Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le projet de loi constitutionnelle de décentralisation et sur les cinq "leviers constitutionnels" de la réforme, Versailles le 17 mars 2003.

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Circonstance : Réunion du Congrès du Parlement à Versailles le 17 mars 2003

Texte intégral

Monsieur le Président du Congrès,
Monsieur le Président du Sénat,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
J'ai l'honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République.
Dans ce cadre solennel du Congrès, devant l'ensemble de la représentation nationale, je suis heureux, 15 jours après avoir annoncé les orientations du Gouvernement à Rouen, de pouvoir vous proposer la modification de notre Constitution, qui constitue le socle de notre réforme.
J'avais annoncé en octobre que le Gouvernement se donnait 150 jours pour engager de façon irréversible l'acte II de la décentralisation, en modifiant la Constitution, en organisant un débat, lui-même décentralisé et en décidant des nouveaux transferts de compétence.
A plusieurs reprises il m'a été demandé de préciser, avant le vote de la réforme institutionnelle, quels étaient les projets du gouvernement quant aux lois de décentralisation. Notre projet est maintenant précis et public.
Moins de 5 mois après notre engagement, la phase constitutionnelle s'achève au moment précis de la synthèse du débat et du début du travail sur la loi de transfert de compétence.
La Constitution, c'est la loi des lois, c'est la colonne centrale de notre vivre ensemble, de notre pacte républicain: il appartient au Constituant de la faire vivre. Nous ne voulons pas la VIème République. Nous pensons que la Vème République du Général de Gaulle et de Michel Debré a donné à notre pays la stabilité institutionnelle qu'il a cherché si longtemps. Mais nous pensons aussi que ce texte de 1958, proche de celui de 1946 en ce qui concerne les collectivités locales, a besoin d'évoluer et peut, maintenant que l'autorité de l'Etat est solidement établie, être complété pour renforcer la démocratie locale.
Maurras, polémiquant avec Clémenceau au tout début du siècle dernier, disait que " la République ne peut décentraliser " et il se réjouissait de cet aveu de faiblesse. J'ai aujourd'hui la conviction que notre République peut se décentraliser. J'ai même la conviction qu'elle sera d'autant plus forte qu'elle sera décentralisée. Une République décentralisée est une République humanisée.
" La France vient du fond des âges, elle vit, les siècles l'appellent ". Cette mission historique exprimée et vécue par le Général de Gaulle nous engage. La période que nous vivons donne du sens à cet appel. Il faut libérer la France de ses lourdeurs pour qu'elle puisse toujours exprimer ses valeurs.
N'oublions pas les doutes du printemps dernier, ces Français, sceptiques sur le fonctionnement de la République, se réfugiant dans l'abstention ou dans l'exaspération, ces Français qui reprochent à l'action politique, publique, administrative, une certaine impuissance.
Les Français veulent que la proximité permette de gérer la complexité. Les Français veulent que la responsabilité permette de rétablir le lien qui s'effiloche entre les élus et les citoyens. Les Français aiment l'Etat, ils aiment leur maire, ils aiment tout ce qui met du lien dans leur vie, mais ils veulent un Etat et une administration efficaces.
Dans une période difficile le Gouvernement a cherché à répondre aux aspirations politiques des Français. Les Français avaient d'abord besoin d'ordre. Il fallait que la République soit à nouveau maître chez elle, qu'elle rétablisse ses valeurs. Cela a été la priorité du Gouvernement pendant le premier semestre de son action. Nous avons rétabli l'autorité républicaine, renforcé la justice, renforcé la police, renforcé l'armée. Et les résultats, 10 mois après, sont là. La délinquance recule. La justice est engagée dans un vaste mouvement de réforme. Et la France est d'autant plus forte pour défendre la paix dans le monde qu'elle n'a pas fait le choix du pacifisme.
Mais les Français ont aussi besoin de mouvement. Ils savent que l'immobilisme est la plus grande menace pour notre pacte républicain. C'est l'immobilisme qui affaiblit l'Etat. C'est l'immobilisme qui affaiblit notre démocratie sociale, notre système de retraite, notre système de santé, nos entreprises publiques. Sous l'impulsion du Président de la République, nous voulons être aujourd'hui, l'expression du mouvement.
La révision Constitutionnelle que je vous demande de ratifier aujourd'hui, conformément à l'article 89 de la Constitution, va nous offrir des leviers majeurs de réforme. Je voudrais insister plus particulièrement sur 5 d'entre eux.
