Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Messieurs les Présidents des Conseils généraux,
Mesdames et Messieurs,
Cher(e)s Ami(e)s,
Je suis heureux de me trouver aujourd'hui à Lille, la ville dont mon ami Pierre MAUROY est le maire, afin d'aborder devant vous un grand enjeu pour la République et notre démocratie : la décentralisation. Le lieu est bien choisi. L'Hôtel de Ville est en effet le bâtiment qui illustre le mieux, aux yeux de nos concitoyens, la démocratie locale. Ici, dans cette grande cité du nord, le beffroi est toujours apparu comme le symbole des libertés communales. Ce lieu est bien choisi, aussi, parce que Pierre MAUROY fut le Chef du Gouvernement qui conduisit en 1982 la plus grande réforme de décentralisation que la France ait connue depuis le début de la IIIème République. La loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, présentée en son nom par Gaston DEFFERRE, alors ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, a profondément transformé notre pays.
Transformation profonde, puisqu'il s'est agi d'opérer un renversement de perspective politique. Il s'agissait, je cite l'exposé des motifs du projet de loi, de " mettre fin à un mode d'organisation et de gestion fondé sur la méfiance du pouvoir central à l'égard des citoyens et de leurs élus ". Il s'agissait, je cite encore, de faire " des communes, des départements et des régions des institutions majeures, c'est-à-dire, libres et responsables ". Il s'agissait, je cite toujours, d'un " acte de confiance dans les Français, dans leur capacité à se gérer eux-mêmes ".
La gauche peut être fière de cette réforme menée à bien sous le premier mandat du Président François MITTERRAND, en dépit de l'hostilité de l'opposition parlementaire d'alors. Près de vingt ans plus tard, les lois de décentralisation sont reconnues par tous et apparaissent comme des textes majeurs de la modernisation de notre pays.
Il était naturel que je m'exprime sur ce sujet à Lille, devant Pierre MAUROY, parce que c'est à lui que j'ai confié, il y a un an, la présidence d'une commission pluraliste, composée des représentants des principales associations d'élus de notre pays et de personnalités qualifiées. Sa mission était justement de formuler des propositions pour une nouvelle étape de la décentralisation. Cette commission a beaucoup travaillé. Elle s'est réunie à de nombreuses reprises. Elle a consulté des ministres, des élus, des experts. Elle a débattu dans une excellente ambiance - d'après ce que m'a dit Pierre MAUROY -, avant d'examiner un ensemble très complet de recommandations, portant sur tout le champ de la démocratie locale. Je voudrais remercier son président, Pierre MAUROY, et tous les membres qui l'ont composée, de la qualité de leur réflexion. J'ai bien noté que les élus de l'opposition avaient estimé, dans les dernières semaines, ne pouvoir s'associer aux conclusions de cette commission, mais je sais qu'ils ont activement participé à leur élaboration. Je me félicite donc de ce travail en commun.
Cette réflexion vient à son heure.
Depuis trois ans et cinq mois, le Gouvernement a pris en compte l'exigence de décentralisation.
Plusieurs textes d'une grande importance pour les collectivités locales ont été adoptés. En juillet 1999, le Parlement a voté une loi sur le renforcement de l'intercommunalité, présentée au nom du Gouvernement par le ministre de l'Intérieur, M. Jean-Pierre CHEVENEMENT. A la même période a également été votée la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire, présentée par la ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, Mme Dominique VOYNET. Ce texte offre de nouveaux moyens pour soutenir les initiatives locales dans les bassins de vie. D'autres textes permettront bientôt le développement des réseaux de télécommunication par les collectivités locales et le transfert aux régions des transports ferroviaires régionaux. Ils donneront aux collectivités locales un rôle important dans la mise en uvre de la prestation autonomie pour les personnes âgées. Vous voyez que toutes ces dispositions sont tournées vers le service de nos concitoyens.
De même, le Gouvernement a été attentif à l'évolution des ressources financières des collectivités locales. En arrêtant, en 1998, un contrat de croissance et de solidarité, il a garanti pour trois années une croissance régulière des dotations des collectivités locales.
Aujourd'hui, il nous faut aller plus loin.
Nos concitoyens aspirent à plus de démocratie, et en particulier dans la vie locale. Au moment où la construction européenne et la mondialisation marquent de plus en plus nettement leur vie, nos concitoyens n'entendent pas que la Nation se défasse, mais souhaitent que leur environnement institutionnel immédiat réponde à leurs besoins de proximité. La commune, le département et la région sont pour eux des repères forts. Soucieux d'exercer pleinement leurs prérogatives de citoyens, ils veulent identifier clairement les responsables des décisions, mieux comprendre l'utilisation qui est faite de leurs impôts, exercer un contrôle démocratique. Je m'en réjouis.
Les Français sont aussi attachés à un développement équilibré et solidaire du territoire national. Qu'ils habitent en milieu urbain ou rural, nos concitoyens estiment que le service public doit rendre à tous les mêmes services. Si les territoires ont des atouts et des handicaps différents face aux évolutions économiques, du moins est-il attendu de l'Etat qu'il mette en uvre une politique résolue pour maintenir la cohésion nationale. Tel est bien l'objectif de la loi d'orientation sur le développement durable du territoire, des contrats de plan, ainsi que celui des projets de schémas de services collectifs, que nous avons validés hier avec les ministres pour les proposer à la concertation. Telles ont aussi été l'inspiration et la portée des réformes que Martine AUBRY a conduites en qualité de ministre de l'Emploi et de la Solidarité.
Le Gouvernement entend engager aujourd'hui une nouvelle étape de la décentralisation. Celle-ci doit être une décentralisation citoyenne.
Elle devra concilier l'aspiration à des responsabilités locales accrues et la volonté de réduire les inégalités. L'unité nationale et la cohésion sociale restent des impératifs.
La France est un Etat unitaire. Le Gouvernement que je dirige ne croit pas que ce trait de notre identité nationale doive et puisse être remis en cause. Un accroissement des pouvoirs locaux qui conduirait à trop de particularismes ou d'inégalités serait, à l'évidence, récusé.
