Texte intégral
Je voudrais tout d'abord vous dire combien je me félicite d'intervenir à votre colloque, à la suite d'une matinée qui a réuni, sous la présidence des députés Patrick Bloche et Olivier de Chazeaux, spécialistes qui ont su mettre en avant les enjeux fondamentaux que pose au regard des libertés publiques le développement de l'Internet.
Je ne puis que saluer cette initiative qui tend à mettre l'accent, dans un esprit d'ouverture et de dialogue, sur un aspect encore peu analysé de l'avènement du "cyberespace". Je remercie particulièrement pour son invitation Daniel MARCOVITCH qui, je le sais, s'est beaucoup investi personnellement pour la réussite de ce colloque.
Le développement d'internet confronte les libertés publiques à de nouveaux défis.
Redouté par les uns et adulé par les autres, le réseau des réseaux présente un double visage : ce peut être à la fois un danger et un vecteur de liberté.
L'interconnexion croissante des réseaux, leur caractère global et planétaire, leur capacité de collecte de renseignement sans précédent et le développement des échanges virtuels internationaux décuplent le risque d'utilisation indue des données circulant sur le net, sans que les internautes ne puissent en avoir conscience.
L'internet est par ailleurs directement utilisé pour commettre des actes illicites, pour diffuser des messages racistes ou xénophobes ou blanchir l'argent sale.
Mais, tout en ayant conscience de ces risques qu'il fait courir pour nos libertés publiques, il faut garder présent à l'esprit qu'internet, dont la construction s'est nourrie de l'idéal de liberté, est un formidable outil de développement de la liberté d'expression et de communication : ne connaissant pas de frontières, il permet à chacun de faire entendre sa voix à l'échelle de la planète.
C'est à un équilibre entre les impératifs de sécurité et de protection des droits de la personne et la garantie de la liberté d'expression et de communication que nos démocraties doivent parvenir dans la réglementation de l'Internet.
Je m'attacherai à montrer comment le Gouvernement entend parvenir à un tel équilibre, en revenant sur les deux questions évoquées au cours de cette matinée.
I - Liberté d'expression et répression des contenus illicites :
Lutter contre les contenus illicites ou préjudiciables sur internet suppose une clarification des règles relatives à la responsabilité des acteurs et que l'autorité judiciaire soit dotée des moyens adaptés à sa mission de lutte contre la délinquance.
Fondement de l'internet, la liberté de communication, ne doit pas seulement être proclamée, mais également garantie concrètement pas une définition de ses conditions d'exercice.
Quelles voies emprunter ?
- Tout d'abord, il faut encourager la responsabilisation des acteurs.
A l'initiative de Patrick Bloche, une démarche a été engagée devant l'Assemblée Nationale, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'audiovisuel, pour clarifier les règles de responsabilité des intermédiaires techniques d'Internet.
Il s'agit là d'une question essentielle qui touche à la liberté d'expression et de communication et au droit des personnes.
La discussion parlementaire a été extrêmement fructueuse et je pense que nous allons parvenir à une solution satisfaisante pour tous.
L'approche que le Gouvernement entend promouvoir vise à garantir un juste équilibre entre, d'un côté, la liberté des acteurs de l'Internet, qui doit être préservée, et de l'autre, la nécessaire protection des tiers dont le droits pourraient être lésés.
Elle est conforme à celle suivie dans le cadre communautaire et intègre les dispositions de la directive sur certains aspects juridiques de la société de l'information, et notamment du commerce électronique.
Cette directive distingue entre trois catégories d'intermédiaires techniques et oblige les fournisseurs d'hébergement à réagir dès qu'ils sont informés d'un contenu illicite ou portant atteinte aux droits d'autrui.
La loi doit traduire de manière réaliste et pragmatique les obligations qui incombent à chacun de ces trois catégories suivant leurs capacités effectives d'intervention et de contrôle.
Certains craignent qu'un tel système place l'hébergeur dans la position très inconfortable de juge des contenus. Je crois cette critique infondée. Le système préconisé est suffisamment nuancé pour éviter de placer l'hébergeur face à de véritables dilemmes et c'est en tout état de cause au juge, et à lui seul, saisi par la personne qui se prétend victime d'agissements illicites, de trancher la question.
