Texte intégral
Le Parisien - 17 septembre 1996
Le Parisien : Pourquoi baisser l’impôt sur le revenu de 25 milliards en 1997, alors que les impôts indirects, eux, viennent d’augmenter de 100 milliards ?
Alain Lamassoure, ministre du Budget : Une réduction de la TVA n’aurait pas dépassé un demi-point. Les Français n’en auraient vu la couleur que si les industriels et les commerçants avaient répercuté la baisse dans leurs prix ; ce qui est loin d’être évident. De plus, la TVA est un impôt moderne, ce qui n’est pas le cas de l’impôt sur le revenu, qui est aujourd’hui compliqué, inéquitable et trop lourd. La baisse que nous proposons est considérable, surtout compte tenu de la maîtrise des déficits qui est notre priorité.
Le Parisien : L’augmentation des taxes sur le tabac et l’alcool ne va-t-elle pas réduire sensiblement la portée de la baisse de l’impôt sur le revenu ?
Alain Lamassoure : Lorsque l’on additionnera les impôts en hausse et en baisse, on constatera que l’allégement réel de la pression fiscale sur les personnes et les entreprises sera d’au moins 20 milliards. Mis à part l’extension de la contribution sociale généralisée (CSG) qui sera déductible, seules les taxes sur le tabac et l’alcool augmenteront dans le cadre de la politique de santé.
Le Parisien : Et les carburants ?
Alain Lamassoure : Il n’y aura pas à proprement parler de majoration de la pression fiscale puisque son augmentation sera alignée sur la hausse des prix.
Le Parisien : La progression des impôts locaux sera-t-elle équivalente à la baisse de l’impôt sur le revenu ?
Alain Lamassoure : Attention ! On a tendance à mélanger le chiffre des impôts locaux payés par les entreprises (taxe professionnelle) et ceux à la charge des familles. En théorie, c’est moitié moitié, dix milliards pour chacune de ces catégories mais, en réalité, il faut savoir que l’État prend à sa charge la taxe d’habitation des familles à revenu modeste. Résultat, sur un total de 20 milliards en 1996, la pression fiscale que représente les impôts locaux n’a progressé que de 4 milliards pour les particuliers. Pour 1997, le pacte de stabilité sur trois ans entre l’État et les collectivités locales devrait modérer les hausses d’impôts locaux.
Le Parisien : En taxant l’épargne, n’allez-vous pas reprendre aux salariés ce que vous leur donnez en allégeant les cotisations maladie ?
Alain Lamassoure : Non, car outre la baisse de la cotisation maladie de 1,3 %, ils bénéficieront de celle de l’impôt sur le revenu. De plus, la réduction de cette cotisation va soulager les employeurs qui pourront, le cas échéant, augmenter les salaires.
Notre objectif étant de poursuivre cette politique, l’allégement des charges salariales permettra aux patrons d’embaucher davantage ou de conserver des effectifs plus importants. Quant à l’épargne, les salariés désirant échapper à la CSG pourront adapter leurs placements financiers.
Le Parisien : Quelle sera la nouvelle assiette de la CSG ?
Alain Lamassoure : Elle sera un peu plus réduite que celle du remboursement de la dette sociale (RDS). Concrètement, seront exclus de la nouvelle CSG à 3,4 % tous les minimas sociaux ainsi que l’épargne non imposée : livret A, jeune, livret d’épargne populaire. Les retraités et les chômeurs à revenu modeste y échapperont ainsi que les titulaires d’allocations familiales.
Le Parisien : La réduction de l’abattement de 10 % pour les retraités fait des mécontents. Avec 100 000 F de revenus annuels, les couples moyens de retraités craignent d’être fortement pénalisés…
Alain Lamassoure : Là encore il faut dissiper une crainte non fondée. Nous ne proposons pas de remettre en cause l’abattement de 10 % mais seulement de limiter son montant. Le plafond que nous proposons n'aura de conséquence que pour les foyers percevant plus de 10 000 F de retraite par mois. Et seulement au terme de cinq ans, alors que, par ailleurs, le barème de l’impôt aura beaucoup baissé. Avec 100 000 F de revenus, les couples de retraités moyens ne seront pas concernés. De même, en 2001, l’impôt sur le revenu d’un retraité (une part) percevant 150 000 F de pension sera réduit de 23 %. L’allégement serait encore supérieur à 5 % pour une pension de 250 000 F.
Le Parisien : Comment justifier la suppression de l’avantage accordé aux femmes enceintes qui touchent des indemnités maternité ?