Pour autant, et contrairement à ce que l'on a trop longtemps cru, l'Etat unitaire, garant du principe d'égalité et de la cohésion nationale, n'est pas synonyme de centralisation ou d'uniformité. L'unité nationale dépend d'abord de l'attachement des citoyens à un ensemble de valeurs communes. Loin d'être compromise, cette unité est renforcée par le libre exercice des responsabilités locales qui permet de donner vie à ces valeurs dans des situations que la géographie ou l'Histoire ont rendu différentes.
Aujourd'hui, le Gouvernement fait le choix d'engager une nouvelle étape de la décentralisation, dans l'unité de la République. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les propositions de la commission présidée par Pierre MAUROY. Le Gouvernement s'inspire de cet ensemble de propositions pour définir les contours d'une nouvelle étape citoyenne de la décentralisation.
Celle-ci doit d'abord renforcer le lien entre les élus et les citoyens.
Aujourd'hui, nos concitoyens souhaitent que leurs élus se consacrent pleinement à leur mandat. Le Gouvernement s'est engagé résolument pour réduire le cumul des mandats. Une première réforme a été adoptée. Je regrette que la majorité du Sénat nous ait empêché, pour l'heure, d'aller plus avant dans cette direction.
Mettre fin à un cumul excessif des mandats électifs doit avoir pour corollaire de faciliter l'exercice de leur mandat par les élus. Beaucoup d'hommes et de femmes hésitent à poursuivre leur engagement public, tant celui-ci pèse sur leur vie personnelle et professionnelle. Alléger ce poids, c'est ouvrir plus largement la porte à des candidats et à des candidates mieux représentatifs de la diversité de la société française. La commission MAUROY propose d'améliorer ce que l'on appelle - improprement, car les mandats électifs ne sauraient être une fonction publique administrative - le " statut de l'élu ". Quelle que soit la dénomination, il faut en tout cas que les élus issus du secteur privé puissent préserver leur carrière professionnelle autant que ceux qui viennent de la fonction publique, qu'ils puissent aisément retrouver un emploi en fin de mandat, que leur formation permanente soit mieux organisée, que la continuité de leurs droits à la retraite soit efficacement assurée.
C'est à ces conditions que notre démocratie locale s'épanouira. Aujourd'hui, les conditions d'exercice des mandats locaux n'ont plus grand rapport avec celles de la France rurale qui a vu naître la démocratie locale. Dans cet environnement profondément renouvelé, nous devons préserver ce qui fait l'essence même de la vie démocratique locale : l'engagement des élus et le contrôle démocratique par leurs concitoyens.
Sur ce point, le rapport de la commission soulève avec raison la question du mode de désignation des dirigeants des établissements publics de coopération intercommunale. Ces derniers sont aujourd'hui désignés au second degré, par les élus des communes. Or ces établissements prennent d'importantes décisions. Certains ont une fiscalité propre. Historiquement, le consentement à l'impôt par des assemblées élues au suffrage universel direct a été, on le sait, une étape majeure de la construction des démocraties. Aussi la commission suggère-t-elle que les dirigeants des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre soient désormais élus au suffrage universel direct. Certains souligneront le risque de multiplication des scrutins ; d'autres craindront que soit créé, de facto, un quatrième niveau de collectivité locale, dans un pays où il y en aurait déjà trop. A ce stade des réflexions, je suis plus sensible au risque de rupture du lien entre les citoyens et les élus, lorsque des instances de décision importantes peuvent sembler leur échapper, qu'à celui de solliciter trop souvent leurs suffrages. Si cette proposition mérite un examen attentif, j'y suis pour ma part favorable.
Cette question du lien entre les citoyens et les élus est également posée pour l'élection des conseillers généraux. Je suis convaincu que le département, né dans une France très différente de celle d'aujourd'hui, doit être renouvelé dans son organisation. Il faut ouvrir un débat pour rechercher le mode de scrutin qui conciliera le mieux la représentation de la population et des territoires, réalité en mutation, et la clarté du choix politique. Les conseils généraux gagneraient en lisibilité politique si, comme les autres collectivités locales, leurs assemblées étaient renouvelées en une seule fois. Aujourd'hui, si le canton est clairement identifié en zone rurale, il n'en va pas toujours de même dans les villes. Conseiller général, je connais l'attachement de beaucoup d'élus à la structure cantonale. La commission, d'ailleurs, n'a pas été unanime sur cette question. Il me semble néanmoins que la question du mode d'élection des membres de l'assemblée départementale doit être traitée.
En dehors des élections, les citoyens doivent pouvoir participer plus régulièrement à la vie publique. Le renforcement des structures de concertation et la réforme des procédures d'enquêtes publiques, qui sont en cours, y contribueront. J'ai aussi noté avec intérêt la proposition d'institutionnaliser, dans les villes de plus de 20.000 habitants, les conseils de quartier. Nos concitoyens ont aussi besoin de lieux d'identité proches d'eux. Nous savons que des publics trop nombreux restent encore à l'écart de la vie de la Cité. Il faut leur proposer de nouvelles instances de participation. Dans les trois plus grandes villes françaises, la loi a organisé en 1982 la représentation des arrondissements. Ailleurs, des initiatives ont souvent été prises pour structurer la vie des quartiers. Je rejoins la commission pour souhaiter que cela devienne la règle. La démocratie de proximité doit être une réalité dans toutes les villes.
Il faut redéfinir la place et le rôle de chaque niveau de collectivité locale.
Notre organisation territoriale s'est constituée peu à peu, au cours de notre histoire institutionnelle, avec des ruptures, parfois plus apparentes que réelles, des évolutions et des adaptations à une réalité sociale et économique qui s'est considérablement transformée. Aujourd'hui, alors que la majorité de nos concitoyens vivent dans les villes, que la mondialisation et les technologies modifient profondément notre manière de vivre et de travailler, que notre pays est de plus en plus engagé dans la construction européenne, l'organisation territoriale de la France n'est-elle pas à revoir, ne doit-on pas s'interroger sur les niveaux et les nombres de collectivités, sur leur dimension géographique ? Ne devrions-nous pas nous inspirer de l'organisation territoriale de certains de nos voisins ?