Cela étant, il va de soi que les intermédiaires techniques ne peuvent être tenus pour responsables de toutes les dérives de l'Internet et que la clarification de leur responsabilité ne peut constituer la seule réponse au besoin de confiance et de sécurité de nos concitoyens.
- Il faut également que l'Etat, dans le respect des libertés publiques, joue pleinement son rôle pour garantir le respect de la loi et prévenir et réprimer la cybercriminalité.
Le Gouvernement, conscient de ces nouvelles facilités procurées aux délinquants, a déjà procédé à une nécessaire adaptation du droit pénal : la loi du 17 juin 1998 a créé une circonstance aggravante pour les infractions à caractère sexuel les plus graves lorsque -je cite- "la victime a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de message à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de télécommunication".
Par ailleurs, l'efficacité de la lutte contre la délinquance sur l'Internet est directement liée aux capacités d'enquête des services de police spécialisés. Or celles-ci dépendent de la traçabilité des connexions, et donc de la conservation des données de connexion par les intermédiaires techniques de l'internet, fournisseurs d'accès et fournisseurs d'hébergement.
C'est pourquoi le respect du droit des personnes implique que soit imposé aux fournisseurs d'accès et d'hébergement de conserver les données concourant à l'identification des auteurs ou producteurs de contenus, ce qui est la condition nécessaire pour que l'éditeur ou l'auteur de contenu illicite ne puisse se réfugier en toute impunité derrière l'écran que lui fournirait le prestataire d'hébergement.
Mais il faut assortir cette obligation de garanties de confidentialité qui permettront de la concilier avec le droit à l'anonymat
J'en viens maintenant à la question de la protection des données personnelles et des uvres de l'esprit.
II - La protection des données personnelles et des uvres de l'esprit :
1 - On ne rappellera jamais assez l'équilibre fragile mais nécessaire, entre les exigences de l'ordre public et celles de la défense des droits des citoyens.
Les questions de fichiers, de protection des données personnelles et de respect de la vie privée sont un souci récurrent des sociétés démocratiques.
Comme l'a fait observer à juste titre M. BRAIBANT dans son Rapport relatif aux données personnels et à la société de l'information, le développement de l'informatique moderne et ses applications conduit à ce que chaque individu soit fiché plusieurs milliers de fois au cours de son existence en tant qu'écolier, étudiant, salarié, contribuable, candidat à un emploi, patient, assuré social, consommateur, etc...
Ainsi, la "grande peur" des citoyens, liée à la quasi disparition de l'anonymat, vient de l'idée que l'Etat pourrait détenir un pouvoir d'autant plus grand qu'il possède plus d'informations sur chacun d'entre nous.
Certes, l'Etat a une légitimité à détenir ces informations, dès lors qu'il est investi d'une mission d'intérêt général qui peut conduire à collecter des informations pour permettre aux administrations d'acquérir une bonne connaissance de la réalité à travers une analyse systémique des données.
La question des fichiers et celle de la protection des données personnelles correspond en premier lieu à un souci récurrent des sociétés démocratiques de se défendre contre l'intrusion de l'Etat dans la sphère de la vie privée.
Dans ce domaine, la France a montré la voie, dès le milieu des années 1970, par une prise de conscience précoce des dangers potentiels de l'informatique administrative.
La protection de la vie privée dans notre pays, puis au sein de l'Union eurpopéenne, a pris sa source dans le contrôle de ces projets publics d'exploitation des données personnelles.
A la fin des années soixante dix, l'informatique était perçue comme une nouvelle technique macro-politique de contrôle social d'une collectivité de citoyens par un oeil administratif gigantesque. La structure panoptique de la prison, décrite par Michel Foucault dans Surveiller et punir, allait s'étendre à la société toute entière : un pouvoir centralisé, grâce à ses réseaux, allait transformer les citoyens cloisonnés en sujets d'études statistiques.
Face à cette crainte, la loi du 6 janvier 1978 et l'installation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ont conduit à l'élaboration d'un véritable droit de la personne fichée dont les grands principes sont plus que jamais d'actualité : je les rappellerai brièvement.
* Droit des citoyens à ce qu'aucune décision individuelle les concernant ne soit prise automatiquement sur la base d'un fichier.
* Droit à la loyauté de la collecte des données; ce qui veut dire que les fichiers ne peuvent être constitués à l'insu des personnes.
* Droit d'opposition pour des raisons légitimes à ce que des données peronnelles soient l'objet de traitements.
