Texte intégral
Monsieur le Bâtonnier,
Monsieur l'Attorney Général,
Monsieur le Maire de Paris,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur Général,
Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats,
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, Monsieur le Bâtonnier, de vous exprimer tout le plaisir que j'éprouve à participer une nouvelle fois à la rentrée du Barreau de Paris et de la Conférence du stage. Avec son rituel séculaire, cette rentrée est chaque année un des moments privilégiés où s'affirme l'unité de la République du droit.
Cette République transcende les générations, et je ne peux m'empêcher de saluer ses nouveaux et talentueux échevins, les secrétaires de la Conférence du stage, qui prendront tout à l'heure la parole, c'est-à-dire le pouvoir. La République du droit transcende également les frontières. J'adresse toute ma sympathie aux professionnels venus de France et du monde entier pour nous rejoindre aujourd'hui.
La convention de coopération que vous venez de signer avec l'Association du Barreau américain confirme du reste la place éminente de Paris dans le domaine du droit.
À entendre votre excellent discours, Monsieur le Bâtonnier, il m'a semblé que vous insistiez sur deux points essentiels. Vous voulez une République du droit indivisible et démocratique. Ce sont ces deux points que j'aimerais reprendre, en évoquant, comme vous, les conditions d'exercice de la profession d'avocat, d'une part, et le fonctionnement de notre justice civile et pénale, d'autre part.
I. – L'exercice du droit et de la profession d'avocat, tout d'abord
Les conditions actuelles et futures de l'exercice du droit suscitent des interrogations, des inquiétudes, quand elles ne sont pas à l'origine de conflits. Votre profession connaît au quotidien cette situation.
Mais ces questions sont d'intérêt général : « le droit, c'est la vie ». Elles sont donc au centre de mes préoccupations et celles du Gouvernement, que l'on se situe au plan national ou au niveau international.
A) L'exercice du droit au niveau national
1. – Les conditions juridiques d'exercice
Le Législateur de 1990, s'il a réservé à certains professionnels l'exercice du droit à titre principal, n'a entendu créer aucune situation de monopole.
Mais, en même temps, il vous a ouvert un nouveau domaine, qui ne cesse de se développer, celui du conseil. Notre organisation sociale repose sur un corps de règles, dont on s'accorde souvent à dire qu'il est trop vaste, trop mouvant, trop complexe.
C'est pourquoi la demande dans le domaine du droit s'accroît. Et c'est par votre compétence que vous pouvez y répondre.
Dans les difficultés que vous rencontrez avec vos amis experts-comptables, le ministre de l'Économie et des Finances, et moi-même, avons souhaité que les professionnels, par la voie de la concertation, puissent parvenir à s'entendre.
Je note avec satisfaction que le Barreau de Paris souhaite favoriser la complémentarité entre vos deux professions.
Je vous encourage vivement dans cette voie, qui me paraît être la seule permettant le retour à une situation apaisée, fondée, sinon sur une répartition des compétences, du moins sur la complémentarité de la compétence respective. Cette complémentarité porte un nom : l'interprofessionnalité.
Et il s'agit encore de compétence, lorsqu'on envisage les conditions juridiques de l'exercice de la consultation et de la rédaction d'actes sous seing privé.
Afin d'assurer la protection des consommateurs, la loi impose à toutes les personnes autorisées à exercer le droit une condition de diplôme, en l'espèce la licence en droit, ou un titre ou diplôme reconnu comme équivalent par un arrêté interministériel.
Ce dispositif d'équivalence, renvoyé à un arrêté, est apparu très difficilement applicable, et depuis cinq ans il n'a pas vu le jour. Un député, M. PORCHER, a déposé une proposition de loi, qui sera examinée à l'Assemblée nationale le 19 décembre prochain, et qui vous semble, comme à moi, régler de manière plus adéquate cette situation.
Il est en effet proposé de modifier l'article 54-1 de la loi en substituant à la notion « d'équivalence » à la licence en droit celle de « compétence juridique » appropriée à un secteur d'activité.
Il ne m'apparaît pas, cependant, que cette nouvelle logique conduise, comme vous le suggérez, à la suppression de l'article 60 de la loi. Les professions non réglementées, concernées par cet article ne sont autorisées à exercer le droit que dans la mesure où cela constitue l'accessoire nécessaire de leur activité.
