Déclarations de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur la réforme de la justice, à Paris à l'Assemblée nationale le 15 janvier et au Sénat le 22 janvier 1998.

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Circonstance : Débats d'orientation sur la réforme de la justice, à l'Assemblée nationale le 15 janvier et au Sénat le 22 janvier 1998

Texte intégral

Monsieur le Président
Mesdames
Messieurs les Députés,
"La Justice est la première dette de la souveraineté" écrivait Portalis dans son célèbre discours de présentation du code civil.
Nous tous ici, Gouvernement et Parlement confondus, qui incarnons la souveraineté de notre pays, devons nous poser cette question grave : avons-nous fait tout notre possible pour honorer cette dette ? pouvons nous croire sérieusement que nous en sommes quittes ? Ce que toute démocratie est en droit d'attendre, voir d'exiger, des citoyens - l'obéissance aux lois - elle n'est légitime à le faire qu'à la stricte condition de leur assurer en même temps la Justice, c'est à dire une Justice accessible dans ses procédures, impartiale dans ses jugements effectives dans ses résultats. Quand le doute sur la Justice s'installe, la société tout entière peu à peu se déchire car la Justice est un élément fondamental du pacte démocratique. Elle doit apaiser les conflits privés entre les personnes et ordonner, par le droit, les rapports collectifs entre les citoyens. Sans elle, pas de cohésion sociale. Or, depuis des années, la société française, toutes opinions confondues, n'est plus satisfaite de sa Justice, elle a perdu toute crédibilité en l'institution. Une réforme profonde s'impose, une réforme globale et générale pour rétablir la confiance des citoyens dans la Justice.
Cette priorité pour la Justice a été affirmée fortement devant vous, par le Premier ministre, dans son discours de déclaration de politique générale, le 19 juin 1997. " Dans la Nation," a-t-il indiqué " faire vivre la République, c'est s'assurer d'un Etat qui inspire le respect, qui redevienne impartial, qui se conforme au Droit. Les responsabilités de l'Etat doivent être assumées sans défaillance ; Au premier rang de celles-ci, il y a la Justice. Le respect du droit est fondamental pour la République et la Démocratie. Sans lui, le lien social se dissout et les institutions sont discréditées. Aussi la Justice doit-elle être indépendante et impartiale."
Vous connaissez les termes de la communication que j'ai présentée le 29 octobre en conseil des ministres. La réforme que je présente s'oriente autours de trois axes : prioritaire, la Justice au quotidien ; attendue, la garantie des libertés ; incontournable, une meilleure définition des rôles du garde des Sceaux et des parquets. Aujourd'hui il s'agit d'un débat d'orientation pour savoir ce que chacun attend de la Justice. Les textes particuliers des réformes viendront, en leur temps, en discussion devant vous. Pour ma part, je développerai aujourd'hui les points les plus essentiels pour nos concitoyens et ceux qui entraînent interrogations sur les rapports entre les institutions.
UNE JUSTICE AU SERVICE DES CITOYENS
Cette réforme doit concerner au premier chef la Justice quotidienne. Chaque année près de 3 millions et demi de décisions sont rendues par les juges des cours et tribunaux, les juges consulaires et les juges prudhommaux. Si réforme il doit y avoir, c'est bien d'abord pour nos millions de concitoyens qui s'adressent chaque année à la Justice pour lui demander de régler leurs différents. Ce sont les époux dont la vie commune est devenue impossible, c'est le salarié licencié qui réclame indemnité, c'est le chef d'entreprise en difficulté qui demande les moyens juridiques de poursuivre son activité, c'est le propriétaire qui souhaite récupérer la jouissance de son bien, seul source de revenu pour lui, le locataire menacé d'expulsion. Or, les attentes des citoyens sur la Justice sont clairement identifiées: ils veulent une Justice, 1) accessible, 2) rapide et 3) soucieuse d'apporter des réponses à leurs problèmes, en premier lieu la sécurité.
Rendre la Justice plus accessible pour tous est ainsi le premier défi que nous devons relever.
Je sais que tous les gardes des Sceaux ont, à un moment ou à un autre, fait le même constat et pris des engagements similaires. Je sais que des réformes ont été entreprises et qu'elles ont porté leurs fruits. Je connais le formidable effort de productivité auquel se sont attelé les magistrats : on ne le dira jamais assez, malgré les conditions de travail que chacun connaît, les décisions rendues se sont accrues bien au delà de l'augmentation des moyens. Ainsi, en vingt ans le contentieux civil devant les TGI a cru de 75%, celui devant les cours d'appel de plus de 100%, le nombre de décisions rendues a connu la même progression alors que le nombre de magistrats n'augmentait que de 25%. Cela ne se sait pas suffisamment et je veux le rappeler. Or malgré cela, l'insatisfaction en la Justice est de plus en plus grande. La Justice vit ce paradoxe d'être toujours plus critiquée et toujours plus saisie. Cet état de fait traduit aussi l'évolution de notre société où les médiateurs intermédiaires ne fonctionnent plus. Chacun alors se tourne vers l'institution judiciaire qui a le bonheur et le malheur d'avoir le nom d'une vertu.
Je ne veux pas que l'on puisse dire : il y a deux Justices, l'une pour les riches et l'autre pour les pauvres et aucune pour les classes moyennes qui en sont exclues.
Et c'est ce constat qui fait urgence. L'Etat ne peut plus se contenter de proposer des améliorations ponctuelles. Un saut qualitatif majeur s'impose. Je veux que chaque français connaisse ses droits et puisse les défendre. Je veux que chaque français comprenne le langage, les rites et l'organisation du service public de la Justice.
Les attentes multiples exigent des réponses nouvelles et diversifiées. Dans une société de plus en plus régulée par le droit, l'Etat a le devoir de répondre aux aspirations qui se font jour. Mais il faut distinguer très nettement l'accès au droit de l'accès au juge. Le besoin de Justice n'implique pas le seul accès au prétoire et il ne peut trouver de satisfaction sans la connaissance de leurs droits par les citoyens. La politique d'aide à l'accès au droit, doit être pleinement développée. Elle doit l'être particulièrement en faveur des plus démunis, tant il est vrai que l'ignorance des droits contribue à l'exclusion. Mais cette politique a un objectif plus large que les réponses nécessaires à apporter aux plus défavorisés. Car elle répond profondément au désir nouveau des citoyens de participer davantage à leur propre destin, et pour cela la connaissance par chacun de ses droits est un droit fondamental. Tous les partenaires doivent être mobilisés sur cet objectif. A cet égard, les conseils départementaux de l'aide juridique, créés par la loi de 1991, doivent être présents sur l'ensemble du territoire. Leur première action est de recenser et de diffuser largement l'existant en matière d'information et de consultation juridique dans le département : c'est ce qui a été fait à la satisfaction de tous, par exemple, à Marseille, à Cayenne et tout récemment à Paris. Or, seuls 22 départements sont dotés de tels conseils. Tous doivent l'être.