* Droit d'information sur la finalité des traitements.
* Principe de spécialité des données collectée pour une finalité identifiée.
* Droit d'accès et de rectification
A ces droits s'ajoute une interdiction, sauf dérogation, de traiter des données nominatives qui feraient apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques, ou religieuses ou les appartenances syndicales ou les orientations sexuelles, ce que l'on appelle les "données sensibles".
En vingt ans, la CNIL a construit un véritable droit prudentiel des fichiers, quel que soit leur support, avec l'approbation constante du Conseil constitutionnel qui a élevé les dispositions de la loi de 1978 au rang de principes constitutionnel dérivés du droit à la vie privée.
La France a directement inspiré le socle des principes qui sous-tendent la Directive européenne (95/46/CE) relative à la protection des données personnelles, dont le projet de loi de transposition sera présenté au Parlement dans les prochains mois.
2 - Avec le développement d'internet et des technologies de l'information, la problématique de la protection des données personnelles devient plus complexe et plus exigeante :
. d'une part, l'explosion des communications nationales et internationales met parfois la police et la justice au défi de surveiller les communications dans le cadre des procédures judiciaires,
. d'autre part, il est plus difficile pour l'Etat d'assurer la protection des libertés publiques devant l'augmentation des activités de piratage des hackers.
Les pouvoirs publics sont bien conscients que les capacités de traçage et de localisation des internautes posent des questions juridiques complexes en termes de sauvegarde des libertés fondamentales.
La problématique de la protection des données personnelles se noue aujourd'hui à partir des possibilités de traitement des données que les "cookies" autorisent à partir d'un ensemble d'informations collectées sur une personne donnée.
Ces "cookies", qui permettent à un site web de suivre à la trace les connexions selon un processus d'identification durable, sont de redoutables instruments de suivi des individus.
C'est bien la possibilité technique de croiser, d'interconnecter des données, de créer des profils de comportements prévisibles, qui nous interpelle. Les différents traitements d'enrichissement, de modélisation des données leur confèrent une valeur marchande qui fait s'interroger sur les finalités d'utilisation de ces bases de données personnelles par des prestataires de services qui s'aviseraient de commercialiser ces données.
Ce qui pose problème aujourd'hui, en termes de protection de la vie privée, c'est la convergence entre les outils du marketing classique et les technologies d'individualisation que permettent les réseaux.
C'est sur ce point que doit porter maintenant l'effort de protection des personnes.
Pour améliorer la protection des utilisateurs des nouveaux réseaux et garantir le développement durable des technologies de l'information et de la communication, des solutions nouvelles impliquant l'ensemble des acteurs doivent être imaginées.
Pour trouver ces solutions, une concertation constante entre les pouvoirs publics et le secteur privé est indispensable. En effet, l'architecture décentralisée des réseaux appelle des réponses pragmatiques et concertées ; la corégulation doit permettre de trouver le juste équilibre entre l'approche de souveraineté de l'Etat et la logique marchande : les professionnels, les internautes et les pouvoirs publics peuvent contribuer ensemble à une meilleure défense des libertés sur les réseaux.
C'est tout le sens de la Mission que le Député Christian PAUL vient de conduire à la demande du Premier Ministre pour préciser les modalités selon lesquelles les acteurs de l'internet participeront à l'élaboration de codes de conduite afin qu'internet soit à la fois un vecteur de la liberté d'expression sans pour autant porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne.
3. Je voudrais enfin évoquer brièvement la question de la protection des uvres collectives, question qui là encore doit être traitée en partenariat avec les acteurs de l'internet, mais me semble appeler une régulation adaptée. La spécificité des technologies de l'information impose en effet qu'à plus ou moins longue échéance des aménagements soient apportés au régime général de protection des uvres collectives.
Le code de la propriété intellectuelle ne prévoit aucune disposition spécifique à la diffusion d'uvres sur Internet mais s'applique intégralement, et ces uvres bénéficient à ce titre des règles protectrices attachées au droit d'auteur, le caractère licite ou illicite de la reproduction résultant non du procédé technique en cause mais de l'utilisation privée ou collective qui en est faite.
La facilité d'accès aux uvres et de copie sur Internet constitue un problème préoccupant du fait des possibilités de contrefaçon qui sont ouvertes.