Ces interrogations sont légitimes. Mais il faut être conscient que les différentes collectivités locales ont pris leur place auprès de nos concitoyens, ont produit des réalisations, structuré des réseaux de solidarité, fait naître ou conforté des identités locales. L'évolution de notre organisation territoriale ne peut se penser dans un espace vierge, mais à partir d'une réalité sociale et culturelle complexe. On peut toujours vouloir écrire une organisation territoriale idéale sur une page blanche. Il reste à la faire accepter dans la réalité. Nous avons à cet égard l'expérience des communes. Face au problème, réel, du très grand nombre de communes, il y a eu dans le passé la tentation de procéder à des fusions autoritaires. Cette voie s'est heurtée à une forte résistance et elle a dû être abandonnée. Mais le problème de l'émiettement communal a été surmonté par l'intercommunalité qui permet, progressivement, de fédérer les communes sans les supprimer.
Aujourd'hui, il ne semble pas que les Français soient favorables à la suppression des départements. Depuis deux siècles, ces derniers ont structuré la réalité sociale de notre pays. J'observe d'ailleurs que cette suppression est très rarement proposée.
Au surplus, il est inexact d'affirmer qu'une administration locale à trois niveaux serait en Europe une particularité française. On retrouve trois niveaux de collectivités dans des pays aussi différents que l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie. Pour ce qui est de la taille des collectivités, gardons-nous aussi des idées reçues. Les régions des autres pays d'Europe sont de taille variable, d'un pays à l'autre et au sein d'un même pays.
Et puis, n'y a-t-il pas une contradiction à affirmer qu'il faut administrer au plus près, que l'on dirige de trop loin, et en même temps à vouloir éloigner les centres de décision des citoyens ? En réalité, aujourd'hui, les Français considèrent que chaque niveau de collectivité a son utilité et sa légitimité. On ne saurait exclure des évolutions ultérieures quant au nombre de niveaux. Il paraît aussi probable que la méthode - employée avec succès pour les communes - d'une coopération institutionnalisée entre collectivités de même niveau puisse être utilisée également pour les départements et les régions. Il est juste que la commission MAUROY ait accordé un intérêt particulier à l'interrégionalité. Ce sera sans doute par ce biais que des regroupements se produiront dans l'avenir.
Nous ne devons fermer aucune perspective, mais la voie du bouleversement institutionnel ne me paraît pas aujourd'hui pouvoir réunir un consensus. C'est pourquoi le Gouvernement proposera la voie du réformisme institutionnel.
Il faut d'abord clarifier le partage des compétences.
Cette clarification doit s'opérer entre l'Etat et les collectivités, comme entre les collectivités elles-mêmes. Le principe des blocs de compétences, déjà affirmé en 1983, doit être rappelé.
Les régions ont reçu compétence pour l'aménagement du territoire, la programmation, la formation des hommes et l'action économique et culturelle locales. Ces domaines sont essentiels pour la construction de l'avenir des territoires. A ce titre, les régions devront être mieux associées à la mise en uvre des programmes structurels européens.
Les départements sont compétents pour l'action sociale, en particulier pour l'enfance, les politiques locales en faveur des handicapés et des personnes âgées, les infrastructures routières et les collèges. Ils doivent retrouver un rôle directeur pour la gestion des services d'incendie et de secours, et assurer une coordination des politiques locales en matière d'environnement. En matière de développement rural, urbain et périurbain, les départements devraient pouvoir jouer un rôle de coordination des intercommunalités. Plus généralement, la recherche d'un lien étroit entre collectivité départementale et organisation intercommunale -sujet sur lequel la commission fait d'intéressantes propositions- me semble devoir être au cur de la réflexion sur l'évolution nécessaire du département.
Les communes et leurs groupements sont en charge de la vie quotidienne, des transports urbains, de l'urbanisme, de l'action culturelle de proximité et des écoles. Il faudra approfondir leurs compétences sur ces sujets.
Quel que soit le soin avec lequel ces blocs de compétences seront distingués, de nombreux projets concerneront plusieurs collectivités à la fois, ainsi que l'Etat. Comment faire en sorte que ces collectivités puissent mieux travailler ensemble ? Rejoignant les conclusions de la commission, je crois qu'il ne faut pas se complaire dans une coresponsabilité généralisée, qui conduit à diluer les responsabilités ; j'ai bien noté, sur ce point, la critique du rapport sur les procédures de contractualisation. Autant il est admis par tous que les contrats de plan, de ville ou d'agglomération ont donné une cohérence et l'avantage de financements conjoints pour la mise en uvre locale de grandes politiques d'intérêt général, autant il convient de se garder de multiplier les financements c roisés dans lesquels chacun intervient dans la compétence de l'autre. La solution que la Commission préconise - celle de la désignation d'une collectivité chef de file -, déjà possible depuis la loi de 1995, mériterait d'être mieux organisée et mise en uvre plus fréquemment. De même, des établissements publics de coopération entre départements et régions devraient pouvoir être créés afin de compléter les possibilités de contractualisation qui avaient été ouvertes, au profit des seules régions, par la loi de 1992.
De nouveaux transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités locales peuvent et doivent être opérés.
A travers ces nouveaux transferts, il n'est pas question de renoncer au rôle de l'Etat, aux politiques nationales, au principe d'égalité. Il s'agit de permettre une adaptation aux réalités locales, dans le cadre des principes posés au niveau national. Il s'agit de gérer au mieux les services publics les plus proches des citoyens. Dans cet esprit, des transferts de compétences peuvent aussi être opérés entre collectivités locales.
Sur ce sujet, les propositions de la commission me semblent réalistes. Il faudra en discuter, dans le cadre des consultations à venir, avec les associations d'élus et avec les organisations syndicales. La poursuite du transfert aux régions des compétences en matière de formation professionnelle, l'affirmation du rôle directeur de la région pour l'action économique locale et de la responsabilité des départements pour la gestion des services d'incendie et de secours pourront sans doute rapidement recueillir un large accord. Pour d'autres transferts de compétences, qui feront l'objet de débats plus nourris, nous proposerons des expérimentations dans des régions ou des départements.