D'autres mesures doivent intervenir pour rendre la Justice accessible. J'en rappellerai brièvement quelques unes :
- la simplification des textes par la poursuite de l'effort de codification et l'adaptation du droit aux changements intervenus dans la société, que ce soit dans le domaine de la vie familiale, de la vie économique et de la vie sociale ; tant il est vrai que la première exigence est la clarté des textes et du langage employé.
- un meilleur accueil des justiciables dans les maisons de Justice et du droit,
- et bien sur la réforme de la carte judiciaire. Elle sera entreprise en tenant compte de chaque réalité locale, des évolutions démographiques et économiques et des durées de transport et en favorisant réponses de proximité et spécialisation des juridictions. Pour ce faire une mission, dont j'ai obtenu la création au budget 1998, réunissant des professionnels qualifiés aux compétences diverses est en cours de constitution. Elle sera chargée d'étudier concrètement les projets sur le terrain.
La deuxième priorité est de rendre la Justice plus rapide.
La lenteur de l'institution judiciaire s'apparente trop souvent à un déni de Justice. L'institution judiciaire, parce qu'elle constitue un service public, doit apporter une réponse rapide et effective. Il n'est pas admissible que dans plusieurs cours d'appel, comme à Paris, Douai, Aix, on convoque les justiciables en 2001 pour des affaires de contestation de licenciement. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. C'est dans cette optique que doit être développée une véritable Justice de l'urgence.
L'effort doit porter, au premier chef, sur une simplification des procédures, car la complexité est cause de lenteur, de coût et d'inégalité. Quelques pistes sur les orientations en ce domaine :
- meilleure répartition des contentieux entre le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance, juridiction de proximité par excellence.
- spécialisation des tribunaux de grande instance pour les contentieux les plus techniques, comme les affaires financières ou les dossiers de construction.
- facilitation de l'accès au tribunal d'instance, par l'augmentation du montant des litiges susceptibles de lui être soumis, actuellement limité à 30 000F.
Mais, il convient, aussi, d'instaurer des modes plus souples de règlements des conflits.
- Ainsi, la résolution des contentieux par la médiation, la conciliation et la transaction doit être développée, afin de favoriser, chaque fois que cela est possible, la recherche de solutions évitant les procès.
- Lorsque le juge est saisi, une association plus étroite des auxiliaires de Justice à l'instruction des dossiers doit permettre des accords sur la durée des procès, par de véritables "contrats de procédure".
- Les recours purement dilatoires doivent être combattus. En ce sens, doit être étudié le recours à l'exécution immédiate des décisions de première instance, même frappées d'appel, pour certains domaines de contentieux.
Enfin la Justice doit répondre, à la place qui est la sienne, au besoin de sécurité.
Chacun attend de la Justice qu'elle participe pleinement à la sécurité en apportant des réponses aux actes délictueux qui mettent en péril la cohésion sociale :
- violences urbaines,
- délinquance des mineurs,
- délinquance financière et internationale.
Dans cette lutte contre la délinquance, qui est l'une des priorités du gouvernement, l'efficacité passe, notamment, par une meilleure coopération de la Justice, de la police et de la gendarmerie indispensable à une mise en oeuvre efficace des politiques d'action publique définies localement par le procureur. Cette coopération doit permettre une amélioration sensible des taux d'élucidation des infractions.
La direction de la police judiciaire incombe légalement au procureur de la République qui aux termes de l'article 41 du code de procédure pénale "dirige l'activité des officiers et agents de la police judiciaire". Il convient que les juridictions soient informées de l'affectation des moyens des services de police judiciaire (spécialement des services économiques et financiers) et de l'utilisation des emplois, que leurs avis soient recueillis sur l'affectation des effectifs de police judiciaire. A cette fin, une concertation doit être menée tant au niveau national qu'au niveau local. Seule une information réciproque permet d'apporter la réponse la plus adaptée possible aux besoins des citoyens. Dans le même esprit, des affectations de fonctionnaires spécialisés (policiers, gendarmes, douaniers et autres fonctionnaires des finances) auprès de certains magistrats seront envisagées pour mener à bien dans la durée des enquêtes particulières. De tels "contrats d'enquête" assureront la permanence et l'efficacité du travail d'investigation commun à la Justice et à la police judiciaire. Le dispositif que je mets en oeuvre pour lutter contre la délinquance financière, d'abord à Paris, ensuite en province, s'inspire de ce principe.
Quant au contrôle des activités des officiers de police judiciaire, qui est une garantie offerte aux citoyens, il implique la prise en compte effective de l'évaluation judiciaire dans leur carrière. Afin de renforcer ce contrôle, les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier de police judiciaire dans l'exécution d'une mission de police judiciaire associeront l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent.
La lutte contre la délinquance passe également par une réponse judiciaire rapide à chaque acte délictueux. En effet, il importe de réduire le sentiment d'impunité chez les auteurs d'infractions, de témoigner que la société réprouve l'acte que la victime a subi et d'assurer réparation à celle-ci. Ces nouveaux modes de règlement pour la petite et moyenne délinquance, qui rapprochent l'infraction de la sanction et contribuent au rétablissement de la paix publique, sont devenus les outils indispensables de la politique pénale. Ils doivent être développés et renforcés. Ce sont : les procédures de convocation de l'auteur à bref délai devant le tribunal, la médiation-réparation pour les mineurs, le classement de la procédure sous certaines conditions, comme l'indemnisation de la victime. La réponse judiciaire doit être diversifiée grâce, notamment, au développement des mesures alternatives à l'emprisonnement, comme la réparation et les travaux d'intérêt général.
UNE Justice AU SERVICE DES LIBERTÉS
La présomption d'innocence est un principe fondamental trop souvent bafoué.
Rappelons brièvement les phases d'une procédure ordinaire aujourd'hui avant la réforme, banale sauf pour celui qui est concerné. A six heures du matin, sous l'oeil de son conjoint, de ses enfants, de ses voisins, gendarmes ou policiers viennent chercher une personne soupçonnée d'une infraction quelconque. Gardée à vue jusqu'à 48 heures, elle ne pourra converser avec un avocat qu'au bout de la 20ème heure. Menottée et conduite sous bonne garde au tribunal, elle sera présentée au juge d'instruction, qui l'entendra, lui notifiera ce qu'il lui reproche et décidera de la placer en détention. Après plusieurs mois, voir plusieurs années, elle verra sa situation évoquée par un tribunal. Selon son degré de notoriété, la presse se sera plus ou moins intéressée à elle dans la première phase de l'affaire, aura fait paraître plus ou moins de reportages et de photographies, mais dans tous les cas une décision de relaxe prise par le tribunal ne donnera lieu qu'à un entrefilet.