Les articles L. 122-4 et L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle posent respectivement le principe de l'interdiction de reproduire intégralement ou partiellement une uvre protégée sans le consentement du titulaire du droit d'auteur et des exceptions à ce principe.
Le cadre réglementaire pour la société de l'information s'est effectivement au cours des dernières années enrichi de directives importantes : directive sur la protection juridique des programmes d'ordinateur, sur le droit de location et de prêt, sur la coordination de certaines règles du droit d'auteur et du droit voisin applicables à la radiodiffusion par satellite et la retransmission par câble, directive sur la protection juridique de bases de données.
Au début de l'année 1998, la Commission européenne a proposé un projet de directive relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
Ce projet fait suite au livre vert de la commission et tend, d'une part, à favoriser la sécurité juridique de la circulation d'oeuvres et d'objets protégés dans les réseaux numériques, d'autre part, à mettre le droit communautaire en conformité avec les obligations découlant des deux traités adoptés en 1996 par l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).
Ce texte permettra donc de sécuriser les échanges numériques, le Gouvernement français s'attachant à ce que le niveau de protection des uvres soit équivalent à celui qui existe en droit français, et que notre conception particulièrement protectrice du droit d'auteur soit respectée, notamment en ce qui concerne le droit de distribution (par ce droit, l'auteur d'une uvre ou le titulaire d'un droit voisin doit donner son accord à toute distribution de copie de l'oeuvre ou de l'objet protégé) et l'épuisement du droit, ainsi que le respect du droit moral de l'auteur, caractéristique du droit français de la propriété intellectuelle.
Voilà, Mesdames et Messieurs, un aperçu des orientations que le Gouvernement entend suivre pour assurer, en tenant compte de la dimension nouvelle du "cyberespace", la protection des libertés publiques.
Internet doit être pour tous un espace de liberté et de sécurité, un terrain d'expression libre mais responsable.
Nous devons tous aujourd'hui conjuguer nos efforts afin de construire une société de l'information harmonieuse, respectueuse de nos valeurs de liberté et d'égalité, et répondant aux attentes des hommes et des femmes de nos pays.
Il est fondamental, si nous voulons préparer l'avenir, d'être à la hauteur de ces nouveaux défis que pose aujourd'hui l'évolution des réseaux.
Et je ne puis que saluer à cet égard vos débats qui, à n'en pas douter, y contribuent.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 20 juin 2000)
Je ne puis que saluer cette initiative qui tend à mettre l'accent, dans un esprit d'ouverture et de dialogue, sur un aspect encore peu analysé de l'avènement du "cyberespace". Je remercie particulièrement pour son invitation Daniel MARCOVITCH qui, je le sais, s'est beaucoup investi personnellement pour la réussite de ce colloque.
Le développement d'internet confronte les libertés publiques à de nouveaux défis.
Redouté par les uns et adulé par les autres, le réseau des réseaux présente un double visage : ce peut être à la fois un danger et un vecteur de liberté.
L'interconnexion croissante des réseaux, leur caractère global et planétaire, leur capacité de collecte de renseignement sans précédent et le développement des échanges virtuels internationaux décuplent le risque d'utilisation indue des données circulant sur le net, sans que les internautes ne puissent en avoir conscience.
L'internet est par ailleurs directement utilisé pour commettre des actes illicites, pour diffuser des messages racistes ou xénophobes ou blanchir l'argent sale.
Mais, tout en ayant conscience de ces risques qu'il fait courir pour nos libertés publiques, il faut garder présent à l'esprit qu'internet, dont la construction s'est nourrie de l'idéal de liberté, est un formidable outil de développement de la liberté d'expression et de communication : ne connaissant pas de frontières, il permet à chacun de faire entendre sa voix à l'échelle de la planète.
C'est à un équilibre entre les impératifs de sécurité et de protection des droits de la personne et la garantie de la liberté d'expression et de communication que nos démocraties doivent parvenir dans la réglementation de l'Internet.
Je m'attacherai à montrer comment le Gouvernement entend parvenir à un tel équilibre, en revenant sur les deux questions évoquées au cours de cette matinée.
I - Liberté d'expression et répression des contenus illicites :
Lutter contre les contenus illicites ou préjudiciables sur internet suppose une clarification des règles relatives à la responsabilité des acteurs et que l'autorité judiciaire soit dotée des moyens adaptés à sa mission de lutte contre la délinquance.