Elles devront, aux termes de la proposition de loi obtenir un agrément attestant de leur compétence juridique appropriée à leur secteur d'activité.
2. – Les conditions économiques d'exercice
La compétence ne saurait être dissociée de la compétitivité et des moyens assurant un réel développement de la profession. Du fait de l'émergence de véritables marchés de services libéraux, il convient de moderniser les modes d'exercice des professions libérales et des avocats en particulier.
Les pouvoirs publics conscients des évolutions ont déjà répondu à la demande des professionnels en favorisant la constitution de sociétés à forme commerciale, et plus récemment, en permettant aux SCP d'opter pour l'impôt sur les sociétés.
Cette action des pouvoirs publics accompagne un mouvement déjà engagé par les professionnels eux-mêmes qui participent à la mutation progressive de leur cabinet.
Les formes d'exercice constituent sans doute l'un de vos principaux atouts face à l'évolution de la concurrence ; elles méritent une attention toute particulière, notamment du ministère de la Justice, afin que les capacités économiques de la profession puissent être renforcées et modernisées.
D'autres actions restent également à mener. Je pense notamment aux mesures arrêtées lors de la dernière réunion du comité interministériel sur les professions libérales, présidée par le Premier ministre, le 4 juillet, telles que, l'aide à l'installation des professions libérales, la création d'un statut des baux professionnels, la prévention et le traitement des difficultés économiques des professionnels libéraux, l'accès de ces professionnels aux garanties de la SOFARIS ou de la COFACE.
Vous avez également évoqué la question des taux de TVA. Dans ce domaine, sachez, qu'au sein du Gouvernement, j'ai toujours soutenu votre démarche, car je suis aussi soucieux que vous de préserver la liberté et l'égalité d'accès à la Justice.
La compétence, la compétitivité, ne peuvent s'envisager au seul regard de nos critères juridiques et économiques purement nationaux. Nous ne pouvons nous contenter d'être les observateurs passifs des évolutions européennes et internationales.
B) Au niveau international
La directive relative au droit d'établissement des avocats qui est en cours de négociation à Bruxelles constitue un sujet très sensible qui préoccupe, à juste titre, votre profession.
Plusieurs dispositions, issues du vote du Parlement Européen, sont très positives :
– d'abord, la nécessité pour tout avocat migrant d'être inscrit auprès de l'autorité compétente appropriée de l'État d'accueil, et de respecter les règles professionnelles et déontologiques de l'État membre de l'établissement ;
– la suppression, ensuite, du test d'aptitude et l'affirmation d'une compétence liée au barreau d'accueil ;
– enfin, la non exportation des structures pluridisciplinaires.
Reste la délicate question de l'exercice sans limitation de temps sous le titre d'origine, qui constitue aujourd'hui votre principale inquiétude.
Cependant, il convient de bien avoir présent à l'esprit que nous sommes dans une situation de compromis. À vouloir obtenir satisfaction sur tous les points, le risque encouru est de tout perdre. Est-ce l'intérêt de la profession que de renoncer à cette ouverture sur l'Europe et à s'installer hors de nos frontières ?
Je suis convaincu que le principe même d'une directive spécifique à la profession d'avocat, qui complétera le dispositif juridique actuel et favorisera l'exportation de nos professionnels, est tout à fait positif.
Compétence, compétitivité, internationalisation ne sont que de vaines incantations, s'il n'y a, au préalable, comme pierre angulaire de l'exercice de la profession, la formation.
Je vous ai entendu, mais n'est-il pas un peu prématuré de prévoir la création d'une grande école du droit, commune aux avocats et magistrats ? Des rapprochements ont d'ailleurs déjà été opérés dans ce domaine entre le Barreau et le Corps judiciaire. Et vous savez fort bien que je suis très favorable à un apprentissage commun ; je veux explorer plus avant cette idée.
N'est-il pas temps, en revanche, de revoir pour les adapter, les conditions de la formation des avocats ? La profession, par la voix du Conseil national des Barreaux, a un rôle déterminant à jouer. J'attends donc ses propositions.
Mais l'importance de cette question, et qui ne tient pas uniquement à des difficultés de financement, pourrait conduire les pouvoirs publics, si aucune position de la profession ne leur était communiquée rapidement, à prendre l'initiative.