Certes, ce rappel peut paraître simpliste. Les délinquants doivent être identifiés, poursuivis et condamnés. En même temps, le respect des droits fondamentaux de la personne, dans tout le processus pénal, doit être absolument assuré. Un équilibre entre respect des droits de la défense et efficacité de l'enquête doit être recherché. Un certains nombres d'objectifs doivent servir de guide : La décision de détention provisoire, mesure la plus grave, doit rester exceptionnelle. Une personne, même coupable, ne doit pas être présentée dans une situation dégradante. Un citoyen ne doit pas faire l'objet de soupçons durables, de manière occulte, sans qu'il puisse s'expliquer publiquement. Le droit à l'information doit se concilier avec le respect de la personne.
Les modifications de procédure pénale concernant l'enquête et l'instruction que je propose répondent à ce double objectif :
établir une procédure efficace pour les poursuites et respectueuses des droits de l'homme. Ainsi :
- dès la première heure de garde à vue, la personne mise en cause pourra demander la présence d'un avocat, sauf pour certaines catégories d'infractions comme le terrorisme, le trafic de stupéfiants et toutes les formes de criminalité organisée.
- le contentieux de la détention sera réservé à un juge du siège d'expérience, distinct du juge d'instruction, en position d'arbitre impartial et "paraissant tel aux yeux de tous" selon les termes de la Convention européenne des droits de l'homme.
- des délais légaux dans le déroulement de l'enquête et de l'instruction seront institués pour faire le point périodiquement sur le développement du dossier.
- des audiences publiques seront instaurées pour certains actes de la procédure, afin de permettre le débat contradictoire sur les charges reprochées à la personne mise en cause (demande de prolongation de l'enquête préliminaire, mise en détention, mise en liberté).
- les images des personnes menottées ou entravées et les sondages sur la culpabilité ou sur les sanctions seront prohibées.
- la réparation de l'atteinte à la présomption d'innocence par la voie civile sera étendue (droit de réponse, insertion de communiqué).
D'autres réformes concernant les nouveaux enjeux de la liberté vous seront également présentées. Je vous les rappelle brièvement :
- amélioration de la protection des atteintes à la vie privée par la répression renforcée des écoutes téléphoniques sauvages,
- réexamen de la loi sur l'informatique et les libertés pour transposer la directive relative au traitement des données à caractère personnel,
- adaptation de notre droit pour tenir compte du développement du réseau Internet et des nouvelles technologies de l'information, que le Gouvernement a l'intention de favoriser,
- réforme de la procédure d'assises pour permettre un nouvel examen des décisions des cours,
- alignement de la procédure pénale militaire sur la procédure de droit commun.
UNE Justice INDÉPENDANTE ET IMPARTIALE
Les rapports Justice-exécutif
Le troisième volet de ma réforme complète les deux précédents. Pour assurer une Justice de proximité et défendre les libertés, la Justice doit être indépendante et impartiale.
Ces deux qualités sont celles de tout agent public dont on attend une décision d'importance. Ce n'est pas un hasard si le Conseil d'Etat vient de reconnaître, par exemple, le devoir d'indépendance des inspecteurs du travail ou des psychologues de la protection judiciaire de la jeunesse de mon ministère. Dans de telles fonctions d'expertise, dans des situations tendues et difficiles, ces deux qualités sont indispensables à l'exercice de la mission même.
Avec la Justice, il ne s'agit plus seulement de qualités individuellement demandées aux agents mais d'une autorité constitutionnellement reconnue. Ces deux qualités, indépendance et impartialité, constituent la substance même de l'autorité judiciaire pour trancher les litiges qui lui sont soumis. Le Président de la République est le garant de cette indépendance.
Depuis longtemps présentes dans la tradition française, l'indépendance et l'impartialité sont reprises aujourd'hui par les conventions internationales auxquelles la France est partie comme la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Dès lors, la magistrature a des pouvoirs mais n'est pas un pouvoir. Car le pouvoir ne procède que du suffrage. Par la Constitution issue du suffrage et par la loi issue du Parlement élu, le magistrat reçoit des pouvoirs qu'il lui revient d'exercer dans le strict respect de la loi. Juger est une mission éminente rendue "au nom du peuple français". L'indépendance et l'impartialité sont alors des conditions nécessaires mais non suffisantes à cette mission, qui exige aussi compétence, expérience et attention portée au justiciable.
Au regard de ces principes, juges du siège et parquetiers ne sont pas dans la même situation.
Les juges du siège disposent depuis longtemps des garanties statutaires par leurs procédures de nomination nécessaires au libre exercice de leur fonction juridictionnelles. Chargés de répondre aux questions qui leur sont soumises, ils peuvent et doivent s'acquitter de leurs tâches sans instruction ni pression. Ils sont indépendants. Ils doivent être impartiaux. Ils ont a s'expliquer, c'est le rôle de la motivation des décisions, fondement du droit d'appel et du recours en cassation.
Pour les magistrats du parquet la question se pose autrement. En premier lieu, leur rôle est différent de celui des juges du siège. Les parquetiers assument l'opportunité des poursuites, c'est à dire le choix de poursuivre ou non telle ou telle infraction. Ils tracent ainsi, en droit et en fait, la ligne entre le légal et l'infraction. Ils exercent cette prérogative que la loi leur attribue au nom de la société et dans le cadre des orientations que le Gouvernement a tracées.
En second lieu, le magistrat du parquet est à la fois responsable du traitement d'affaires individuelles, comme le magistrat du siège, et de la mise en oeuvre de politiques publiques comme celles de la sécurité ou de la politique de la ville ; c'est du constant aller et retour entre décision individuelle (poursuivre ou non M.X ou Mme Y) et la politique générale (par exemple, lutter contre la toxicomanie avant de poursuivre les infractions à l'urbanisme) que le parquet tire sa spécificité et son importance dans l'oeuvre de Justice.
En troisième lieu, le magistrat du parquet reste un magistrat : la séparation du parquet et du siège qui n'a été proposée par aucun courant politique et n'était pas retenue par la commission de réflexion présidée par le premier président Truche cités, il faut tirer le meilleur statut et la meilleure organisation du parquet. Etait ce le cas dans les dernières années?
Si nous nous attachons à proposer une réforme, c'est que la réponse à cette question est évidemment négative. Les dossiers construits, tronqués, démembrés, dispersés, retardés ou accélérés sont dans les mémoires. Les interventions directes, inopportunes, dans les affaires sensibles, mais aussi dans les affaires qui ne devenaient sensibles que du fait de ces interventions, ont défrayé la chronique. Les nominations dérogatoires avaient ému le Conseil supérieur de la magistrature. "Doit être ici relevé le fait que l'autorité de nomination est passée outre aux avis défavorables dans 46% des cas, ce qui traduit une rupture avec la pratique antérieure." note-t-il dans son rapport d'activité 1996.