- Cinq leviers constitutionnels pour la réforme
A. Le principe de subsidiarité et de proximité
L'urgence aujourd'hui est de définir le niveau pertinent de l'exercice des responsabilités. La République reste unitaire. Elle n'est pas fédérale. Mais elle doit adapter, dans notre ordre institutionnel, le principe de subsidiarité. C'est un principe qui doit nous guider dans la juste répartition des compétences : " Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. ". " L'organisation de la République est décentralisée ". Ces principes doivent figurer dans notre Constitution.
La Constitution, ce n'est pas qu'un outil de juristes, c'est aussi un texte qui rassemble les valeurs de la République. C'est pour cette raison que notre loi fondamentale affirme la dimension sociale de la République, exprime notre devise, affiche notre drapeau et protège notre langue. Au nombre de ces valeurs je crois fermement qu'il faut ajouter la recherche de la proximité. Le cadre national n'est pas remis en cause par le lien local. Au contraire les libertés locales renforcent le lien national. La démocratie de proximité renforce la République.
Et puis, cet article aura bel et bien un effet juridique : il empêchera de recentraliser les compétences bien exercées au niveau local. Et il empêchera de transférer aux collectivités des compétences en leur ôtant toute marge de manuvre et en corsetant leur action par des normes trop tatillonnes.
B. Le droit à l'expérimentation
Deuxième levier de réforme, le droit à l'expérimentation. La Constitution le reconnaîtra tant pour l'Etat (c'est l'objet du nouvel article 37-1), que pour les collectivités locales (art. 72). Nous avons trop tendance à privilégier les grandes réformes, cartésiennes, globales. Des plans. Des grandes lois. Au risque d'échouer pour avoir voulu transformer trop rapidement le corps social. Il nous faut être plus pragmatique, accepter l'idée que des expérimentations permettent à certaines collectivités d'aller plus vite que d'autre, pour qu'ensemble nous puissions évaluer de nouvelles solutions.
Sur ce point, une révision de la Constitution était nécessaire, pour ouvrir la possibilité de déroger temporairement au principe d'égalité, tout en encadrant évidemment cette dérogation. Le Parlement restera le garant du processus. Il autorisera, en amont, l'expérimentation. Il l'évaluera, en aval. Et il n'y aura pas d'expérimentation lorsque seront en cause " les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti. "
Autoriser trois communautés urbaines à mettre en uvre une politique du logement en expérimentant de nouvelles règles d'emploi des PLA, des PALULOS Autoriser deux régions à s'investir en matière de santé Tester, grandeur nature, de nouveaux dispositifs d'aménagement du territoire ou d'urbanisme. Je ne vois rien là qui menace l'unité de la République. Et je suis sûr que ces expérimentations seront fécondes et nous permettront de mieux préparer les réformes dont notre pays a besoin.
C. Le principe de participation populaire
Troisième levier constitutionnel pour notre réforme : le développement de la démocratie locale. Nous avons besoin de modifier la Constitution pour favoriser la participation des citoyens aux décisions locales. Ainsi, le nouvel article 72-1 créera trois outils nouveaux :
- le droit de pétition, qui permettra aux électeurs de saisir d'une question une assemblée délibérante ;
- le référendum local, qui permettra aux élus de décider de soumettre un projet de délibération relevant de leur compétence à la décision des électeurs ;
- la consultation locale, par laquelle le législateur pourra consulter les électeurs avant de créer ou de modifier un statut particulier ou de modifier les limites d'une collectivité.
Ces trois outils permettront de resserrer le lien entre les élus et les électeurs. La démocratie participative est la garantie d'une décentralisation durable. Vous le verrez d'ici un an plusieurs référendums territoriaux auront eu lieu.
D. Un nouveau cadre financier pour garantir l'autonomie financière et développer la péréquation
Comme le Président de la République s'y était engagé, nous avons souhaité rénover le cadre financier de l'action des collectivités territoriales : la Constitution fixera désormais quatre principes :
1. Principe d'autonomie financière : les collectivités " disposent librement de leurs ressources, dans les conditions fixées par la loi " ;
2. Principe de juste compensation : les transferts seront financés loyalement. Chaque transfert de compétences s'accompagnera du transfert des moyens humains et financiers correspondants. Nous voulons rétablir la confiance entre l'Etat et les collectivités. Le juge constitutionnel empêchera les décentralisations non financées.
3. Principe d'autonomie fiscale : la part des ressources propres des collectivités dans le total de leurs ressources devra être " déterminante ". Parce que nous voulons des élus responsables. En privilégiant le transfert de fiscalité sur celui des dotations nous renforcerons la responsabilisation des élus. C'est ainsi que les élus pourront rendre des comptes aux contribuables, sur les dépenses qu'ils financeront avec l'argent public. Des élus avec des libertés d'initiatives, mais qui rendent des comptes aux électeurs. Voilà notre conception de la décentralisation. Et je suis sûr qu'à ce compte, la pression fiscale baissera !!
