Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Je suis particulièrement heureux de vous retrouver aujourd'hui pour évoquer à nouveau avec vous le dossier de la décentralisation.
Trois mois se sont écoulés depuis notre dernière rencontre à ce sujet, pendant lesquels des avancées majeures se sont produites, grâce à la détermination sans failles du Gouvernement.
Tous les engagements que nous avions pris devant vous, dès notre rencontre du 22 avril, ont pu être tenus, et je crois que nous pouvons nous en féliciter.
C'est pourquoi, aujourd'hui plus que jamais, Dominique de Villepin et moi-même comptons sur vous pour assurer le relais et mettre en uvre au plus près du terrain cette réforme de grande ampleur.
I. Nous avons tenu nos engagements : les textes sur la décentralisation ont été votés avant la fin de l'été
Dès notre première rencontre, vous aviez pu mesurer notre détermination : c'était une priorité, pour Dominique de Villepin comme pour moi, de faire aboutir dans les délais les plus brefs possibles le texte relatif aux libertés et responsabilités locales, ainsi que le texte sur l'autonomie financière. Nous avions fixé dès le départ un calendrier exigeant, ambitieux, à la hauteur de l'enjeu.
Vous devez sans doute vous souvenir du climat de scepticisme et d'incrédulité qui avait accueilli ces annonces : de toutes parts, on se montrait dubitatif sur notre capacité à tenir ces engagements.
Aujourd'hui, vous le savez, nous avons tenu parole : ces textes ont pu être adoptés dans les délais prévus, lors de la session extraordinaire de cet été, même si l'obstruction parlementaire nous aura obligés à faire usage de l'article 49-3 de la Constitution.
Jusqu'au bout, notre volonté est restée intacte et nous pouvons nous féliciter d'avoir tenu ce calendrier, d'avoir respecté une logique d'écoute et de dialogue, tout en sachant, le moment venu, faire preuve d'esprit de responsabilité et de décision.
Après le vote, il nous fallait encore naturellement attendre les décisions du Conseil Constitutionnel. Là encore, des Cassandre de tous bords nous prédisaient les pires scénarios.
Aujourd'hui, vous n'ignorez pas que le Conseil Constitutionnel a donné son aval à ces textes. Il a notamment pleinement validé la notion d'autonomie financière, telle qu'elle avait été votée par la représentation nationale, ainsi que la totalité de la loi libertés et responsabilités locales, à l'exception d'un seul article sur les 203 qu'elle comportait, article d'origine parlementaire, que le Gouvernement avait toujours estimé inconstitutionnel.
Enfin, un obstacle restait à franchir : il nous fallait obtenir de la Commission de Bruxelles l'autorisation de donner vie à cette autonomie financière, grâce au transfert d'impôts d'Etat. Ce n'était pas simple, et je vous dois vous dire ici que la direction des affaires juridiques de la Commission européenne s'est montrée réservée jusqu'à la fin du mois d'août.
J'ai dû me rendre personnellement à Bruxelles il y a 15 jours rencontrer le commissaire européen en charge de ce dossier, Monsieur Frits Bolkenstein pour défendre ce dossier.
Nos craintes ont pu être levées le 14 septembre dernier, avec l'avis favorable à une régionalisation de la TIPP, rendu à l'unanimité par la Commission européenne. C'est évidemment une étape capitale, même s'il reste à la faire voter à l'unanimité par l'ensemble des pays membres de l'Union.
Ainsi, une haie après l'autre, je crois que nous su franchir toutes les étapes. Désormais cette grande réforme est votée : la crédibilité du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en sort naturellement renforcée, nous permettant de nous consacrer désormais à d'autres chantiers.
Car de nouvelles échéances nous attendent, et notamment la mise en oeuvre réglementaire de la loi. Sur les 62 décrets d'application nécessaires, 35 devront être publiés avant le 31 décembre, pour une application à compter du 1er janvier 2005.
Je m'engage à veiller scrupuleusement à ce que ces 35 décrets soient publiés au Journal Officiel. C'est un travail énorme, et d'ores et déjà tous les services, la DGCL et l'ensemble de mon cabinet sont à l'oeuvre, soutenus par Matignon. Nous avons en effet l'appui déterminé du Premier ministre, qui est très attaché à ce que tous les ministères concernés par des mesures de décentralisation produisent les textes adéquats dans les délais.
Nous avons vraiment à coeur, avec Dominique de Villepin, de faire en sorte que la mise en oeuvre de la loi ne connaisse aucune entrave du point de vue réglementaire.
II. Il s'agit maintenant de mettre en oeuvre ces textes
Il nous faut désormais mettre ensemble en uvre ces textes. J'en rappellerai ici simplement les grands axes, avant de vous exposer ce que nous attendons de vous pour les mois à venir.
Comme vous le savez, nous avons fait le choix d'une décentralisation équilibrée et financée, qui laisse une large place à l'expérimentation et à l'innovation.