Quelle que soit la collectivité compétente, le rôle de la fonction publique territoriale est essentiel. Celle-ci fait l'objet, de la part de la commission, d'intéressantes suggestions destinées à en garantir la qualité et la mobilité.
J'en viens à la question sensible des finances locales.
Le Gouvernement est conscient que le système de financement des collectivités locales est obsolète, voire injuste. C'est pourquoi il s'est attaché à alléger et parfois même à supprimer les impôts locaux les plus contestés, tout en garantissant les ressources financières des collectivités concernées. Ces décisions ont été bien accueillies par les contribuables, que ce soit la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, celle de la vignette ou la baisse des droits de mutation en matière immobilière. Malgré ces premières décisions, le système de financement des collectivités locales demeure trop complexe, et sans doute trop opaque pour les citoyens. Le Gouvernement souhaite poursuivre sa rénovation, en concertation avec les élus et leurs représentants.
Un débat est né sur le thème de " l'autonomie fiscale " des collectivités locales. J'observe ici que ce débat n'aurait pas surgi si nous n'avions pas effectivement baissé des impôts. Je relève aussi que ce débat a servi tout récemment de prétexte pour proposer de modifier l'équilibre institutionnel français qui, dans le rapport entre l'Assemblée nationale et le Sénat, donne, depuis la Libération, le dernier mot à l'Assemblée nationale, qui est élue au suffrage universel direct. Pour le Gouvernement, il n'est évidemment pas question d'aller dans ce sens.
Le véritable enjeu est celui de la modernisation des finances locales. Celle-ci doit servir deux objectifs. Le premier est que les collectivités locales disposent des ressources suffisantes pour financer l'exercice de leurs compétences, selon les priorités que chaque collectivité se choisit. Le second objectif est que les collectivités maîtrisent une partie de leurs recettes fiscales en déterminant le taux ou l'assiette d'impôts spécifiques dont les règles sont fixées par le Parlement. Or ce qui est primordial, à nos yeux, c'est que les collectivités locales disposent de ressources suffisantes. Le contrat de croissance et de stabilité adopté pour trois ans en 1998 y a contribué. Le Gouvernement se propose de prolonger l'effet de ce contrat pour l'année 2002.
La commission MAUROY a justement souligné aussi la nécessité d'une responsabilisation de l'élu vis-à-vis des électeurs et celle d'une régulation par l'Etat au moyen de mécanismes de péréquation. Elle a marqué son intérêt pour une spécialisation des impôts par collectivité. Celle-ci peut en effet être une solution. Cependant, elle ne devrait en aucun cas se traduire par des transferts excessifs de charges entre contribuables ou entre collectivités.
Le Gouvernement est favorable à de nouvelles réformes de la fiscalité locale. M. Laurent FABIUS, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, et M. Daniel VAILLANT, ministre de l'Intérieur, engageront une concertation sur ces points avec les associations d'élus. La réforme portera aussi sur les dotations que l'Etat attribue aux collectivités locales, dans le but de simplifier des mécanismes de répartition aujourd'hui trop complexes et de renforcer significativement les parts réservées à la péréquation.
En effet, ni la fiscalité locale en particulier, ni la décentralisation en général, ne sauraient creuser les inégalités entre territoires. Il serait inacceptable que les collectivités les plus riches instaurent une tutelle par l'argent sur les collectivités plus pauvres. C'est pourquoi l'Etat doit pleinement jouer son rôle de gardien de la cohésion sociale et de la solidarité nationale. A ce titre, j'ai trouvé particulièrement pertinentes les recommandations de la commission concernant la déconcentration et la modernisation de l'État, lesquelles sont indissociables de la décentralisation : le renforcement du rôle des préfectures de région, l'adaptation concertée de l'organisation des services de l'Etat, l'utilisation plus intensive encore des technologies de l'information et de la communication.
Mesdames et Messieurs,
Telles sont les réflexions et les orientations que je souhaitais formuler à la suite des propositions de la commission présidée par Pierre MAUROY.
Un grand débat national doit maintenant s'ouvrir. Une nouvelle étape de la décentralisation ne peut en effet réussir sans l'adhésion la plus large : de nos concitoyens, des élus locaux, des agents de la fonction publique d'Etat et territoriale. Il convient d'élargir les consultations menées par la commission. Je propose au Parlement un débat d'orientation générale, qui pourrait être organisé en décembre prochain. Après ce débat et une nouvelle phase de concertation, le Gouvernement préparera un premier projet de loi qui comportera des dispositions susceptibles d'être votées avant la fin de l'actuelle législature. Ainsi que je l'ai évoqué, je pense notamment à des mesures relatives à l'approfondissement de la démocratie locale, au renforcement de la coopération entre collectivités, aux modalités de l'intervention économique des collectivités locales et à certains transferts de compétences. Sur les autres thèmes, notamment la réforme des finances des collectivités locales, la tâche ne pourra être menée à son terme dans le cadre de cette législature. Le ministre de l'Intérieur, Daniel VAILLANT, en liaison avec les autres ministres intéressés, animera une concertation approfondie pour préparer des réformes dans la perspective d'une prochaine législature.
Une nouvelle fois, Pierre MAUROY a ouvert la voie à la décentralisation dans notre pays. Je l'en remercie au nom du Gouvernement. Pierre MAUROY a qualifié le rapport de la Commission pour l'avenir de la décentralisation de " révolution tranquille ". Dans cet esprit, c'est à une modernisation raisonnée et adaptée de nos institutions locales que le Gouvernement propose de s'atteler. En menant à bien une nouvelle étape de la décentralisation, nous allons approfondir la réforme conduite, il y a près de vingt ans, par le Premier ministre de l'époque et Gaston DEFFERRE. Je sais pouvoir compter sur votre concours résolu. Notre pays est riche de ses territoires. Ses collectivités sont des lieux essentiels de notre démocratie citoyenne. Ses 500.000 élus locaux, par leur dévouement, leur engagement et leur sens des responsabilités, participent de manière irremplaçable à notre vie publique. Ensemble, nous nous efforcerons, en renforçant la démocratie locale, de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens et d'établir encore mieux la République.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 octobre 2000)
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Messieurs les Présidents des Conseils généraux,
Mesdames et Messieurs,
Cher(e)s Ami(e)s,
Je suis heureux de me trouver aujourd'hui à Lille, la ville dont mon ami Pierre MAUROY est le maire, afin d'aborder devant vous un grand enjeu pour la République et notre démocratie : la décentralisation. Le lieu est bien choisi. L'Hôtel de Ville est en effet le bâtiment qui illustre le mieux, aux yeux de nos concitoyens, la démocratie locale. Ici, dans cette grande cité du nord, le beffroi est toujours apparu comme le symbole des libertés communales. Ce lieu est bien choisi, aussi, parce que Pierre MAUROY fut le Chef du Gouvernement qui conduisit en 1982 la plus grande réforme de décentralisation que la France ait connue depuis le début de la IIIème République. La loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, présentée en son nom par Gaston DEFFERRE, alors ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, a profondément transformé notre pays.