Pour lever définitivement le soupçon, pour redonner du crédit tant aux politiques qu'à la Justice, il est urgent d'apporter des réponses et des réponses profondes. Les aménagements ponctuels ne peuvent servir à rien. Et c'était bien l'objectif du Président de la République lorsqu'il a confié au premier président Truche, le 21 janvier 1997 une mission de réflexion sur la Justice. Je vous rappelle certains passages de la lettre de mission. "Nos concitoyens soupçonnent la Justice d'être parfois soumise à l'influence du gouvernement (...).
L'indépendance de la Justice à l'égard du pouvoir politique (...) trouve sa garantie dans les dispositions constitutionnelles et statutaires, dont celle résultant de la réforme de 1993. Cependant des voix s'élèvent pour envisager une coupure radicale entre le ministre de la Justice et le parquet. Une telle position mérite d'être examinée avec la plus grande attention et sans préjugé. Je vous demande d'étudier les modalités et les conséquences d'une situation nouvelle dans laquelle le parquet ne serait plus subordonné au garde des Sceaux et, éventuellement même, ne serait plus hiérarchisé".
La commission a fait un certain nombre de propositions en ce sens que j'ai étudiées très attentivement.
Comment réagir à un tel contexte de suspicion et de désarroi ?
- en "coupant" je ne sais quel cordon ?
- en "renonçant", sans autre forme de procès, au principe hiérarchique qui transforme une addition d'initiatives pénales ?
- en oubliant ce que les années ont façonné dans une tradition du parquet accompagnant les évolutions du droit par une action publique ferme et claire ?
Il n'en est pas question. Il n'a jamais été question de ces réponses sommaires. Il est question de respect du justiciable et du citoyen. Il est donc question 1) de transparence, 2) d'égalité devant la loi, et 3) de volonté collective.
1) de transparence, par le procédé de nomination qui ne dépendra plus seulement du pouvoir exécutif et par la réforme du conseil supérieur de la magistrature pluraliste et ouvert sur la société.
Tous les magistrats du parquet, y compris les procureurs généraux, seront nommés sur proposition du garde des Sceaux après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
La composition de ce dernier sera profondément modifiée pour promouvoir pluralisme des représentants des magistrats et ouverture à des personnalités extérieures. Il comportera une seule formation compétente pour les magistrats du parquet et pour les magistrats du siège et comprendra vingt-et-un membres, dont onze seront extérieurs au corps judiciaire. Ces derniers seront des personnalités reconnues pour leur autorité morale et leur compétence dans les questions juridiques. Elles seront nommées par les plus hautes autorités de l'Etat. Le mandat de membre du Conseil supérieur de la magistrature sera incompatible avec celui de parlementaires.
Cette réforme est essentielle pour rendre confiance en la Justice. L'heure n'est plus aux demi-mesures. Comme pour les relations du parquet avec le garde des Sceaux, certaines nominations intervenues ces dernières années, et encore à une période récente, ont jeté le discrédit sur les pratiques suivies en la matière. C'est pourquoi, sans attendre, j'ai fait savoir, et je m'y suis tenue, que je ne passerais outre, en aucun cas, à un avis négatif du CSM.
2) d'égalité devant la loi par la certitude que les instructions individuelles ne viendront plus orienter ou désorienter un dossier, apparemment pris en charge localement par le procureur mais en réalité mitonné et détourné à la Chancellerie. Les citoyens savent par constat et intuition que le secret est propice aux protections et aux règlements de compte. Le garde des Sceaux ne donnera plus d'instructions dans les affaires individuelles. Cette règle claire et nette ne souffrira aucune exception. A quoi sert l'autorité si elle est rongée par le soupçon?
3) de volonté collective par l'affirmation de politiques pénales exprimées dans des directives publiées que les procureurs devront mettre en oeuvre
La réforme que je vous présente prévoit, de manière précise, les instruments dont dispose le garde des Sceaux pour mettre en oeuvre cette politique :
- Il définit la politique judiciaire, déterminée par le Gouvernement, par des directives générales adressées aux parquets. Ces directives, plus précises que par le passé, fixent la politique pénale à mettre en oeuvre de façon égale et cohérente sur l'ensemble du territoire. Aux fins de suivi et d'évaluation de cette politique, le garde des Sceaux est informé par les procureurs généraux de l'application de ses directives générales et du déroulement des affaires en cours, soit d'initiative, soit sur demande. Il rend compte annuellement au Parlement de la définition et de la mise en oeuvre de la politique pénale.
- Un rôle accru est donné aux procureurs généraux dont la mission est précisée dans la loi. Ils veillent à l'application des directives de politique pénale du garde des Sceaux dans leur cour d'appel et à la coordination de celle-ci dans les différents ressorts des tribunaux de grande instance.
- Le garde des Sceaux dispose du droit de saisir directement les juridictions quand le parquet n'a pas engagé de poursuites ou quand l'intérêt général le requiert. Ce droit d'action, qui s'exerce directement si le tribunal n'est pas déjà saisi ou après avis d'une commission placée auprès de la Cour de Cassation dans l'hypothèse inverse, est un instrument tout à fait novateur de politique pénale et confère au garde des Sceaux des prérogatives qu'il est loin de posséder actuellement. Le code de procédure pénale actuel ne donne au ministre de la Justice aucun pouvoir procédural à l'encontre d'un procureur qui refuserait de mettre en mouvement l'action publique à la suite d'instructions qui lui seraient adressées. Seules des poursuites disciplinaires sont envisageables. Ce ne sera plus ainsi : la garde disposera d'un pouvoir propre qu'il exercera sous sa responsabilité et non plus en utilisant le truchement d'un médiateur.
Depuis mon arrivée à la tête du ministère de la Justice, les événements ont mis par deux fois une telle politique pénale au test de l'urgence. Je citerai à titre d'exemple les incidents liés aux manifestations des producteurs de fruits et légumes durant l'été et plus récemment le conflit des transporteurs routiers. Dans chacun de ces dossiers, j'ai adressé aux procureurs généraux des directives générales demandant d'être informée en temps réel pour adapter le dispositif arrêté par le gouvernement à l'évolution de la situation sur le terrain. Ce dispositif a fait la preuve de son efficacité.
L'obligation de responsabilité
L'indépendance revendiquée et acquise pose le corollaire de la responsabilité. Aucune institution, aucune personne ne doit être au-dessus de tout regard critique : les juges et la Justice doivent également rendre des comptes. Des mécanismes existent déjà et les magistrats sont loin d'être dépourvus de tous contrôles. Mais ceux-ci peuvent être améliorés et être mieux connus.