C'est ainsi que la loi transfère aux régions la coordination du développement économique et la formation professionnelle, aux départements l'action sociale et la gestion d'une grande partie du réseau des routes nationales, et aux communes et intercommunalités la gestion du logement social.
En la matière, je tiens à préciser un point concernant le " contingent préfectoral " de réservation de logements sociaux. Le maire, ou, avec l'accord de celui-ci, un président d'EPCI compétent en matière d'habitat, peut se voir déléguer, sous le contrôle du Préfet, ce contingent préfectoral. Nous vous avions promis, avec Dominique de Villepin, de travailler sur cette question qui vous tient à coeur, afin de transformer l'obligation de délégation initialement inscrite dans le texte, en simple possibilité, encadrée par une convention ; nous avons tenu nos promesses : vous continuerez ainsi à disposer de moyens d'action pour le logement des personnes défavorisées.
- Par ailleurs, vous savez que la loi prévoit le transfert de 96 000 personnels TOS et 33 000 agents des DDE.
Il va de soi que nous comptons très fermement sur vous aujourd'hui pour effectuer ces transferts : cela exigera de vous une implication maximum, et cela dès aujourd'hui.
Je sais que vous avez déjà informé les personnels, que vous leur avez rappelé les engagements très clairs pris par le Gouvernement, notamment en matière de libre-choix, et de parité des carrières et des droits. Il s'agit maintenant pour vous de faire appliquer la loi.
Tout un travail de préparation au niveau central a déjà eu lieu. Deux circulaires d'application de la loi vous ont déjà été transmises, l'une générale en date du 10 septembre, l'autre spécifique à l'intercommunalité datée du 15 septembre.
Cette première circulaire a dressé la liste des conventions que vous aurez à passer avec les exécutifs locaux. Les plus urgentes sont celles qui organiseront la mise à disposition des services, pendant la phase transitoire, à partir d'une convention type en cours de rédaction, et qui sera prise par décret.
En tant que représentant de l'Etat, vous signalerez à mon cabinet ou à la DGCL toute difficulté avec les services déconcentrés, sachant qu'au niveau central nous avons mis au point une concertation interministérielle pour réagir le plus rapidement possible aux difficultés rencontrées sur le terrain. Car si l'expertise technique doit être menée par les services de l'équipement ou les rectorats, le pilotage politique vous revient, tant vis à vis des élus que vis à vis des personnels concernés.
Je vous indique à ce propos qu'une équipe d'appui, auprès du DGCL, est en cours de constitution, dirigée par un préfet et avec des hauts fonctionnaires de l'équipement, de l'éducation nationale et des affaires sociales, afin d'établir un lien permanent entre vous et les administrations centrales. Cette équipe devrait être opérationnelle très rapidement et sera chargée de vous assister localement avec efficacité et pertinence.
- C'est donc un volet important d'application de ce texte pour lequel vous êtes d'ores et déjà sollicités. Mais il est un autre point pour lequel votre présence sur le terrain va se révéler indispensable : il s'agit du débat plus politique qui ne va pas manquer de s'installer sur la question de la fiscalité.
J'entends déjà ici ou là certains Présidents de région prétendre que la décentralisation va forcément se traduire par une hausse de la fiscalité locale.
Je voudrais profiter de cette rencontre pour lever toute ambiguïté sur ce point : si certains décident d'augmenter les impôts locaux, ils en seront les seuls responsables. Car nous avons fait le choix d'une décentralisation entièrement financée, pour rompre avec certaines pratiques malheureuses du passé : je pense, et vous l'aurez compris, à l'exemple de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie.
Désormais, les transferts seront compensés intégralement, à l'euro près. Il s'agit d'une garantie constitutionnelle. Cette compensation sera étroitement contrôlée par la commission d'évaluation des charges, dont la composition a été modifiée pour en renforcer l'impartialité.
Cette compensation sera en outre conforme à l'objectif d'autonomie financière, du fait de son financement par une fiscalité dynamique et localisable :
- Dès 2005, première année de l'application de la loi, les régions bénéficieront de l'affectation d'une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) pour compenser à l'euro près les transferts de compétences. Ce montant sera augmenté dans les prochaines lois de finances au rythme de l'entrée en vigueur effective des transferts de compétences et de charges entre l'État et les régions.
- Par ailleurs, pour permettre aux régions de disposer d'une réelle autonomie financière, les régions pourront en moduler le taux à compter de 2006, sous réserve de l'accord de nos partenaires européens. Cette possibilité de modulation donnera aux régions les moyens de mener les politiques de leur choix. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, ce dossier a des chances raisonnables d'aboutir.