Transformation profonde, puisqu'il s'est agi d'opérer un renversement de perspective politique. Il s'agissait, je cite l'exposé des motifs du projet de loi, de " mettre fin à un mode d'organisation et de gestion fondé sur la méfiance du pouvoir central à l'égard des citoyens et de leurs élus ". Il s'agissait, je cite encore, de faire " des communes, des départements et des régions des institutions majeures, c'est-à-dire, libres et responsables ". Il s'agissait, je cite toujours, d'un " acte de confiance dans les Français, dans leur capacité à se gérer eux-mêmes ".
La gauche peut être fière de cette réforme menée à bien sous le premier mandat du Président François MITTERRAND, en dépit de l'hostilité de l'opposition parlementaire d'alors. Près de vingt ans plus tard, les lois de décentralisation sont reconnues par tous et apparaissent comme des textes majeurs de la modernisation de notre pays.
Il était naturel que je m'exprime sur ce sujet à Lille, devant Pierre MAUROY, parce que c'est à lui que j'ai confié, il y a un an, la présidence d'une commission pluraliste, composée des représentants des principales associations d'élus de notre pays et de personnalités qualifiées. Sa mission était justement de formuler des propositions pour une nouvelle étape de la décentralisation. Cette commission a beaucoup travaillé. Elle s'est réunie à de nombreuses reprises. Elle a consulté des ministres, des élus, des experts. Elle a débattu dans une excellente ambiance - d'après ce que m'a dit Pierre MAUROY -, avant d'examiner un ensemble très complet de recommandations, portant sur tout le champ de la démocratie locale. Je voudrais remercier son président, Pierre MAUROY, et tous les membres qui l'ont composée, de la qualité de leur réflexion. J'ai bien noté que les élus de l'opposition avaient estimé, dans les dernières semaines, ne pouvoir s'associer aux conclusions de cette commission, mais je sais qu'ils ont activement participé à leur élaboration. Je me félicite donc de ce travail en commun.
Cette réflexion vient à son heure.
Depuis trois ans et cinq mois, le Gouvernement a pris en compte l'exigence de décentralisation.
Plusieurs textes d'une grande importance pour les collectivités locales ont été adoptés. En juillet 1999, le Parlement a voté une loi sur le renforcement de l'intercommunalité, présentée au nom du Gouvernement par le ministre de l'Intérieur, M. Jean-Pierre CHEVENEMENT. A la même période a également été votée la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire, présentée par la ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, Mme Dominique VOYNET. Ce texte offre de nouveaux moyens pour soutenir les initiatives locales dans les bassins de vie. D'autres textes permettront bientôt le développement des réseaux de télécommunication par les collectivités locales et le transfert aux régions des transports ferroviaires régionaux. Ils donneront aux collectivités locales un rôle important dans la mise en uvre de la prestation autonomie pour les personnes âgées. Vous voyez que toutes ces dispositions sont tournées vers le service de nos concitoyens.
De même, le Gouvernement a été attentif à l'évolution des ressources financières des collectivités locales. En arrêtant, en 1998, un contrat de croissance et de solidarité, il a garanti pour trois années une croissance régulière des dotations des collectivités locales.
Aujourd'hui, il nous faut aller plus loin.
Nos concitoyens aspirent à plus de démocratie, et en particulier dans la vie locale. Au moment où la construction européenne et la mondialisation marquent de plus en plus nettement leur vie, nos concitoyens n'entendent pas que la Nation se défasse, mais souhaitent que leur environnement institutionnel immédiat réponde à leurs besoins de proximité. La commune, le département et la région sont pour eux des repères forts. Soucieux d'exercer pleinement leurs prérogatives de citoyens, ils veulent identifier clairement les responsables des décisions, mieux comprendre l'utilisation qui est faite de leurs impôts, exercer un contrôle démocratique. Je m'en réjouis.
Les Français sont aussi attachés à un développement équilibré et solidaire du territoire national. Qu'ils habitent en milieu urbain ou rural, nos concitoyens estiment que le service public doit rendre à tous les mêmes services. Si les territoires ont des atouts et des handicaps différents face aux évolutions économiques, du moins est-il attendu de l'Etat qu'il mette en uvre une politique résolue pour maintenir la cohésion nationale. Tel est bien l'objectif de la loi d'orientation sur le développement durable du territoire, des contrats de plan, ainsi que celui des projets de schémas de services collectifs, que nous avons validés hier avec les ministres pour les proposer à la concertation. Telles ont aussi été l'inspiration et la portée des réformes que Martine AUBRY a conduites en qualité de ministre de l'Emploi et de la Solidarité.
Le Gouvernement entend engager aujourd'hui une nouvelle étape de la décentralisation. Celle-ci doit être une décentralisation citoyenne.
Elle devra concilier l'aspiration à des responsabilités locales accrues et la volonté de réduire les inégalités. L'unité nationale et la cohésion sociale restent des impératifs.
La France est un Etat unitaire. Le Gouvernement que je dirige ne croit pas que ce trait de notre identité nationale doive et puisse être remis en cause. Un accroissement des pouvoirs locaux qui conduirait à trop de particularismes ou d'inégalités serait, à l'évidence, récusé.