Alain Lamassoure : Les indemnités journalières de repos versées aux femmes en congé de maternité ne sont actuellement pas retenues pour le calcul de l’impôt sur le revenu alors qu’elles procurent un revenu de remplacement exactement égal au salaire habituel. C’est pourquoi il est prévu d’appliquer aux indemnités de maternité le traitement fiscal du salaire.
Le Parisien : Pourquoi supprimer l’aide fiscale pour les enfants scolarisés à charge ?
Alain Lamassoure : Notre réforme de l’impôt sur le revenu bénéficiera principalement aux familles. Un couple marié avec deux enfants disposant de 250 000 F de salaire annuel verra son impôt réduit de plus de 9 000 F au terme de la réforme. La réduction d’impôt pour enfant scolarisé qui disparaîtra est bien inférieure.
Son montant n’est, par exemple, que de 400 F par enfant fréquentant un collège. Elle ne s’applique pas si l’enfant est dans l’enseignement primaire.
Le Parisien : Pourquoi supprimer les déductions d’intérêts pour emprunt sur l’immobilier alors que les gens veulent se loger et que le bâtiment va mal ?
Alain Lamassoure : Il est essentiel de souligner que les personnes qui ont acquis leur logement entre 1992 et 1996 continueront de bénéficier, jusqu’à la cinquième annuité, de la réduction d’impôt au titre des intérêts. La mesure que nous proposons n’est, en effet, pas rétroactive. De plus, les contribuables peuvent encore bénéficier jusqu’au 31 décembre 1996.
Le dispositif actuel est très peu incitatif pour deux raisons. D’abord parce que la réduction d’impôt n’est accordée que pendant les cinq premières années du prêt. Par exemple, elle ne procure qu’un avantage maximal de 5 250 F à un couple marié qui, avec trois enfants et 300 000 F de salaire, achète un logement ancien. Ce montant doit être comparé à l’allégement annuel de 11 000 F au terme de cinq ans que la réforme procurera à cette famille. De plus, les taux d'intérêt n'ont jamais été aussi bas et ils peuvent encore baisser. Dans ces conditions, l'avantage devient de moins en moins intéressant.
Le Parisien : Pourquoi avoir étendu à de nouvelles professions le bénéfice de l’abattement de 20 % ? N’est-ce pas un nouveau cadeau fiscal ?
Alain Lamassoure : Nous proposons de mettre fin à une situation injuste. L'abattement de 20 % a été attribué en 1959 au profit de contribuables dont le revenu était clairement vérifiable et déclaré ; essentiellement les salariés. Mais la formule a été étendue depuis. Aujourd’hui, de nombreuses professions libérales, artisanales et agricoles ont une comptabilité agréée par un centre de gestion qui certifie leurs revenus. Il était donc logique d'appliquer le même abattement avec le même plafond.
Le Parisien : Pourquoi ne pas avoir touché aux avantages fiscaux très juteux en faveur des investissements dans le cinéma, les DOM-TOM, les emplois familiaux…
Alain Lamassoure : Les avantages fiscaux pour les investissements dans les DOM-TOM découlent d’une loi qui doit prendre fin d'elle-même en 2001. Ce dispositif a permis à ces départements défavorisés de connaître des investissements créateurs d'emplois. Aussi nous ne changerons pas ce dispositif ni son calendrier. Concernant le financement du cinéma, les avantages fiscaux ont aidé la France à conserver une industrie cinématographie qui reste la seule indépendante d’Europe. Quant à la déduction d’impôt pour emplois familiaux, qui permet aux particuliers de déduire 50 % des dépenses dans la limite d’un plafond de 90 000 F, nous la maintenons car elle crée des emplois de services et aide concrètement de plus en plus de familles.
Le Parisien : Les représentants des cent seize professions à qui l’on va supprimer certains avantages fiscaux craignent d’importantes pertes de pouvoir d’achat…
Alain Lamassoure : Les salariés de ces professions peuvent déduire jusqu’à 30 % de leur revenu – plafonné – sans avoir à justifier qu’ils ont effectivement à supporter des frais élevés. Ces déductions se sont transformées au fil du temps en un avantage fiscal sans rapport avec la réalité des frais supportés.
La réforme donne donc l’impression d’appliquer le droit commun à tous les salariés. Mais les déductions supplémentaires ne seront supprimées que progressivement, la première étape n’intervenant qu’en 1998 sur les revenus de 1997. Comme dans d’autres catégories, les professionnels concernés pourront donc déduire leurs frais professionnels pour leur montant réel et sans limite.
Le Parisien : Les gains aux courses et aux jeux de hasard seront-ils taxés ?
Alain Lamassoure : La CSG leur sera appliquée comme le RDS. Personne ne comprendrait que les revenus des jeux ne participent pas au financement de la protection sociale.