J'entends à ce propos quelques rumeurs sur les conséquences de cette modulation : là encore, soyons réalistes. Ce ne sont pas moins de deux centimes d'euros d'écart entre telle et telle région qui pourront provoquer des délocalisations d'achat de carburant. Il faut garder sur tous ces sujets un peu de bon sens et de bonne foi. Je compte naturellement sur vous pour relayer ce message avec force.
A l'heure actuelle, nous estimons que lorsque tous les transferts de compétences auront eu lieu, à compter de 2008, le montant des ressources transférées s'élèvera à près de 10 milliards d'euros, dont 5 milliards au titre du RMI-RMA.
Je ne laisserai donc pas dire que la décentralisation sera synonyme de mauvaises surprises fiscales et financières.
III. Les prochaines étapes qui nous attendent
Je voudrais terminer en vous indiquant les prochaines réformes qui vont nous occuper dans les mois à venir.
Comme je m'y étais engagé, je vais me consacrer pleinement à la suite des réformes des finances locales :
- Le 16 septembre, le Conseil d'Etat, en Assemblée Générale, a émis un avis favorable à ce que la réforme des dotations soit présentée dans le cadre de la loi de finances 2005, afin d'être applicables à compter du 1er janvier.
Après un débat très dense en début de semaine, le Comité des Finances Locales a adopté à l'unanimité l'architecture de cette réforme, qui a pour objectif de traduire dans les faits le principe désormais constitutionnel de péréquation entre collectivités.
Les grandes lignes de la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) envisagée sont les suivantes :
Pour les communes :
- de réduire les écarts de dotation par habitant de 1 à 2,5 en créant une dotation de base suivant la taille de la commune
- d'ajouter 3 euros par hectare à la dotation forfaitaire versée à chaque commune, quel que soit le nombre d'habitants, pour aider les communes rurales qui comptent une faible population
-de réduire progressivement l'écart de dotation par habitant entre les intercommunalités rurales et urbaines
- et enfin de garantir à chaque commune de conserver le niveau de dotation forfaitaire qu'elle a perçue avant la réforme en mettant en oeuvre à chaque niveau un complément de garantie.
En matière de péréquation, l'objectif est de faire évoluer les sommes réservées à la croissance de la Dotation de Solidarité Urbaine (DSU) et de la Dotation de Solidarité Rurale (DSR) de façon identique (+20 %), tout en préservant la dotation d'intercommunalité. Ces augmentations iront aux communes ayant des Zones Urbaines Sensibles pour la DSU et aux bourgs centres pour la DSR.
Pour les départements :
- de réduire les écarts entre départements en élargissant l'accès à la dotation de fonctionnement minimale (DFM), et en créant une dotation de péréquation urbaine pour les départements très urbains qui subissent de fortes contraintes de charges.
Le projet de loi propose de confier au CFL le soin d'arbitrer entre l'évolution des dotations forfaitaires et les dotations de péréquations en ajustant chaque année les taux d'évolution.
=> Vous le voyez, la philosophie de cette réforme est tout le contraire d'une démarche de saupoudrage. Le Gouvernement assume le fait qu'il s'agisse d'une réforme fortement péréquatrice, à la fois pour le milieu rural et pour le milieu urbain.
- Deuxième grand chantier à venir : celui de la réforme de la taxe professionnelle. La commission Fouquet a rendu son pré-rapport fin juillet et nous engagerons la réflexion sur cette réforme dès la remise des conclusions définitives, à la fin de l'année.
Ce sera donc l'objectif de l'année 2005 de mettre en oeuvre cette réforme importante voulue par le Président de la République.
- Je voudrais, avant de conclure, vous indiquer également deux pistes d'avenir qui me semblent importantes. La première concerne la modernisation des procédures, grâce à la dématérialisation du contrôle de légalité et à l'envoi numérisé des actes des collectivités locales et des budgets. Nous avons tenu à ce qu'un article de la loi de décentralisation le permette explicitement et le favorise juridiquement : c'est donc un chantier à mener assez rapidement, pour améliorer le travail des élus et la vie des administrés.
L'autre piste est relative à notre présence à Bruxelles : je souhaite que celle-ci soit notablement renforcée. Le dossier de la TIPP a montré notre dépendance à l'égard de Bruxelles, et il est évidemment stratégique pour nous de mieux anticiper les négociations à venir, et de pouvoir ainsi en informer les préfets.
Le travail qui reste à faire est immense et il vous incombe aujourd'hui comme hier d'être les relais de ces réformes, et de les mettre en oeuvre avec tout le savoir-faire qui est le vôtre, en faisant preuve de pédagogie et de persuasion, sans jamais perdre de vue la nécessaire autorité de l'Etat.
Comme je vous l'ai dit à plusieurs reprises, n'hésitez jamais à me faire part sur ces questions des difficultés que vous seriez amenés à rencontrer sur le terrain. Je serai sur tous ces sujets un interlocuteur particulièrement disponible et vigilant.
Je vous remercie.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 27 septembre 2004)