Pour autant, et contrairement à ce que l'on a trop longtemps cru, l'Etat unitaire, garant du principe d'égalité et de la cohésion nationale, n'est pas synonyme de centralisation ou d'uniformité. L'unité nationale dépend d'abord de l'attachement des citoyens à un ensemble de valeurs communes. Loin d'être compromise, cette unité est renforcée par le libre exercice des responsabilités locales qui permet de donner vie à ces valeurs dans des situations que la géographie ou l'Histoire ont rendu différentes.
Aujourd'hui, le Gouvernement fait le choix d'engager une nouvelle étape de la décentralisation, dans l'unité de la République. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les propositions de la commission présidée par Pierre MAUROY. Le Gouvernement s'inspire de cet ensemble de propositions pour définir les contours d'une nouvelle étape citoyenne de la décentralisation.
Celle-ci doit d'abord renforcer le lien entre les élus et les citoyens.
Aujourd'hui, nos concitoyens souhaitent que leurs élus se consacrent pleinement à leur mandat. Le Gouvernement s'est engagé résolument pour réduire le cumul des mandats. Une première réforme a été adoptée. Je regrette que la majorité du Sénat nous ait empêché, pour l'heure, d'aller plus avant dans cette direction.
Mettre fin à un cumul excessif des mandats électifs doit avoir pour corollaire de faciliter l'exercice de leur mandat par les élus. Beaucoup d'hommes et de femmes hésitent à poursuivre leur engagement public, tant celui-ci pèse sur leur vie personnelle et professionnelle. Alléger ce poids, c'est ouvrir plus largement la porte à des candidats et à des candidates mieux représentatifs de la diversité de la société française. La commission MAUROY propose d'améliorer ce que l'on appelle - improprement, car les mandats électifs ne sauraient être une fonction publique administrative - le " statut de l'élu ". Quelle que soit la dénomination, il faut en tout cas que les élus issus du secteur privé puissent préserver leur carrière professionnelle autant que ceux qui viennent de la fonction publique, qu'ils puissent aisément retrouver un emploi en fin de mandat, que leur formation permanente soit mieux organisée, que la continuité de leurs droits à la retraite soit efficacement assurée.
C'est à ces conditions que notre démocratie locale s'épanouira. Aujourd'hui, les conditions d'exercice des mandats locaux n'ont plus grand rapport avec celles de la France rurale qui a vu naître la démocratie locale. Dans cet environnement profondément renouvelé, nous devons préserver ce qui fait l'essence même de la vie démocratique locale : l'engagement des élus et le contrôle démocratique par leurs concitoyens.
Sur ce point, le rapport de la commission soulève avec raison la question du mode de désignation des dirigeants des établissements publics de coopération intercommunale. Ces derniers sont aujourd'hui désignés au second degré, par les élus des communes. Or ces établissements prennent d'importantes décisions. Certains ont une fiscalité propre. Historiquement, le consentement à l'impôt par des assemblées élues au suffrage universel direct a été, on le sait, une étape majeure de la construction des démocraties. Aussi la commission suggère-t-elle que les dirigeants des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre soient désormais élus au suffrage universel direct. Certains souligneront le risque de multiplication des scrutins ; d'autres craindront que soit créé, de facto, un quatrième niveau de collectivité locale, dans un pays où il y en aurait déjà trop. A ce stade des réflexions, je suis plus sensible au risque de rupture du lien entre les citoyens et les élus, lorsque des instances de décision importantes peuvent sembler leur échapper, qu'à celui de solliciter trop souvent leurs suffrages. Si cette proposition mérite un examen attentif, j'y suis pour ma part favorable.
Cette question du lien entre les citoyens et les élus est également posée pour l'élection des conseillers généraux. Je suis convaincu que le département, né dans une France très différente de celle d'aujourd'hui, doit être renouvelé dans son organisation. Il faut ouvrir un débat pour rechercher le mode de scrutin qui conciliera le mieux la représentation de la population et des territoires, réalité en mutation, et la clarté du choix politique. Les conseils généraux gagneraient en lisibilité politique si, comme les autres collectivités locales, leurs assemblées étaient renouvelées en une seule fois. Aujourd'hui, si le canton est clairement identifié en zone rurale, il n'en va pas toujours de même dans les villes. Conseiller général, je connais l'attachement de beaucoup d'élus à la structure cantonale. La commission, d'ailleurs, n'a pas été unanime sur cette question. Il me semble néanmoins que la question du mode d'élection des membres de l'assemblée départementale doit être traitée.
En dehors des élections, les citoyens doivent pouvoir participer plus régulièrement à la vie publique. Le renforcement des structures de concertation et la réforme des procédures d'enquêtes publiques, qui sont en cours, y contribueront. J'ai aussi noté avec intérêt la proposition d'institutionnaliser, dans les villes de plus de 20.000 habitants, les conseils de quartier. Nos concitoyens ont aussi besoin de lieux d'identité proches d'eux. Nous savons que des publics trop nombreux restent encore à l'écart de la vie de la Cité. Il faut leur proposer de nouvelles instances de participation. Dans les trois plus grandes villes françaises, la loi a organisé en 1982 la représentation des arrondissements. Ailleurs, des initiatives ont souvent été prises pour structurer la vie des quartiers. Je rejoins la commission pour souhaiter que cela devienne la règle. La démocratie de proximité doit être une réalité dans toutes les villes.
Il faut redéfinir la place et le rôle de chaque niveau de collectivité locale.
Notre organisation territoriale s'est constituée peu à peu, au cours de notre histoire institutionnelle, avec des ruptures, parfois plus apparentes que réelles, des évolutions et des adaptations à une réalité sociale et économique qui s'est considérablement transformée. Aujourd'hui, alors que la majorité de nos concitoyens vivent dans les villes, que la mondialisation et les technologies modifient profondément notre manière de vivre et de travailler, que notre pays est de plus en plus engagé dans la construction européenne, l'organisation territoriale de la France n'est-elle pas à revoir, ne doit-on pas s'interroger sur les niveaux et les nombres de collectivités, sur leur dimension géographique ? Ne devrions-nous pas nous inspirer de l'organisation territoriale de certains de nos voisins ?