Le Parisien : Pourquoi faire payer plus vite l’impôt par le biais d’une réduction de 400 F à 200 F du seuil de recouvrement ?
Alain Lamassoure : Ce n’est pas exact. Notre réforme va au contraire dispenser du paiement de l’impôt un million et demi de familles supplémentaires.
Le Parisien : Grosse surprise dans la réforme du barème des impôts : la tranche à 35 % restera à 35 % en 2001. Où est la baisse annoncée ?
Alain Lamassoure : Il faut comprendre que, pour les intéressés, le taux de 35 % ne s’appliquera qu'à la tranche supérieure de leurs revenus : ils bénéficieront de la baisse des taux qui s'appliquent aux tranches inférieures. Ainsi, un célibataire qui gagne 180 000 F par an est actuellement taxé à 3,5 % ; il paie 27 179 F d’impôt par an. Au terme de la réforme, il acquittera 21 834 F, soit un montant en baisse de 20 %.
Le Parisien : Les sommes versées sur les futurs fonds de pension seront-elles déductibles ?
Alain Lamassoure : Elles seront déductibles du revenu imposable dans la limite d'un plafond. Par ailleurs, à la demande des syndicats, la personne qui souscrit à un fonds pension paiera des cotisations retraite sur les sommes concernées de manière que, en aucun cas, la cotisation à un fonds de pension ne vienne réduire le financement des retraites par répartition.
Le Parisien : Comment le gouvernement peut-il garantir l’application dans cinq ans du barème présenté alors que de nombreuses promesses passées n’ont pas été tenues ?
Alain Lamassoure : Nous ferons voter le barème de l'impôt sur le revenu non seulement pour l'année qui vient mais pour chacune des cinq années à venir, avec une baisse progressive de taux. Cela sera dans la loi. Un nouveau gouvernement et le Parlement peuvent évidemment changer la loi mais je ne vois pas quelle majorité oserait réviser les impôts à la hausse. Peut-être pour aller plus loin dans la baisse mais pas dans l’autre sens.
Le Figaro - 21 septembre 1996
Le Figaro : Les marchés financiers ont plutôt bien accueilli votre projet de budget, mais quelques critiques émanent déjà de la majorité. Qu’en pensez-vous ?
Alain Lamassoure : Je trouve, au contraire, que la réaction de la majorité est très positive. Le gouvernement a manifestement son plein soutien sur les grands enjeux du budget et notamment le renversement historique de tendance sur la dépense publique.
Il faut tout de même le rappeler : pendant des années, la croissance a été étouffée par l'augmentation inexorable de la dépense publique qui représente aujourd’hui 55 % de la richesse nationale. Cette année, malgré l'effort de réduction des déficits engagé depuis trois ans, l'État va encore emprunter sur le marché financier 92 % de l'épargne que les Français y placent ! La majorité a bien compris que cela ne pouvait plus durer.
Le Figaro : L'opinion publique ne paraît cependant pas du tout convaincue par la réforme fiscale. La grande majorité des Français ne s’attend pas à bénéficier d'une baisse d'impôt l'année prochaine...
Alain Lamassoure : Nous ne cherchions pas un effet d'annonce. Ce que nous voulons, c'est passer avec les Français un contrat de croissance sur cinq ans. Nous leur disons : nous allons réduire la dépense de l'État et nous vous intéressons aux dividendes de cet effort de productivité. Dès l'année prochaine, nous allons baisser l'impôt sur le revenu de 25 milliards de francs. D'ici cinq ans, il aura baissé d'un quart. Les Français attendent de voir pour y croire et c'est normal. Mais ils constateront la baisse dès le début de 1997.
Le Figaro : Vraiment ? Entre la diminution de l’impôt sur le revenu et les relèvements de taxes diverses, on s’y perd dans vos additions…
Alain Lamassoure : Ne mélangeons pas tout. Personne n’a proposé de réduire tous les impôts en même temps. Nous baissons l’impôt sur le revenu. La redevance télévision ne va pas augmenter pour la première fois depuis des années – ce qui signifie, compte tenu de l’inflation, qu’elle va en réalité baisser. Enfin, le taux d’imposition des bénéfices va être réduit pour les PME sous condition d’incorporation au capital. Cela dit, c’est vrai : pour financer la politique de santé, les prix du tabac vont augmenter et les taxes sur l’alcool vont être relevées. Quant à la taxe sur les produits pétroliers, elle n’augmentera pas plus que l’inflation. Mais, au total, compte tenu des hausses et des baisses, les impôts d’État recueilleront bien l’an prochain de 25 milliards.