Responsabilité professionnelle, responsabilité disciplinaire qui relève des chefs de cour, du garde des Sceaux et du CSM, responsabilité devant les citoyens qui ont droit à des garanties face aux dysfonctionnements de l'institution et aux décisions prises.
La responsabilité disciplinaire ne concerne pas uniquement les magistrats du parquet. Les abus ou l'inertie d'un juge ou d'une juridiction doivent pouvoir être sanctionnés. Le Conseil supérieur de la magistrature doit pouvoir être saisi plus fréquemment. La réforme de l'inspection générale des services judiciaires permettra d'y concourir. Les poursuites disciplinaires seront engagées par le garde des Sceaux mais aussi par les chefs de cour. Elles pourront également être transmises par des commissions placées auprès des cours d'appel, qui ne seront pas composées majoritairement de magistrats de l'ordre judiciaire et qui apprécieront les suites qu'elles devront donner aux réclamations dont elles seront saisies par les citoyens. Les audiences disciplinaires devant le Conseil supérieur de la magistrature seront publiques, conformément à la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui permettra de donner des informations sur la doctrine suivie en la matière.
Mais au-delà des réponses aux dysfonctionnements, les citoyens n'acceptent plus les décisions sans recours. C'est pourquoi, un recours contre les décisions de classer une affaire sans suite est ouvert aux personnes qui ne peuvent pas mettre en mouvement l'action publique mais qui justifient d'un intérêt.
En terminant, je souligne qu'indépendance, impartialité et responsabilité, ne se conçoivent qu'en référence à la qualité du recrutement et de la formation. Une attention particulière sera donnée à la formation tant initiale que continue, l'école de la magistrature devant devenir ou redevenir un pôle d'excellence incontestable. Les réformes statutaires qui seront engagées veilleront à promouvoir des périodes de formation obligatoires, ainsi que des mécanismes favorisant la mobilité des magistrats.
LA MISE EN OEUVRE DE LA REFORME
Pour mettre en oeuvre les réformes annoncées, un effort budgétaire significatif sera consenti en faveur de la Justice au cours des prochaines années. Le gouvernement s'y est engagé. Cet engagement ne prendra pas la voie d'une loi de programmation dont nous savons tous qu'elle est loin d'être l'assurance des promesses qui peuvent avoir été faites. Le budget de la Justice en 1997 en est la démonstration éclatante. Et même celui de 1996, initialement bon, s'est vu considérablement amputé en cours d'année. En revanche, les mesures déjà prises en faveur de la Justice depuis sept mois sont le gage de la volonté du gouvernement en cette matière : dégel de la totalité des crédits et des emplois et absence de régulation budgétaire en 1997, meilleur budget pour 1998, plan d'urgence pour le recrutement de fonctionnaires et de magistrats dès le début de cette année.
Les moyens budgétaires seront donc au rendez-vous. :
- les effectifs de magistrats augmenteront pour faire face aux missions nouvelles,
- les effectifs de fonctionnaires permettront d'accompagner la hausse des effectifs de magistrats,
- les moyens de fonctionnement des juridictions et les réformes statutaires des magistrats et des fonctionnaires accompagneront la réforme,
- un effort d'équipement particulier sera consacré aux tribunaux pour permettre l'accueil des nouveaux personnels et la réforme de la carte judiciaire.
Quant à la mise en oeuvre effective, je souhaite que les trois parties de la réforme progresse concomitamment. Tout ne relève pas de disposition législatives. Certaines mesures sont réglementaires, d'autres reposent sur un changement de pratiques, j'irai même jusqu'à dire sur un changement culturel.
Je souhaite soumettre au parlement au début du second trimestre tout ce qui concerne la réforme constitutionnelle sur la réforme du CSM, les textes de loi organique et de procédure pénale relatifs aux liens entre les parquets et la Chancellerie, ainsi que les réformes de procédures pénales sur la présomption d'innocence. Un texte sur l'accès au droit devrait être déposé dans la même période. En même temps seront étudiées et mises en oeuvre les dispositions réglementaires concernant la simplification des procédures civiles. La mission sur la carte judiciaire, dont je vous ai parlé, devrait remettre ses premières constatations et préconisations à la fin de l'année 1998, sa priorité devrait être la situation des tribunaux de commerce. Enfin, un groupe de réflexion sur la famille est en cours de constitution et devrait permettre de vous soumettre une réforme cohérent en ce domaine en 1999.
Les changements qu'implique la réforme de la Justice ne pourront être mis en oeuvre qu'avec le concours de tous les personnels de Justice. Tous les métiers de Justice sont concernés. La place du juge dans la société, mais aussi sa façon de travailler sont en profonde évolution. Les personnels des greffes, de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse préparent quotidiennement les décisions des juges et assurent leur effectivité. Avec tous ceux qui concourent à l'oeuvre de Justice, et notamment les avocats, seront développés la réflexion et le travail en commun sur les métiers de la Justice, la finalité de l'intervention de l'institution judiciaire et l'amélioration du fonctionnement du service public de la Justice.
Mesdames, Messieurs,
Mon ambition est simple : que la Justice soit accessible dans ses procédures, impartiales dans ses jugements, effective dans ses résultats, que transparence et responsabilité soient les guides de tous ceux qui participent à l'oeuvre de Justice. Dans cette ambition, les magistrats y ont bien entendu leur part. C'est eux qui portent en première ligne les objectifs de la réforme qu'il s'agisse de Justice de proximité, d'attention aux droits de chacun et de garanties des libertés; Leur sens des responsabilités et la conscience de leur mission sont les meilleurs assurances pour la réussite de la modernisation de notre institution.
Je sais qu'il faudra de l'énergie et du temps pour que le changement s'inscrive dans les faits. Tous ici, nous devons discuter des moyens d'y parvenir. Je sais pouvoir compter sur mes prédécesseurs aujourd'hui présents au parlement, Robert Badinter, Henri Nallet, Michel Vauzelle et aussi ceux qui vont s'exprimer tout à l'heure, Michel Crépeau, Pierre Méhaignerie. C'est assez dire l'importance de ce débat, l'ouverture qu'il réclame de chacun, la dignité qu'il requiert de tous, et pour lesquelles je sais pouvoir compter sur la représentation nationale.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 17 septembre 2001)
Mesdames, messieurs,
Année après année les enquêtes sur la Justice font apparaître un constat sévère : pour une grande majorité de Français la Justice ne remplit pas son rôle. Elle est lente, chère, inaccessible et ne traite pas les citoyens de façon égale. Quand le doute sur la Justice s'installe, la société toute entière peu à peu se déchire car la Justice est un élément fondamental du pacte démocratique. Elle doit apaiser les conflits privés entre les personnes et ordonner, par le droit, les rapports collectifs entre les citoyens. Sans elle, pas de cohésion sociale. Devant une telle crise de confiance, une réforme profonde s'impose, une réforme globale et générale.