Ces interrogations sont légitimes. Mais il faut être conscient que les différentes collectivités locales ont pris leur place auprès de nos concitoyens, ont produit des réalisations, structuré des réseaux de solidarité, fait naître ou conforté des identités locales. L'évolution de notre organisation territoriale ne peut se penser dans un espace vierge, mais à partir d'une réalité sociale et culturelle complexe. On peut toujours vouloir écrire une organisation territoriale idéale sur une page blanche. Il reste à la faire accepter dans la réalité. Nous avons à cet égard l'expérience des communes. Face au problème, réel, du très grand nombre de communes, il y a eu dans le passé la tentation de procéder à des fusions autoritaires. Cette voie s'est heurtée à une forte résistance et elle a dû être abandonnée. Mais le problème de l'émiettement communal a été surmonté par l'intercommunalité qui permet, progressivement, de fédérer les communes sans les supprimer.
Aujourd'hui, il ne semble pas que les Français soient favorables à la suppression des départements. Depuis deux siècles, ces derniers ont structuré la réalité sociale de notre pays. J'observe d'ailleurs que cette suppression est très rarement proposée.
Au surplus, il est inexact d'affirmer qu'une administration locale à trois niveaux serait en Europe une particularité française. On retrouve trois niveaux de collectivités dans des pays aussi différents que l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie. Pour ce qui est de la taille des collectivités, gardons-nous aussi des idées reçues. Les régions des autres pays d'Europe sont de taille variable, d'un pays à l'autre et au sein d'un même pays.
Et puis, n'y a-t-il pas une contradiction à affirmer qu'il faut administrer au plus près, que l'on dirige de trop loin, et en même temps à vouloir éloigner les centres de décision des citoyens ? En réalité, aujourd'hui, les Français considèrent que chaque niveau de collectivité a son utilité et sa légitimité. On ne saurait exclure des évolutions ultérieures quant au nombre de niveaux. Il paraît aussi probable que la méthode - employée avec succès pour les communes - d'une coopération institutionnalisée entre collectivités de même niveau puisse être utilisée également pour les départements et les régions. Il est juste que la commission MAUROY ait accordé un intérêt particulier à l'interrégionalité. Ce sera sans doute par ce biais que des regroupements se produiront dans l'avenir.
Nous ne devons fermer aucune perspective, mais la voie du bouleversement institutionnel ne me paraît pas aujourd'hui pouvoir réunir un consensus. C'est pourquoi le Gouvernement proposera la voie du réformisme institutionnel.
Il faut d'abord clarifier le partage des compétences.
Cette clarification doit s'opérer entre l'Etat et les collectivités, comme entre les collectivités elles-mêmes. Le principe des blocs de compétences, déjà affirmé en 1983, doit être rappelé.
Les régions ont reçu compétence pour l'aménagement du territoire, la programmation, la formation des hommes et l'action économique et culturelle locales. Ces domaines sont essentiels pour la construction de l'avenir des territoires. A ce titre, les régions devront être mieux associées à la mise en uvre des programmes structurels européens.
Les départements sont compétents pour l'action sociale, en particulier pour l'enfance, les politiques locales en faveur des handicapés et des personnes âgées, les infrastructures routières et les collèges. Ils doivent retrouver un rôle directeur pour la gestion des services d'incendie et de secours, et assurer une coordination des politiques locales en matière d'environnement. En matière de développement rural, urbain et périurbain, les départements devraient pouvoir jouer un rôle de coordination des intercommunalités. Plus généralement, la recherche d'un lien étroit entre collectivité départementale et organisation intercommunale -sujet sur lequel la commission fait d'intéressantes propositions- me semble devoir être au cur de la réflexion sur l'évolution nécessaire du département.
Les communes et leurs groupements sont en charge de la vie quotidienne, des transports urbains, de l'urbanisme, de l'action culturelle de proximité et des écoles. Il faudra approfondir leurs compétences sur ces sujets.
Quel que soit le soin avec lequel ces blocs de compétences seront distingués, de nombreux projets concerneront plusieurs collectivités à la fois, ainsi que l'Etat. Comment faire en sorte que ces collectivités puissent mieux travailler ensemble ? Rejoignant les conclusions de la commission, je crois qu'il ne faut pas se complaire dans une coresponsabilité généralisée, qui conduit à diluer les responsabilités ; j'ai bien noté, sur ce point, la critique du rapport sur les procédures de contractualisation. Autant il est admis par tous que les contrats de plan, de ville ou d'agglomération ont donné une cohérence et l'avantage de financements conjoints pour la mise en uvre locale de grandes politiques d'intérêt général, autant il convient de se garder de multiplier les financements c roisés dans lesquels chacun intervient dans la compétence de l'autre. La solution que la Commission préconise - celle de la désignation d'une collectivité chef de file -, déjà possible depuis la loi de 1995, mériterait d'être mieux organisée et mise en uvre plus fréquemment. De même, des établissements publics de coopération entre départements et régions devraient pouvoir être créés afin de compléter les possibilités de contractualisation qui avaient été ouvertes, au profit des seules régions, par la loi de 1992.
De nouveaux transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités locales peuvent et doivent être opérés.
A travers ces nouveaux transferts, il n'est pas question de renoncer au rôle de l'Etat, aux politiques nationales, au principe d'égalité. Il s'agit de permettre une adaptation aux réalités locales, dans le cadre des principes posés au niveau national. Il s'agit de gérer au mieux les services publics les plus proches des citoyens. Dans cet esprit, des transferts de compétences peuvent aussi être opérés entre collectivités locales.
Sur ce sujet, les propositions de la commission me semblent réalistes. Il faudra en discuter, dans le cadre des consultations à venir, avec les associations d'élus et avec les organisations syndicales. La poursuite du transfert aux régions des compétences en matière de formation professionnelle, l'affirmation du rôle directeur de la région pour l'action économique locale et de la responsabilité des départements pour la gestion des services d'incendie et de secours pourront sans doute rapidement recueillir un large accord. Pour d'autres transferts de compétences, qui feront l'objet de débats plus nourris, nous proposerons des expérimentations dans des régions ou des départements.
