif, et nul ne songe aujourd'hui à lui demander de défaire ce qu'il a si bien fait. L'objet de cette proposition de loi est tout autre.
Le Gouvernement a eu pour constant souci de mettre effectivement en uvre la loi du 15 juin 2000. Les moyens nécessaires ont été créés : 108 postes de juge des libertés et de la détention et 96 emplois de greffiers.
Nous ne pouvions financer par anticipation les réformes issues des débats parlementaires, que je viens de citer, et du texte définitif de 142 articles, mais le budget 2001 a engagé 338,7 millions de francs pour la seule mise en uvre de la loi. Plus des deux tiers des postes créés sur cet exercice étaient liés à la loi du 15 juin 2000, et 80 emplois de magistrats créés au budget 2002 sont encore dévolus à sa mise en uvre.
Depuis le début de la législature, le ministère de la justice a créé 7 273 emplois dont 1049 de magistrats, contre 727 au cours des 17 années précédentes.
La moyenne des créations d'emplois de magistrats est supérieure à 200 sur les 5 dernières années, alors qu'elle était inférieure à 50 entre 1995 et 1997.
J'ai toujours dit que l'application de la loi du 15 juin 2000 n'irait pas sans difficultés, certes inégalement réparties. Mais le Gouvernement s'est attaché à les réduire. Et j'ai suivi la mise en uvre de la loi en confiant trois missions successives d'évaluation à l'inspection générale des services judiciaires. Au vu du premier rapport, rendu en décembre 2000, je vous ai proposé de différer de quelques mois une partie des dispositions relatives à la juridictionnalisation de l'application des peines - ce fut la loi du 30 décembre 2000, issue d'une proposition de M. Dreyfus-Schmidt. Le second rapport, rendu en juin 2001, insistait sur le renforcement des moyens des parquets et des greffes. Ces recommandations ont été suivies.
Les services de la Chancellerie se sont particulièrement mobilisés pour cette loi : alors qu'elle avait été votée le 30 mai 2000, la première circulaire d'application a été diffusée le 31 mai ! L'ensemble des décrets et circulaires pris avec les ministères de l'intérieur et de la défense, a été publié en décembre 2000. Au prix d'efforts considérables de la Chancellerie, des juridictions, des barreaux, de la police, de la gendarmerie, le dispositif a pu entrer en vigueur de façon harmonieuse. Le grand bogue annoncé par certains avec quelque gourmandise ne s'est pas produit !
Des blocages matériels, juridiques ou psychologiques sont certes apparus : la loi du 15 juin 2000 a aussi permis de mesurer l'aptitude au changement de nos institutions. Christine Lazerges décrit bien, dans son rapport sur la loi, intitulé " une chance pour la justice ", les efforts que requiert un texte de cette ampleur.
Je me refuse à entrer ici dans la polémique suscitée parfois par ceux qui avaient soutenu la loi - quand ils ne regrettaient pas qu'elle n'aille pas assez loin ! Ces discussions présentent peu d'intérêt : elles sont le plus souvent inspirées par des arrière-pensées transparentes.
Je prendrai simplement l'exemple de la " garde à vue des témoins ". La garde à vue qui est une privation de liberté ne doit s'appliquer qu'aux suspects, puisqu'elle permet de retenir une personne en geôle dans un local de police ou de gendarmerie, après l'avoir fouillée à corps. Peut-on faire subir ce traitement à un simple témoin, dont rien ne permet de supposer, de l'avis même des enquêteurs, qu'il a commis une infraction ?
Vous savez d'ailleurs que la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme exige de réserver ce traitement qu'aux personnes pour lesquelles existent des raisons plausibles de soupçonner qu'une infraction a été commise. Pourtant, n'a-t-on pas honteusement désigné la loi du 15 juin 2000 comme une loi " faite pour les voyous " au motif qu'elle n'autorise pas la garde à vue des témoins ?
On lui a fait jouer indûment le rôle de bouc-émissaire des erreurs de la Justice ou des services d'enquête et des retards budgétaires auxquels le Gouvernement remédie depuis 1997.
L'on a aussi fait un amalgame infondé entre ses dispositions et la hausse de la délinquance.
En réalité, cette loi est une loi pour les libertés et une loi pour les victimes ; elle hisse notre droit au niveau des normes européennes.
Peut-être n'avons-nous pas été assez attentifs, en revanche, aux difficultés que connaissent les policiers et les gendarmes dans leurs missions de police judiciaire. Peut-être avons-nous manqué de pédagogie à leur égard.
Il était donc utile de confier à un parlementaire la mission de recueillir l'avis des professionnels sur l'application de la loi, dans la phase déterminante de l'enquête qu'est le début de la garde à vue. Tel était le sens de la mission confiée à Julien Dray par le Premier ministre, et dont le rapport inspire l'essentiel des dispositions qui vous sont soumises.