Cette priorité pour la Justice a été affirmée fortement, par le Premier ministre, dans son discours de déclaration de politique générale. " Dans la Nation," a-t-il indiqué " faire vivre la République, c'est s'assurer d'un Etat qui inspire le respect, qui redevienne impartial, qui se conforme au Droit. Les responsabilités de l'Etat doivent être assumées sans défaillance. Au premier rang de celles-ci, il y a la Justice. Le respect du droit est fondamental pour la République et la Démocratie. Sans lui, le lien social se dissout et les institutions sont discréditées. Aussi la Justice doit-elle être indépendante et impartiale."
Ce souci pour la Justice est partagée par votre assemblée. Les rapports que nombreux d'entre vous ont établis au cours des dernières années sur la Justice en sont la démonstration évidente. Je pense tout particulièrement aux rapports du président Larché, des sénateurs Arthuis, Fauchon, Haenel et Jolibois. L'importance et la qualité des propositions avancées ont été des contributions importantes à ma propre réflexion. Je sais pouvoir compter sur le débat de ce jour pour enrichir les orientations contenues dans la communication que j'ai présentée le 29 octobre en conseil des ministres.
La réforme que je présente s'oriente autours de trois axes : la Justice au quotidien, la garantie des libertés, une meilleure définition des rôles du garde des sceaux et des parquets. Les textes particuliers des réformes viendront, en leur temps, en discussion devant vous. Aujourd'hui, je développerai les points les plus essentiels pour nos concitoyens et ceux qui entraînent interrogations sur les rapports entre les institutions.
UNE JUSTICE AU SERVICE DES CITOYENS
Cette réforme doit concerner au premier chef la Justice quotidienne. Chaque année plus de 3 millions et demi de décisions sont rendues par les juges des cours et tribunaux judiciaires et administratifs, les juges consulaires et les juges prudhommaux. Si réforme il doit y avoir, c'est bien d'abord pour les millions de personnes qui s'adressent chaque année à la Justice pour lui demander de régler leurs différents. Que ce soit en tant que conjoints désunis, parents dépassés, locataires expulsés, propriétaires désargentés, chefs d'entreprise en difficulté, salariés licenciés, elles saisissent toutes la Justice pour trouver réponse aux difficultés de leur existence.
Or, les attentes des citoyens sur la Justice sont clairement identifiées : ils veulent une Justice, 1) accessible, 2) rapide et 3) soucieuse d'apporter des réponses à leurs problèmes, en premier lieu la sécurité.
Rendre la Justice plus accessible pour tous est ainsi le premier défi que nous devons relever.
Ce n'est pas un constat nouveau. Tous mes prédécesseurs ont fait le même. Des réformes sont intervenues. Elles ont été utiles. Les magistrats se sont attelés avec détermination à la tâche que la société leur demandait. On ne dira jamais assez le formidable effort de productivité auquel ils se sont livrés. En vingt ans, le contentieux civil devant les TGI a cru de 75%, celui devant les cours d'appel de plus de 100%, le nombre de décisions rendues a connu la même progression alors que le nombre de magistrats n'augmentait que de 25%. Cela ne se sait pas suffisamment et je veux le rappeler.
Malgré ces efforts constants, l'insatisfaction en la Justice est de plus en plus grande. Toujours plus saisie, la Justice est toujours plus critiquée. Dans notre société où les médiateurs intermédiaires ne fonctionnent plus, chacun alors se tourne vers l'institution judiciaire pour exiger des réponses aux problèmes les plus divers, réponses qui, bien souvent, ne peuvent être apportées.
Et c'est ce constat qui fait urgence. L'Etat ne peut plus se contenter de proposer des améliorations ponctuelles. Un saut qualitatif majeur s'impose. Je ne veux pas que l'on puisse dire : il y a deux Justices, l'une pour les riches et l'autre pour les pauvres et aucune pour les classes moyennes qui en sont exclues. Je veux que chaque français connaisse ses droits et puisse les défendre. Je veux que chaque français comprenne le langage, les rites et l'organisation du service public de la Justice.
Dans une société de plus en plus régulée par le droit, l'Etat a le devoir de répondre aux aspirations qui se font jour. Mais le besoin de Justice n'implique pas le seul accès au prétoire et il faut distinguer très nettement l'accès au droit de l'accès au juge. La politique d'aide à l'accès au droit doit être pleinement développée. Car elle répond profondément au désir nouveau des citoyens de participer davantage à leur propre destin, et pour cela la connaissance par chacun de ses droits est un droit fondamental. Tous les partenaires doivent être mobilisés sur cet objectif. A cet égard, les conseils départementaux de l'aide juridique, créés par la loi de 1991, doivent être présents sur l'ensemble du territoire. Leur première action est de recenser et de diffuser largement l'existant en matière d'information et de consultation juridique dans le département : c'est ce qui a été fait à la satisfaction de tous, par exemple, à Marseille, à Cayenne et tout récemment à Paris. Or, seuls 22 départements sont dotés de tels conseils. Tous doivent l'être.
D'autres mesures doivent intervenir pour rendre la Justice accessible. J'en rappellerai brièvement quelques unes :
- la simplification des textes par la poursuite de l'effort de codification et l'adaptation du droit aux changements intervenus dans la société, que ce soit dans le domaine de la vie familiale, de la vie économique et de la vie sociale ; tant il est vrai que la première exigence est la clarté des textes et du langage employé ;
- la facilitation de l'accueil des justiciables dans les maisons de Justice et du droit ;
- et bien sur la réforme de la carte judiciaire. Elle sera entreprise en tenant compte de chaque réalité locale, des évolutions démographiques et économiques et des durées de transport et en favorisant réponses de proximité et spécialisation des juridictions. Pour ce faire une mission, dont j'ai obtenu la création au budget 1998, réunissant des professionnels qualifiés aux compétences diverses est en cours de constitution. Elle sera chargée d'étudier concrètement les projets sur le terrain.
La deuxième priorité est de rendre la Justice plus rapide.
La lenteur de la Justice est une sorte de déni. Il n'est pas admissible que dans plusieurs cours d'appel, comme à Paris, Douai, Aix, on convoque les justiciables en 2001 pour statuer sur leurs affaires. Et ce ne sont que des exemples parmi d'autres. Une véritable Justice de l'urgence doit être développée. De nombreuses propositions en ce sens sont contenues dans les rapports que vous avez établis. Le président du tribunal de Paris, M. Jean-Marie Coulon, en a avancé d'autres. Le Conseil d'Etat, dans une étude de 1993 intitulée "régler autrement les conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière administrative" a participé à ce débat. Toutes ces contributions ont retenu toute mon attention.