Dans l'intervalle, je déploierai tous les efforts nécessaires auprès, notamment, des ministres de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, et du Travail et des Affaires sociales, pour diversifier les ressources de la formation, par la collecte, au bénéfice des centres de formation, de la taxe d'apprentissage, et l'extension, aux stages des avocats, des contrats de qualification.
II. – J'aborde maintenant la seconde préoccupation que vous avez manifestée : le fonctionnement de la justice pénale et civile
A) La justice pénale
En ce qui concerne la justice pénale, vous avez évoqué plusieurs sujets qui apparaissent de façon récurrente à la Une de l'actualité. Je veux parler du secret, protecteur des droits de la défense et de la présomption d'innocence, mais aussi du statut des magistrats instructeurs des premier et second degrés.
Vous savez à quel point je partage votre intérêt pour toutes ces questions, et mon action depuis plus de 18 mois en témoigne : j'ai mis à l'ordre du jour dès l'an passé la refonte d'ensemble de notre code de procédure pénale ; je présenterai au début de l'an prochain la réforme de la procédure criminelle ; un projet de loi relatif à la détention provisoire est en cours de discussion au Parlement, et sera voté avant la fin de l'année ; je soumettrai bientôt au Gouvernement un projet de réforme du statut des magistrats.
Je crois cependant que la justice pénale ne peut se résumer aux questions, si importantes soient-elles, touchant à la phase préparatoire du procès. La justice pénale est en effet plus large, et je dirais plus essentielle, que l'éternel débat autour du juge d'instruction et de ses pouvoirs ne le laisse paraître.
En ce domaine, il convient plus que dans d'autres de garder le sens de l'équilibre. Or aujourd'hui, cet équilibre me paraît rompu.
1 — Le périmètre du droit pénal
Le droit pénal, essentiellement rétributif, n'a pas pour vocation de régler tous les conflits, ni de stigmatiser tous les comportements déviants.
Or, il est aujourd'hui devenu un mode habituel et général de régulation des relations sociales.
Cette évolution est inquiétante ; aussi, me semble-t-il nécessaire d'entreprendre une vaste réflexion sur la détermination d'un « périmètre du droit pénal », quels sont les comportements qui doivent en relever ? quels sont les critères de la « pénalisation » ? voilà les questions à poser et à résoudre, si nous voulons redonner au droit pénal sa juste place.
Mais redonner sa place au droit pénal, c'est aussi rééquilibrer le procès pénal.
2. – Le rééquilibrage du procès pénal
Nous constatons aujourd'hui l'intensité des débats autour de la phase préparatoire du procès pénal, alors que demeurent dans la pénombre la phase du jugement et dans l'obscurité celle de l'exécution des peines.
Ce phénomène n'est d'ailleurs pas sans lien avec le précédent. La « pénalisation » des relations sociales s'est doublée d'une forte montée en puissance du pouvoir d'accuser, dont te parquet a, de fait, perdu le monopole, et qui semble résumer tout le procès.
Là encore nous devons redonner à ce pouvoir sa fonction véritable, qui n'est pas de stigmatiser les individus devant l'opinion publique, mais bien d'articuler des charges à partir desquelles une personne mise en cause pourra se défendre.
Rééquilibrer le procès pénal c'est donc rendre à la phase de jugement la place qu'elle a perdue au profit de la phase préparatoire et au détriment de la présomption d'innocence.
Il est stupéfiant de constater que de plus en plus souvent le déroulement sur la place publique, en fait, de la mise en accusation et de l'information donne au corps social l'apparence, qui suffit à le convaincre, de la culpabilité, et que le procès lui-même apparaît comme un rite de confirmation. On croit rêver ! Mais vous savez comme moi que l'on ne rêve pas.
C'est un des enjeux majeurs du nouveau code de procédure pénale que nous devrons préparer, au coeur d'une réalité conflictuelle, mais en s'efforçant de concrétiser les principes auxquels maintes fois nous rendons hommage en paroles plus qu'en actes. Il y faut de la sérénité, de la tolérance et de la compétence. Il y va de la dignité de l'homme, de l'honneur du citoyen.
Rééquilibrer le procès pénal, c'est aussi donner à la peine et à son exécution leur véritable dimension : celle de la réintégration du condamné dans la communauté dont il a été mis à l'écart en raison de l'acte qu'il a commis. Renouer les solidarités rompues en aménageant et en individualisant l'exécution de la peine : tel me semble être également l'un des enjeux de la justice pénale pour les années à venir.