Julien Dray a fait un travail de grande qualité. Il a su écouter les policiers et se faire l'écho de leurs préoccupations, de leur souci d'une enquête pénale plus efficace, de leurs problèmes concrets. Il a évoqué leur lassitude devant le manque de moyens et leur souhait de voir dissiper ce qu'ils ressentent comme des incertitudes juridiques. En outre, le rapport contient une proposition de modification sur un autre point : l'appel du parquet sur les arrêts de cour d'assises.
Il appartient maintenant au Gouvernement et au Parlement de tirer toutes les conséquences de ce rapport. Le Gouvernement l'a fait en partie : la plupart des questions relatives à l'application de la loi ont trouvé une réponse dans la circulaire sur la garde à vue que j'ai diffusée le 10 janvier dernier : j'ai abordé là les modalités de l'avis au procureur en début de garde à vue et de la notification des droits des personnes, et rappelé que, si les enquêteurs sont tenus d'accomplir les actes nécessaires à la mise en uvre de ces droits, la procédure qu'ils dressent n'est pas annulée en l'absence d'exercice de ces droits. Il s'agissait d'un point extrêmement important, sur lequel les policiers étaient très inquiets, craignant parfois - à tort - que la loi ne leur impose une " obligation de résultat ".
Afin de simplifier la tâche des enquêteurs, la circulaire contient des formulaires de notification des droits aux personnes placées en garde à vue, et une " feuille de route " récapitulative leur permettant d'organiser leur travail. L'amélioration des dispositions pratiques, telles que le procès-verbal unique d'avis au procureur lors du placement en garde à vue de plusieurs personnes, et celle de l'organisation des permanences des parquets sont en cours.
La circulaire a été bien accueillie par les magistrats. Avec mes collègues Daniel Vaillant et Alain Richard, nous nous attacherons à ce que les enquêteurs puissent l'intégrer au plus vite dans leur pratique quotidienne. Elle précise également que, pour suivre complètement les recommandations de Julien Dray et éviter une charge supplémentaire aux services d'enquête, le Gouvernement n'étendra pas l'enregistrement audiovisuel des mineurs aux auditions des personnes majeures gardées à vue.
Mais sur certains points, seule une loi pouvait mettre fin, plus rapidement que la Cour de cassation, à l'inquiétude des enquêteurs quant à la validité juridique des actes effectués en début d'enquête.
C'est le sens de la proposition de loi, dont les dispositions, loin de remettre en question l'esprit de la loi du 15 juin 2000, ne procèdent qu'à des ajustements ponctuels de la procédure pénale, destinés à faciliter sa mise en uvre par la police et la gendarmerie, en commençant par la garde à vue.
La proposition tend à substituer à la notion d'indice, figurant actuellement dans le code de procédure pénale, celle de " raison plausible de soupçonner la personne d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction ", notion retenue par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle met fin aux difficultés d'interprétation que rencontraient les enquêteurs pour déterminer les personnes qui pouvaient être placées en garde à vue.
La proposition modifie l'article 63-1 du code de procédure pénale qui précise dans quels délais les enquêteurs doivent notifier ses droits à la personne gardée à vue et accomplir les diligences nécessaires à l'exercice de ces droits. Jamais il n'avait été question d'un délai d'une heure pour les enquêteurs. Pourtant, ils craignaient que leur procédure soit nulle s'ils dépassaient ce délai. Aussi la proposition tend-elle à alléger la charge pesant sur les policiers et les gendarmes au début de l'enquête.
Le droit de toute personne en garde à vue de demander au procureur de la République, six mois plus tard, quelle suite il entend donner à l'enquête ne sera plus notifié qu'en fin de garde à vue et les diligences à accomplir pour prévenir la famille et un médecin devront être accomplies dans un délai de trois heures. Le délai imparti pour prendre contact avec un avocat n'est pas modifié.
Cependant, sur le délai dans lequel l'officier de police judiciaire doit informer le procureur de la République, l'article 2 de la proposition qui supprime l'exigence d'information immédiate, ne semble pas conforme à la Constitution. En effet, en vertu de l'article 66 de celle-ci, l'autorité judiciaire assure le respect des libertés individuelles et le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 août 1993, a jugé que le procureur devait être avisé aussi rapidement que possible. Les amendements à l'article 2 devraient lever toute discussion, en rétablissant l'information immédiate du procureur.
L'article 2 comporte également une formulation nouvelle du droit au silence, dont la loi du 15 juin 2000 avait fixé la notification dans une forme dont on comprend qu'elle puisse gêner les enquêteurs, tant les mots par lesquels un droit est notifié influent sur l'usage que choisissent d'en faire les personnes concernées. Aussi Julien Dray avait-il judicieusement proposé que la formule employée par les enquêteurs reprenne celle qu'utilisent les juges d'instruction lors de la première comparution.