Le Figaro : Et la hausse des impôts locaux ?
Alain Lamassoure : Mais ces impôts ne dépendent pas de nous ! Il y a 36 000 communes en France et donc 36 000 situations différentes. Les chiffres qui ont circulé à ce sujet ces dernières semaines ne correspondent pas à la réalité. Le rendement des impôts locaux augmente cette année de 20 milliards de francs. Sur ce total, la moitié pèse sur les entreprises.
Pour ce qui est des 10 milliards supplémentaires prélevés sur les ménages, un quart est pris en charge par l'État car Il correspond aux contribuables à faibles revenus qui sont exonérés de taxe d'habitation. En réalité, la charge d'impôt supplémentaire imposée aux familles par des relèvements de taux n’est donc que de 4 milliards. Et le gouvernement n’y est pour rien.
Le Figaro : Dans la réforme fiscale, vous ne semblez pas favoriser vraiment les classes moyennes : vous supprimez un certain nombre d’avantages dont elles bénéficient, comme la déduction pour frais de scolarité des enfants ou la réduction d’impôts pour les emprunts immobiliers, mais vous conservez des avantages réservés aux très hauts revenus…
Alain Lamassoure : Au contraire ! La réforme est conçue pour bénéficier essentiellement aux classes moyennes et aux familles nombreuses : la réduction des taux et l’élargissement de la tranche de revenu exonérée bénéficiera massivement aux familles. La déduction pour frais de scolarité faisait double emploi avec les autres avantages réservés aux familles. Sa suppression aura un effet minime. Quant à l’avantage fiscal sur les prêts immobiliers, il devenait sans effet. Les familles dont le revenu est de 4,5 fois le SMIC ont accès au prêt à taux zéro. Et celles dont les revenus sont plus élevés bénéficient de la forte baisse des taux d’intérêt.
Nous avons, par ailleurs, maintenu la réduction d’impôts au titre des emplois familiaux. Et nous avons institué une nouvelle réduction pour travaux de 20 000 francs pour un célibataire et de 40 000 francs pour un couple. Ces mesures concernent largement les classes moyennes. Elles permettent aussi de blanchir le travail au noir.
Actuellement, une famille de cadres moyens avec trois enfants et 25 000 francs de revenus nets par mois dépense en moyenne l’équivalent de trois semaines de revenus au titre de l’impôt sur le revenu. Au terme de la réforme, elle ne paiera plus que l’équivalent d’une semaine.
Le Figaro : Pourquoi ne pas avoir touché à la loi Pons, aux avantages liés à l’achat de parts de navire (les quirats) ou aux dispositifs des Sofica qui concernent surtout les contribuables les plus aisés ?
Alain Lamassoure : Certaines de ces mesures présentent un intérêt économique évident. C'est le cas de la loi Pons qui est conçue pour donner un coup de fouet à l'économie des DOM-TOM. Les quirats sont le seul moyen que nous avons de sauver notre construction navale. Et les Sofica nous ont permis de sauvegarder une industrie cinématographique indépendante. Maia nous sommes bien sûr ouverts aux propositions qui nous serons faites par la majorité au cours du débat budgétaire.
Le Figaro : Fallait-il sortir un million et demi de contribuables du champ de l’impôt, à l’encontre des mises en garde de la majorité et les promesses de la campagne présidentielle ?
Alain Lamassoure : Ces contribuables participent au financement des charges publiques à travers les cotisations sociales et la contribution sociale généralisée (CSG) qui est prélevée sur tous les revenus.
La France a un système fiscal particulier avec un impôt sur le revenu très progressif, payé par la moitié des foyers fiscaux. C'est un impôt injuste qui a beaucoup d'effets pervers car il n'est pas systématiquement payé par les plus riches. Un célibataire au SMIC peut payer l'impôt sur le revenu alors qu'une famille nombreuse avec des revenus élevés peut y échapper en tout ou partie. Or nous voulons que l'impôt baisse pour tout le monde.
Le Figaro : Du côté des dépenses, vous réduisez le nombre de fonctionnaires de 5 600, c’est un chiffre inférieur à ce que vous aviez laissé entendre jusqu’ici.
Alain Lamassoure : Il faut d'abord préciser que ces réductions se font sans aucun licenciement. Ce que nous proposons aux fonctionnaires, c'est aussi un contrat de croissance : l'amélioration de leur rémunération sera la contrepartie d'un effort de productivité. La réduction d'effectifs inscrite au projet de budget 97 marque une rupture avec les années antérieures. Si elle reste relativement modérée, c'est parce que nous avons voulu concilier notre souci de rigueur et notre souci de préserver le consensus social.