Fondement de l'internet, la liberté de communication, ne doit pas seulement être proclamée, mais également garantie concrètement pas une définition de ses conditions d'exercice.
Quelles voies emprunter ?
- Tout d'abord, il faut encourager la responsabilisation des acteurs.
A l'initiative de Patrick Bloche, une démarche a été engagée devant l'Assemblée Nationale, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'audiovisuel, pour clarifier les règles de responsabilité des intermédiaires techniques d'Internet.
Il s'agit là d'une question essentielle qui touche à la liberté d'expression et de communication et au droit des personnes.
La discussion parlementaire a été extrêmement fructueuse et je pense que nous allons parvenir à une solution satisfaisante pour tous.
L'approche que le Gouvernement entend promouvoir vise à garantir un juste équilibre entre, d'un côté, la liberté des acteurs de l'Internet, qui doit être préservée, et de l'autre, la nécessaire protection des tiers dont le droits pourraient être lésés.
Elle est conforme à celle suivie dans le cadre communautaire et intègre les dispositions de la directive sur certains aspects juridiques de la société de l'information, et notamment du commerce électronique.
Cette directive distingue entre trois catégories d'intermédiaires techniques et oblige les fournisseurs d'hébergement à réagir dès qu'ils sont informés d'un contenu illicite ou portant atteinte aux droits d'autrui.
La loi doit traduire de manière réaliste et pragmatique les obligations qui incombent à chacun de ces trois catégories suivant leurs capacités effectives d'intervention et de contrôle.
Certains craignent qu'un tel système place l'hébergeur dans la position très inconfortable de juge des contenus. Je crois cette critique infondée. Le système préconisé est suffisamment nuancé pour éviter de placer l'hébergeur face à de véritables dilemmes et c'est en tout état de cause au juge, et à lui seul, saisi par la personne qui se prétend victime d'agissements illicites, de trancher la question.
Cela étant, il va de soi que les intermédiaires techniques ne peuvent être tenus pour responsables de toutes les dérives de l'Internet et que la clarification de leur responsabilité ne peut constituer la seule réponse au besoin de confiance et de sécurité de nos concitoyens.
- Il faut également que l'Etat, dans le respect des libertés publiques, joue pleinement son rôle pour garantir le respect de la loi et prévenir et réprimer la cybercriminalité.
Le Gouvernement, conscient de ces nouvelles facilités procurées aux délinquants, a déjà procédé à une nécessaire adaptation du droit pénal : la loi du 17 juin 1998 a créé une circonstance aggravante pour les infractions à caractère sexuel les plus graves lorsque -je cite- "la victime a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de message à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de télécommunication".
Par ailleurs, l'efficacité de la lutte contre la délinquance sur l'Internet est directement liée aux capacités d'enquête des services de police spécialisés. Or celles-ci dépendent de la traçabilité des connexions, et donc de la conservation des données de connexion par les intermédiaires techniques de l'internet, fournisseurs d'accès et fournisseurs d'hébergement.
C'est pourquoi le respect du droit des personnes implique que soit imposé aux fournisseurs d'accès et d'hébergement de conserver les données concourant à l'identification des auteurs ou producteurs de contenus, ce qui est la condition nécessaire pour que l'éditeur ou l'auteur de contenu illicite ne puisse se réfugier en toute impunité derrière l'écran que lui fournirait le prestataire d'hébergement.
Mais il faut assortir cette obligation de garanties de confidentialité qui permettront de la concilier avec le droit à l'anonymat
J'en viens maintenant à la question de la protection des données personnelles et des uvres de l'esprit.
II - La protection des données personnelles et des uvres de l'esprit :
1 - On ne rappellera jamais assez l'équilibre fragile mais nécessaire, entre les exigences de l'ordre public et celles de la défense des droits des citoyens.
Les questions de fichiers, de protection des données personnelles et de respect de la vie privée sont un souci récurrent des sociétés démocratiques.
Comme l'a fait observer à juste titre M. BRAIBANT dans son Rapport relatif aux données personnels et à la société de l'information, le développement de l'informatique moderne et ses applications conduit à ce que chaque individu soit fiché plusieurs milliers de fois au cours de son existence en tant qu'écolier, étudiant, salarié, contribuable, candidat à un emploi, patient, assuré social, consommateur, etc...