Dire au gardé à vue qu'il a " le choix de se taire, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de faire des déclarations ", c'est lui permettre de connaître ses droits de façon neutre, sans influer sur sa décision. Par contre, le caractère dissuasif de la phrase qui suit a pu être critiqué du point de vue des droits de la défense. Je fais confiance au débat parlementaire pour améliorer la rédaction de cette disposition.
S'agissant de la détention provisoire du parent d'un enfant mineur de dix ans, la loi du 15 juin 2000 laisse penser que le seul fait d'exercer l'autorité parentale donne une sorte de crédit sur la liberté dans l'intérêt non de l'enfant mais de la personne poursuivie. Aussi la proposition réserve-t-elle cette disposition au parent qui exerce seul l'autorité parentale.
Par ailleurs, elle oblige à chercher une solution pour la protection de l'enfant que l'incarcération de son père ou de sa mère risque de placer dans une situation difficile. Il me paraît bon que la mesure soit étendue aux mineurs de 16 ans, car nul ne peut prétendre qu'il serait sans conséquence de laisser livré à lui-même un enfant de 14 ou 15 ans, du fait de l'incarcération de celui qui en a la garde.
J'approuve enfin l'obligation, pour le gardé à vue, de révéler l'existence d'un enfant à sa charge au plus tôt de l'enquête, nonobstant le fait que pendant la garde à vue il faut savoir ce que les enfants deviennent.
L'impossibilité de faire appel des décisions d'acquittement des cours d'assises est également apparue comme une source de possibles contradictions lorsque plusieurs accusés comparaissent dans une même affaire et que l'un d'eux est acquitté. En effet les accusés condamnés peuvent faire appel, mais l'accusé acquitté est considéré comme définitivement jugé et devient en appel un témoin à ce qui était son propre procès. Il peut alors faire des déclarations nouvelles, charger ou au contraire venir au secours de ses co-accusés et en définitive provoquer sans grand risque une décision peu cohérente. C'est pourquoi il me semble important qu'au moins dans ce cas le ministère public puisse interjeter appel contre un acquittement, afin de permettre à la cour d'assises d'appel de juger l'affaire dans sa globalité.
La disposition sur les conditions et les seuils de la détention provisoire ne figurait ni parmi les propositions du rapport de Julien Dray, ni dans celui de Christine Lazerges. Mais la détention provisoire a été au cur des polémiques sur l'application de la loi du 15 juin 2000, même si les procès instruits contre elle étaient fondés le plus souvent sur des charges erronées. Ainsi, dans l'une des affaires qui a le plus défrayé la chronique, cette loi n'était pas entrée en vigueur et la décision des magistrats ne pouvait même pas être regardée comme anticipant ses dispositions. Au reste, si la détention provisoire avait significativement décru dans les six premiers mois de 2001, elle a désormais retrouvé le même niveau que dans les derniers mois de 2000.
Nous nous trouvons en fait sur la ligne de crête entre un ajustement technique et une modification plus substantielle des principes consacrés par le Parlement il y a peu de temps.
Notre régime de détention provisoire était, avant la loi du 15 juin 2000, souvent archaïque, et sa réforme était unanimement attendue, tant la France faisait figure de mauvais élève de l'Europe. Ce fut une réforme de consensus, fondée sur le principe intangible selon lequel nul ne peut, fût-il récidiviste, être jugé d'avance et que la détention provisoire ne saurait être un substitut à la condamnation, de sorte que les cas dans lesquels la détention provisoire peut être ordonnée ont été revus en fonction du seuil des peines encourues. En conséquence, elle a été interdite pour des délinquants poursuivis pour des atteintes aux biens, d'où peut résulter parfois un sentiment d'impunité, quand ces actes sont réitérés parfois très vite. On dénonce souvent l'exemple d'une personne qui, sitôt relâchée, est à nouveau interpellée pour des faits de même nature.
La proposition tente de répondre à cela en insérant dans l'article 143-1 du code de procédure pénale un alinéa étendant la détention provisoire au mis en examen qui se voit reprocher plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans. Quel que soit le débat qui suivra, cette solution aurait l'avantage de préserver la graduation établie par notre droit entre la gravité des atteintes aux personnes et celle des atteintes aux biens.
Voilà donc un texte qui, sur un nombre restreint de sujets, traduit les demandes de simplification émises par ceux qui, chaque jour, mettent en uvre les lois que vous votez. Ce débat est aussi l'occasion de s'interroger sur ce qu'est, pour les policiers, pour les gendarmes, pour les magistrats, l'application de la loi pénale.
Dans l'exercice de ces métiers difficiles, chaque décision pose la question de l'équilibre entre la liberté individuelle et la sécurité collective.
C'est par la confrontation de chaque histoire, de chaque procédure particulière avec ces grands principes que l'équilibre peut être trouvé. Ce texte permettra, je pense, de l'atteindre.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 25 janvier 2002)