Quelle que soit la collectivité compétente, le rôle de la fonction publique territoriale est essentiel. Celle-ci fait l'objet, de la part de la commission, d'intéressantes suggestions destinées à en garantir la qualité et la mobilité.
J'en viens à la question sensible des finances locales.
Le Gouvernement est conscient que le système de financement des collectivités locales est obsolète, voire injuste. C'est pourquoi il s'est attaché à alléger et parfois même à supprimer les impôts locaux les plus contestés, tout en garantissant les ressources financières des collectivités concernées. Ces décisions ont été bien accueillies par les contribuables, que ce soit la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, celle de la vignette ou la baisse des droits de mutation en matière immobilière. Malgré ces premières décisions, le système de financement des collectivités locales demeure trop complexe, et sans doute trop opaque pour les citoyens. Le Gouvernement souhaite poursuivre sa rénovation, en concertation avec les élus et leurs représentants.
Un débat est né sur le thème de " l'autonomie fiscale " des collectivités locales. J'observe ici que ce débat n'aurait pas surgi si nous n'avions pas effectivement baissé des impôts. Je relève aussi que ce débat a servi tout récemment de prétexte pour proposer de modifier l'équilibre institutionnel français qui, dans le rapport entre l'Assemblée nationale et le Sénat, donne, depuis la Libération, le dernier mot à l'Assemblée nationale, qui est élue au suffrage universel direct. Pour le Gouvernement, il n'est évidemment pas question d'aller dans ce sens.
Le véritable enjeu est celui de la modernisation des finances locales. Celle-ci doit servir deux objectifs. Le premier est que les collectivités locales disposent des ressources suffisantes pour financer l'exercice de leurs compétences, selon les priorités que chaque collectivité se choisit. Le second objectif est que les collectivités maîtrisent une partie de leurs recettes fiscales en déterminant le taux ou l'assiette d'impôts spécifiques dont les règles sont fixées par le Parlement. Or ce qui est primordial, à nos yeux, c'est que les collectivités locales disposent de ressources suffisantes. Le contrat de croissance et de stabilité adopté pour trois ans en 1998 y a contribué. Le Gouvernement se propose de prolonger l'effet de ce contrat pour l'année 2002.
La commission MAUROY a justement souligné aussi la nécessité d'une responsabilisation de l'élu vis-à-vis des électeurs et celle d'une régulation par l'Etat au moyen de mécanismes de péréquation. Elle a marqué son intérêt pour une spécialisation des impôts par collectivité. Celle-ci peut en effet être une solution. Cependant, elle ne devrait en aucun cas se traduire par des transferts excessifs de charges entre contribuables ou entre collectivités.
Le Gouvernement est favorable à de nouvelles réformes de la fiscalité locale. M. Laurent FABIUS, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, et M. Daniel VAILLANT, ministre de l'Intérieur, engageront une concertation sur ces points avec les associations d'élus. La réforme portera aussi sur les dotations que l'Etat attribue aux collectivités locales, dans le but de simplifier des mécanismes de répartition aujourd'hui trop complexes et de renforcer significativement les parts réservées à la péréquation.
En effet, ni la fiscalité locale en particulier, ni la décentralisation en général, ne sauraient creuser les inégalités entre territoires. Il serait inacceptable que les collectivités les plus riches instaurent une tutelle par l'argent sur les collectivités plus pauvres. C'est pourquoi l'Etat doit pleinement jouer son rôle de gardien de la cohésion sociale et de la solidarité nationale. A ce titre, j'ai trouvé particulièrement pertinentes les recommandations de la commission concernant la déconcentration et la modernisation de l'État, lesquelles sont indissociables de la décentralisation : le renforcement du rôle des préfectures de région, l'adaptation concertée de l'organisation des services de l'Etat, l'utilisation plus intensive encore des technologies de l'information et de la communication.
Mesdames et Messieurs,
Telles sont les réflexions et les orientations que je souhaitais formuler à la suite des propositions de la commission présidée par Pierre MAUROY.
Un grand débat national doit maintenant s'ouvrir. Une nouvelle étape de la décentralisation ne peut en effet réussir sans l'adhésion la plus large : de nos concitoyens, des élus locaux, des agents de la fonction publique d'Etat et territoriale. Il convient d'élargir les consultations menées par la commission. Je propose au Parlement un débat d'orientation générale, qui pourrait être organisé en décembre prochain. Après ce débat et une nouvelle phase de concertation, le Gouvernement préparera un premier projet de loi qui comportera des dispositions susceptibles d'être votées avant la fin de l'actuelle législature. Ainsi que je l'ai évoqué, je pense notamment à des mesures relatives à l'approfondissement de la démocratie locale, au renforcement de la coopération entre collectivités, aux modalités de l'intervention économique des collectivités locales et à certains transferts de compétences. Sur les autres thèmes, notamment la réforme des finances des collectivités locales, la tâche ne pourra être menée à son terme dans le cadre de cette législature. Le ministre de l'Intérieur, Daniel VAILLANT, en liaison avec les autres ministres intéressés, animera une concertation approfondie pour préparer des réformes dans la perspective d'une prochaine législature.
Une nouvelle fois, Pierre MAUROY a ouvert la voie à la décentralisation dans notre pays. Je l'en remercie au nom du Gouvernement. Pierre MAUROY a qualifié le rapport de la Commission pour l'avenir de la décentralisation de " révolution tranquille ". Dans cet esprit, c'est à une modernisation raisonnée et adaptée de nos institutions locales que le Gouvernement propose de s'atteler. En menant à bien une nouvelle étape de la décentralisation, nous allons approfondir la réforme conduite, il y a près de vingt ans, par le Premier ministre de l'époque et Gaston DEFFERRE. Je sais pouvoir compter sur votre concours résolu. Notre pays est riche de ses territoires. Ses collectivités sont des lieux essentiels de notre démocratie citoyenne. Ses 500.000 élus locaux, par leur dévouement, leur engagement et leur sens des responsabilités, participent de manière irremplaçable à notre vie publique. Ensemble, nous nous efforcerons, en renforçant la démocratie locale, de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens et d'établir encore mieux la République.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 octobre 2000)