L'effort doit porter, au premier chef, sur une simplification des procédures, car la complexité est cause de lenteur, de coût et d'inégalité. Quelques pistes sur les orientations en ce domaine :
- meilleure répartition des contentieux entre le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance, juridiction de proximité par excellence ;
- spécialisation des tribunaux de grande instance pour les contentieux les plus techniques, comme les affaires financières, le droit des marques ou les dossiers de construction ;
- facilitation de l'accès au tribunal d'instance, par l'augmentation du montant des litiges susceptibles de lui être soumis, actuellement limité à 30 000F.
Mais, il convient, aussi, d'instaurer des modes plus souples de règlements des conflits.
- Ainsi, la résolution des contentieux par la médiation, la conciliation et la transaction doit être développée, afin de favoriser, chaque fois que cela est possible, la recherche de solutions évitant les procès et je sais que cette orientation recueille votre approbation ;
- Lorsque le juge est saisi, une association plus étroite des auxiliaires de Justice à l'instruction des dossiers doit permettre des accords sur la durée des procès, par de véritables "contrats de procédure". C'est déjà cette volonté que Robert Badinter avait affirmé dans sa circulaire de 1985. Il faut que ce soit une réalité dans toutes les juridictions ;
- Les recours purement dilatoires doivent être combattus. En ce sens, doit être étudié le recours à l'exécution immédiate des décisions de première instance, même frappées d'appel, pour certains domaines de contentieux.
Enfin la Justice doit répondre, à sa place, au besoin de sécurité.
Chacun attend de la Justice qu'elle participe pleinement à la sécurité en apportant des réponses aux actes délictueux qui mettent en péril la cohésion sociale :
- violences urbaines,
- délinquance des mineurs,
- délinquance financière et internationale,
Dans cette lutte contre la délinquance, qui est l'une des priorités du gouvernement, l'efficacité passe par une meilleure coopération de la Justice, de la police et de la gendarmerie indispensable à une mise en oeuvre efficace des politiques d'action publique définies localement par le procureur. Cette coopération doit permettre une amélioration sensible des taux d'élucidation des infractions. Car l'identification des auteurs est la première réponse à l'insécurité et la condition nécessaire pour que la Justice puisse agir. Une telle évidence était déjà soulignée par Beccaria lorsqu'il écrivait :"Un des moyens les plus sûrs de réprimer les délits, ce n'est pas la rigueur des châtiments, mais leur caractère infaillible (...) La certitude d'une punition, même modérée, fera toujours plus d'impression que la crainte d'une peine terrible si à cette crainte se mêle l'espoir de l'impunité."
Comme vous le savez, la direction de la police judiciaire incombe légalement au procureur de la République. Aux termes de l'article 41 du code de procédure pénale, il "dirige l'activité des officiers et agents de la police judiciaire". Les juridictions doivent être informées de l'affectation des moyens des services de police judiciaire (spécialement des services économiques et financiers) et de l'utilisation des emplois. Leurs avis doivent être recueillis sur l'affectation des effectifs de police judiciaire. A cette fin, une concertation doit être menée tant au niveau national qu'au niveau local. Seule une information réciproque permet d'apporter la réponse la plus adaptée possible aux besoins des citoyens. Dans le même esprit, des affectations de fonctionnaires spécialisés (policiers, gendarmes, douaniers et autres fonctionnaires des finances) auprès de certains magistrats seront envisagées pour mener à bien, dans la durée, des enquêtes particulières. De tels "contrats d'enquête" assureront la permanence et l'efficacité du travail d'investigation commun à la Justice et à la police judiciaire.
Le dispositif que je mets en oeuvre pour lutter contre la délinquance financière, d'abord à Paris, ensuite en province, s'inspire de ce principe. Dans le même esprit, l'action que je mène pour la coopération judiciaire européenne vise également à apporter des réponses plus efficaces aux nouvelles formes de criminalité organisée. Je citerai la convention de l'OCDE sur la répression financière dans les contrats commerciaux, la coopération qui vient d'être engagée avec les partenaires du groupe de huit sur l'usage détourné de nouvelles technologies, en particulier Internet.
Quant au contrôle des activités des officiers de police judiciaire, qui est une garantie offerte aux citoyens, il implique la prise en compte effective de l'évaluation judiciaire dans leur carrière. Afin de renforcer ce contrôle, les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier de police judiciaire dans l'exécution d'une mission de police judiciaire associeront l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent.
La lutte contre la délinquance passe également par une réponse judiciaire rapide à chaque acte délictueux. En effet, il importe de réduire le sentiment d'impunité chez les auteurs d'infractions, de témoigner que la société réprouve l'acte que la victime a subi et de lui assurer réparation. Les nouveaux modes de règlement pour la petite et moyenne délinquance, qui rapprochent l'infraction de la sanction et contribuent au rétablissement de la paix publique, sont devenus les outils indispensables de la politique pénale. Ils doivent être développés et renforcés. Ce sont : les procédures de convocation de l'auteur à bref délai devant le tribunal, la médiation-réparation pour les mineurs, le classement de la procédure sous certaines conditions, comme l'indemnisation de la victime. La réponse judiciaire doit être diversifiée grâce, notamment, au développement des mesures alternatives à l'emprisonnement, comme la réparation et les travaux d'intérêt général.
UNE JUSTICE AU SERVICE DES LIBERTÉS
La présomption d'innocence est un principe fondamental trop souvent bafoué.
J'ai rappelé devant l'assemblée nationale les phases actuelle d'une procédure ordinaire, banale sauf pour celui qui est concerné. Interpellation au domicile à six heures du matin par les gendarmes ou policiers. Garde à vue jusqu'à 48 heures, sans contact avec un avocat avant la 20ème heure. Présentation, menotté et sous bonne garde au tribunal, au juge d'instruction. Notification des charges et placement en détention. Après plusieurs mois, voir plusieurs années, comparution devant un tribunal. Selon le degré de notoriété de l'intéressé, la presse se sera plus ou moins intéressée à lui dans la première phase de l'affaire, aura fait paraître plus ou moins de reportages et de photographies, mais dans tous les cas une décision de relaxe prise par le tribunal ne donnera lieu qu'à un entrefilet.
Certes, ce rappel peut paraître simpliste. Les délinquants doivent être identifiés, poursuivis et condamnés. Pour autant, le respect des droits fondamentaux de la personne, dans tout le processus pénal, ne doit pas être ignoré. Un équilibre entre respect des droits de la défense et efficacité de l'enquête doit être recherché. Un certain nombres d'objectifs doivent servir de guide : la décision de détention, mesure la plus grave, doit rester exceptionnelle. Une personne, même coupable, ne doit pas être présentée dans une situation dégradante. Un citoyen ne doit pas faire l'objet de soupçons durables sans qu'il puisse s'expliquer publiquement. Le droit à l'information doit se concilier avec le respect de la personne.