Ainsi, la "grande peur" des citoyens, liée à la quasi disparition de l'anonymat, vient de l'idée que l'Etat pourrait détenir un pouvoir d'autant plus grand qu'il possède plus d'informations sur chacun d'entre nous.
Certes, l'Etat a une légitimité à détenir ces informations, dès lors qu'il est investi d'une mission d'intérêt général qui peut conduire à collecter des informations pour permettre aux administrations d'acquérir une bonne connaissance de la réalité à travers une analyse systémique des données.
La question des fichiers et celle de la protection des données personnelles correspond en premier lieu à un souci récurrent des sociétés démocratiques de se défendre contre l'intrusion de l'Etat dans la sphère de la vie privée.
Dans ce domaine, la France a montré la voie, dès le milieu des années 1970, par une prise de conscience précoce des dangers potentiels de l'informatique administrative.
La protection de la vie privée dans notre pays, puis au sein de l'Union eurpopéenne, a pris sa source dans le contrôle de ces projets publics d'exploitation des données personnelles.
A la fin des années soixante dix, l'informatique était perçue comme une nouvelle technique macro-politique de contrôle social d'une collectivité de citoyens par un oeil administratif gigantesque. La structure panoptique de la prison, décrite par Michel Foucault dans Surveiller et punir, allait s'étendre à la société toute entière : un pouvoir centralisé, grâce à ses réseaux, allait transformer les citoyens cloisonnés en sujets d'études statistiques.
Face à cette crainte, la loi du 6 janvier 1978 et l'installation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ont conduit à l'élaboration d'un véritable droit de la personne fichée dont les grands principes sont plus que jamais d'actualité : je les rappellerai brièvement.
* Droit des citoyens à ce qu'aucune décision individuelle les concernant ne soit prise automatiquement sur la base d'un fichier.
* Droit à la loyauté de la collecte des données; ce qui veut dire que les fichiers ne peuvent être constitués à l'insu des personnes.
* Droit d'opposition pour des raisons légitimes à ce que des données peronnelles soient l'objet de traitements.
* Droit d'information sur la finalité des traitements.
* Principe de spécialité des données collectée pour une finalité identifiée.
* Droit d'accès et de rectification
A ces droits s'ajoute une interdiction, sauf dérogation, de traiter des données nominatives qui feraient apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques, ou religieuses ou les appartenances syndicales ou les orientations sexuelles, ce que l'on appelle les "données sensibles".
En vingt ans, la CNIL a construit un véritable droit prudentiel des fichiers, quel que soit leur support, avec l'approbation constante du Conseil constitutionnel qui a élevé les dispositions de la loi de 1978 au rang de principes constitutionnel dérivés du droit à la vie privée.
La France a directement inspiré le socle des principes qui sous-tendent la Directive européenne (95/46/CE) relative à la protection des données personnelles, dont le projet de loi de transposition sera présenté au Parlement dans les prochains mois.
2 - Avec le développement d'internet et des technologies de l'information, la problématique de la protection des données personnelles devient plus complexe et plus exigeante :
. d'une part, l'explosion des communications nationales et internationales met parfois la police et la justice au défi de surveiller les communications dans le cadre des procédures judiciaires,
. d'autre part, il est plus difficile pour l'Etat d'assurer la protection des libertés publiques devant l'augmentation des activités de piratage des hackers.
Les pouvoirs publics sont bien conscients que les capacités de traçage et de localisation des internautes posent des questions juridiques complexes en termes de sauvegarde des libertés fondamentales.
La problématique de la protection des données personnelles se noue aujourd'hui à partir des possibilités de traitement des données que les "cookies" autorisent à partir d'un ensemble d'informations collectées sur une personne donnée.
Ces "cookies", qui permettent à un site web de suivre à la trace les connexions selon un processus d'identification durable, sont de redoutables instruments de suivi des individus.
C'est bien la possibilité technique de croiser, d'interconnecter des données, de créer des profils de comportements prévisibles, qui nous interpelle. Les différents traitements d'enrichissement, de modélisation des données leur confèrent une valeur marchande qui fait s'interroger sur les finalités d'utilisation de ces bases de données personnelles par des prestataires de services qui s'aviseraient de commercialiser ces données.
Ce qui pose problème aujourd'hui, en termes de protection de la vie privée, c'est la convergence entre les outils du marketing classique et les technologies d'individualisation que permettent les réseaux.