B) J'en viens maintenant aux moyens des juridictions, pénales et civiles, pour faire face à la forte augmentation du contentieux qu'elles connaissent depuis plusieurs années.
Afin de remédier à cette situation, une série de mesures ont été mises en oeuvre dans le cadre du plan pluriannuel pour la justice engagé par mon prédécesseur.
D'une part, j'entends poursuivre et développer cet effort :
– en 1996, au titre du plan pluriannuel, 60 emplois de magistrats et 190 emplois de fonctionnaires des greffes ont été créés ; au-delà de ce programme ont été également créés 300 postes supplémentaires d'agents de catégorie C ;
– pour 1997, j'ai obtenu que cet effort se poursuive : est ainsi prévue la création de 30 emplois de magistrats et 147 emplois de fonctionnaires de catégorie C ;
– le budget de 1996 et le projet de loi de finances de 1997 maintiennent à hauteur d'environ un milliard de francs, chaque année, le montant des investissements immobiliers.
D'autre part, j'ai défini un plan de modernisation qui comporte trois objectifs :
1. le premier, concerne l'amélioration de la gestion des juridictions. Il m'a conduit, par circulaires des 9 octobre 1995 et 8 juillet 1996, à créer les coordonnateurs et les services d'administration régionale, chargés d'assister les chefs de cour dans le domaine de la gestion et de l'administration des juridictions. La Justice est un service public qui doit s'administrer aussi bien que tous les autres ;
2. le deuxième objectif est d'aboutir à une meilleure utilisation des moyens. Ainsi, pour parvenir à une répartition plus équitable de la charge de travail des juridictions, j'engage un redéploiement des effectifs de magistrats et de fonctionnaires.
De même, un effort accru de gestion doit permettre de rationaliser l'outil informatique utilisé tant pour les contentieux civils que pour les contentieux pénaux.
À cet égard, l'un des buts à atteindre est de développer, en concertation avec vous, une informatique permettant aux juridictions de communiquer avec les membres des professions juridiques et judiciaires et tout particulièrement avec les avocats.
3. – le troisième axe de ce plan vise à favoriser l'évolution des mentalités et des méthodes de travail tout en permettant au juge de recentrer son activité sur sa mission essentielle qui est de dire le droit.
Dans cette perspective, j'ai souhaité que des contrats de juridiction fixant des objectifs relatifs notamment à la durée des procédures et aux moyens mis en soient passés entre les juridictions et l'administration centrale. Cet effort de modernisation de la justice suppose également que soit conduite une réflexion sur les adaptations de la carte judiciaire et de l'organisation des juridictions.
S'agissant de la carte judiciaire, je souhaite éviter toute approche trop technocratique. Il m'apparaît essentiel de tenir compte de considérations d'aménagement du territoire, de proximité géographique des justiciables, de développement des zones rurales. Aussi, pour la première fois, et cela est très important, une telle réflexion sera-t-elle menée à partir des propositions du terrain et non pas selon la méthode inverse qui consiste, à tort, à imposer depuis Paris, des conceptions toutes faites. À cet effet, une vaste consultation nationale sera organisée en 1997.
Ce sont là des considérations purement pratiques bien éloignées de l'agitation médiatique qui entoure généralement l'exercice de la justice. Mais je suis convaincu que la justice doit d'abord s'imposer par son travail, par son efficacité, par la clarté et l'équité de ses décisions.
Il me semble que les préoccupations du Barreau rejoignent sur un grand nombre de points celles de l'institution judiciaire, dans son ensemble. Cette convergence de vue me paraît essentielle à la rénovation du service public auquel nous participons tous.
Je tiens à vous assurer que je n'oublie pas le rôle essentiel des avocats dans la défense et l'affermissement des libertés individuelles.
Pilier de notre justice et de notre démocratie, la profession d'avocat mérite tous nos efforts et toute la passion qu'y mettent ceux qui l'exercent. Je salue cette passion et forme tous les voeux pour que se maintienne un Barreau de Paris fort et vivant, confiant dans ses traditions et dans son avenir.
C'est ce que je souhaite tous vos confrères. C'est ce que je souhaite spécialement aux plus jeunes qui, aujourd'hui, embrassent votre profession. Nous travaillons pour vous, jeunes avocats. Soyez dignes de vos aînés ; soyez dignes de votre admirable vocation.