4. Principe de péréquation : nous l'inscrivons dans la Constitution. Il revient au Parlement de corriger les inégalités de ressource. La république des proximités ne sera pas la République des inégalités.
Sur tous ces points, nous prenons les engagements les plus formels, nous les inscrivons dans la Constitution et nous acceptons de nous placer sous le contrôle du juge constitutionnel
E. La reconnaissance d'un droit à la spécificité
Dernier grand levier de réforme : la possibilité d'adapter le statut des collectivités, en métropole et outre-mer.
En métropole, la possibilité de créer des collectivités à statut particulier en lieu et place des collectivités de droit commun permettra d'apporter des réponses appropriées si des demandes s'expriment en Corse, en Région parisienne, ou dans d'autres collectivités.
J'ai la conviction notamment que la Corse doit être à la pointe de la décentralisation. Elle doit exploiter toutes les possibilités offertes par la Constitution. Et nous avons pris, et nous continuerons, à prendre les dispositions spécifiques nécessaires, pour adapter ses compétences, ses ressources et son organisation à sa situation particulière. Nous nous donnons les moyens d'une initiative nouvelle.
Enfin, nous redéfinissons totalement le cadre institutionnel de l'outre-mer, en lui donnant de la souplesse, mais également en lui redonnant de la lisibilité, puisque la Constitution réaffirme solennellement l'appartenance des différentes collectivités d'outre-mer à la France.
En conclusion
Je voudrais vous exprimer trois convictions que je tire des 26 assises territoriales qui viennent de se dérouler, mais aussi d'une expérience personnelle de 20 ans d'élu local et d'un travail effectué dans de nombreuses instances de réflexion nationale sur la décentralisation notamment, ces dernières années au sein de la commission présidée par Pierre Mauroy.
Je l'ai entendu :
1) Les Français aiment l'Etat.
Nous ne voulons pas organiser son désengagement mais au contraire lui donner les moyens de répondre aux attentes de nos compatriotes. La décentralisation permettra à l'Etat de se recentrer sur ses responsabilités. L'Etat à trop vouloir faire, a fini par négliger ce que lui seul peut faire. Je crois en l'Etat. Mais je veux un Etat fort et capable d'autorité dans ses missions régaliennes. Un Etat efficace et capable d'humanité dans ses missions de solidarité. Un Etat stratège et un Etat régulateur. Pas un Etat ankylosé. Cette réforme est la première étape d'une ambitieuse réforme de l'Etat.
Je le souhaite :
2) Le Parlement doit rester le garant de la Réforme.
Le Pouvoir législatif ne sera ni éclaté, ni dispersé. Nous nous donnons les moyens de transformer notre architecture territoriale, ainsi en quelques années nos régions, par exemple, pourront conquérir la puissance européenne. Elles ne pourront le faire contre le Parlement mais seulement en accord avec lui.
Vous autorisez et vous contrôlerez en amont et en aval les expérimentations dans le domaine législatif. Au vu des résultats de cette évaluation, vous déciderez de généraliser, d'abandonner ou de modifier l'expérimentation.
Vous déterminerez également les ressources dont pourront disposer librement les collectivités territoriales et vous assurerez l'égalité des Français devant les droits fondamentaux.
Vous déciderez de l'évolution des collectivités à statut particulier et des collectivités d'outre-mer.
Vous serez pour le gouvernement des alliés précieux et constructifs pour la réforme de l'Etat, de notre Etat.
Je le crois :
3) Nous nous retrouverons tous pour que vive cette réforme.
Je pense vraiment, aujourd'hui que l'on a eu tort au début des années 1980 de jeter pour certains un regard partisan sur les lois Defferre et Mauroy . Ces lois n'étaient pas partisanes. Elles avaient leur force, elles ont cependant dû être régulièrement adaptées.
Je vous propose aujourd'hui l'Acte II de la décentralisation, il a sa force, il devra faire aussi l'objet d'adaptation.
Les Françaises et les Français savent reconnaître les limites des clivages politiques. Ils savent que " la constance est la plus haute expression de la force ".
L'erreur des uns, hier, sera, peut-être, l'erreur des autres aujourd'hui !
Le temps fera son oeuvre, il assurera la constance et la sagesse l'emportera.
L'essentiel est que, grâce aux responsabilités nouvelles qui sont aujourd'hui ouvertes aux acteurs de terrain, la République se rapproche de son inspirateur : le Peuple de France.
(source Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2003)