C'est sur ce point que doit porter maintenant l'effort de protection des personnes.
Pour améliorer la protection des utilisateurs des nouveaux réseaux et garantir le développement durable des technologies de l'information et de la communication, des solutions nouvelles impliquant l'ensemble des acteurs doivent être imaginées.
Pour trouver ces solutions, une concertation constante entre les pouvoirs publics et le secteur privé est indispensable. En effet, l'architecture décentralisée des réseaux appelle des réponses pragmatiques et concertées ; la corégulation doit permettre de trouver le juste équilibre entre l'approche de souveraineté de l'Etat et la logique marchande : les professionnels, les internautes et les pouvoirs publics peuvent contribuer ensemble à une meilleure défense des libertés sur les réseaux.
C'est tout le sens de la Mission que le Député Christian PAUL vient de conduire à la demande du Premier Ministre pour préciser les modalités selon lesquelles les acteurs de l'internet participeront à l'élaboration de codes de conduite afin qu'internet soit à la fois un vecteur de la liberté d'expression sans pour autant porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne.
3. Je voudrais enfin évoquer brièvement la question de la protection des uvres collectives, question qui là encore doit être traitée en partenariat avec les acteurs de l'internet, mais me semble appeler une régulation adaptée. La spécificité des technologies de l'information impose en effet qu'à plus ou moins longue échéance des aménagements soient apportés au régime général de protection des uvres collectives.
Le code de la propriété intellectuelle ne prévoit aucune disposition spécifique à la diffusion d'uvres sur Internet mais s'applique intégralement, et ces uvres bénéficient à ce titre des règles protectrices attachées au droit d'auteur, le caractère licite ou illicite de la reproduction résultant non du procédé technique en cause mais de l'utilisation privée ou collective qui en est faite.
La facilité d'accès aux uvres et de copie sur Internet constitue un problème préoccupant du fait des possibilités de contrefaçon qui sont ouvertes.
Les articles L. 122-4 et L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle posent respectivement le principe de l'interdiction de reproduire intégralement ou partiellement une uvre protégée sans le consentement du titulaire du droit d'auteur et des exceptions à ce principe.
Le cadre réglementaire pour la société de l'information s'est effectivement au cours des dernières années enrichi de directives importantes : directive sur la protection juridique des programmes d'ordinateur, sur le droit de location et de prêt, sur la coordination de certaines règles du droit d'auteur et du droit voisin applicables à la radiodiffusion par satellite et la retransmission par câble, directive sur la protection juridique de bases de données.
Au début de l'année 1998, la Commission européenne a proposé un projet de directive relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
Ce projet fait suite au livre vert de la commission et tend, d'une part, à favoriser la sécurité juridique de la circulation d'oeuvres et d'objets protégés dans les réseaux numériques, d'autre part, à mettre le droit communautaire en conformité avec les obligations découlant des deux traités adoptés en 1996 par l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).
Ce texte permettra donc de sécuriser les échanges numériques, le Gouvernement français s'attachant à ce que le niveau de protection des uvres soit équivalent à celui qui existe en droit français, et que notre conception particulièrement protectrice du droit d'auteur soit respectée, notamment en ce qui concerne le droit de distribution (par ce droit, l'auteur d'une uvre ou le titulaire d'un droit voisin doit donner son accord à toute distribution de copie de l'oeuvre ou de l'objet protégé) et l'épuisement du droit, ainsi que le respect du droit moral de l'auteur, caractéristique du droit français de la propriété intellectuelle.
Voilà, Mesdames et Messieurs, un aperçu des orientations que le Gouvernement entend suivre pour assurer, en tenant compte de la dimension nouvelle du "cyberespace", la protection des libertés publiques.
Internet doit être pour tous un espace de liberté et de sécurité, un terrain d'expression libre mais responsable.
Nous devons tous aujourd'hui conjuguer nos efforts afin de construire une société de l'information harmonieuse, respectueuse de nos valeurs de liberté et d'égalité, et répondant aux attentes des hommes et des femmes de nos pays.
Il est fondamental, si nous voulons préparer l'avenir, d'être à la hauteur de ces nouveaux défis que pose aujourd'hui l'évolution des réseaux.
Et je ne puis que saluer à cet égard vos débats qui, à n'en pas douter, y contribuent.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 20 juin 2000)