Les modifications de procédure pénale concernant l'enquête et l'instruction que je propose répondent à ce double objectif : établir une procédure efficace pour les poursuites et respectueuse des droits de l'homme. Ainsi :
- dès la première heure de garde à vue, la personne mise en cause pourra demander la présence d'un avocat, sauf pour certaines catégories d'infractions comme le terrorisme, le trafic de stupéfiants et toutes les formes de criminalité organisée ;
- le contentieux de la détention sera réservé à un juge du siège d'expérience, distinct du juge d'instruction, en position d'arbitre impartial et "paraissant tel aux yeux de tous" selon les termes de la Convention européenne des droits de l'homme ;
- des délais légaux dans le déroulement de l'enquête et de l'instruction seront institués pour faire le point périodiquement sur le développement du dossier ;
- des audiences publiques seront instaurées pour certains actes de la procédure, comme par exemple pour les demandes de prolongation de l'enquête préliminaire, la mise en détention ou la mise en liberté, afin de permettre le débat contradictoire sur les charges reprochées à la personne mise en cause ; - les images des personnes menottées ou entravées et les sondages sur la culpabilité ou sur les sanctions seront prohibées ;
- la réparation de l'atteinte à la présomption d'innocence par la voie civile sera étendue qu'il s'agisse de droit de réponse ou d'insertion de communiqué.
L'ensemble des réformes entraînera un nouvel équilibre entre les différents acteurs de la procédure pénale : davantage de contrôle sur l'action de la police judiciaire par les magistrats du parquet qui apportent ainsi, parce qu'ils sont magistrats, la garantie judiciaire, mais davantage de contrôle sur l'enquête menée par le parquet et sur les phases importantes de l'instruction, par un magistrat du siège d'expérience, la garantie du justiciable exigeant alors un juge neutre et impartial. Dans le même esprit, la limitation de la durée des procédures et la publicité encadrée pour les phases les plus importantes de celles-ci devraient conduire à des rapports différents entre la presse et la Justice.
UNE JUSTICE INDÉPENDANTE ET IMPARTIALE
Les rapports Justice-exécutif
Le troisième volet de ma réforme complète les deux précédents. Pour assurer une Justice de proximité et défendre les libertés, la Justice doit être indépendante et impartiale.
Ces deux qualités, indépendance et impartialité, constituent la substance même de l'autorité judiciaire, autorité constitutionnellement reconnue, pour trancher les litiges qui lui sont soumis. Aux termes de la Constitution, le Président de la République est le garant de cette indépendance.
Pour assurer cette indépendance et cette impartialité essentielles pour les citoyens, y avait-il nécessité de toucher au statut de la magistrature et aux relations des magistrats du parquet avec la Chancellerie ? Car, nous le savons, c'est bien ce point de la réforme annoncée qui entraîne certaines interrogations.
En effet, les juges du siège, constitutionnellement inamovibles, disposent depuis longtemps par leur procédure de nomination, des garanties nécessaires au libre exercice de leurs fonctions juridictionnelles. Chargés de répondre aux questions qui leur sont soumises, ils peuvent et doivent s'acquitter de leurs tâches sans instruction ni pression. Ils sont indépendants. Ils doivent être impartiaux. Lorsqu'ils tranchent, ils ont à s'expliquer, c'est le rôle de la motivation des décisions, fondement du droit d'appel et du recours en cassation. Il n'en est pas de même pour les magistrats du parquet.
Si nous nous attachons à proposer une réforme, c'est que la situation actuelle ne pouvait perdurer. Les dossiers construits, tronqués, démembrés, dispersés, retardés ou accélérés sont dans les mémoires. Les interventions directes, inopportunes, dans les affaires sensibles, mais aussi dans les affaires qui ne devenaient sensibles que du fait de ces interventions, ont défrayé la chronique. Les nominations dérogatoires avaient ému le Conseil supérieur de la magistrature qui l'avait expressément signalé dans son rapport d'activité de 1996.
Je le dis et je le redis : pour lever définitivement le soupçon, pour redonner du crédit tant aux politiques qu'à la Justice, il est urgent d'apporter des réponses et des réponses profondes. Les aménagements ponctuels ne peuvent servir à rien.
Plutôt que de reprendre en détail le dispositif de la réforme que je propose j'examinerai quatre questions :
Premièrement : transforme-t-on l'autorité judiciaire en pouvoir ?
Reprenons la situation actuelle.
Selon le titre 7 de la Constitution, qui comprend les articles 64 à 66, la Justice est une autorité. Les magistrats ne constituent pas un pouvoir. Ils ont des pouvoirs. Car à quelle personne mise en prison, saisie, expulsée, divorcée, privée de son enfant fera-t-on croire qu'ils n'ont pas de pouvoirs !
Les juges, les magistrats du siège, sont indépendants. Ils ne peuvent recevoir d'instruction de quiconque pour juger une affaire dans un sens ou dans un autre. Ils ne peuvent se saisir d'une affaire : en matière pénale, ils sont saisis par le procureur ou dans certains cas par la partie civile, en matière civile ils sont saisis par les parties.
Les magistrats du parquet sont hiérarchisés. Ils peuvent recevoir des instructions du garde des Sceauxdans les dossiers individuels auxquelles ils sont tenus, sous peine de poursuites disciplinaires, de déférer. Ils développent librement à l'audience les observations qu'ils croient convenables au bien de la Justice. Ils disposent de l'opportunité des poursuites c'est à dire qu'ils peuvent ou non décider de poursuivre quelqu'un devant le tribunal ; cette décision n'est soumise à aucun recours.
Les magistrats du siège et du parquet sont passibles de poursuites disciplinaires devant le CSM lorsqu'ils commettent des manquements " aux devoirs de leur état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité." Les magistrats du parquet qui refusent d'exécuter des instructions du garde des Sceaux engagent leur responsabilité disciplinaire. La saisine du CSM comme organe disciplinaire est de la compétence exclusive du garde des sceaux.
Qu'en sera-t-il demain?
La Justice demeure une autorité. Dans notre pays, le pouvoir ne procède en effet que du suffrage. Pas de modification en ce qui concerne le statut des magistrats du siège : ils demeurent indépendants.
Les magistrats du parquet demeurent hiérarchisés et sous l'autorité du garde des sceaux. Ils restent placés sous la direction et le contrôle des procureurs généraux dont le rôle est renforcé. Ils ne peuvent plus recevoir d'instructions particulières dans les dossiers individuels. Ils reçoivent des directives de politique générale du garde des Sceaux qu'ils sont tenus d'appliquer. Ils doivent faire connaître et rendre compte annuellement de la façon dont ils ont mis en oeuvre la politique judiciaire dans leur ressort. Ils doivent informer le garde des sceaux, soit d'initiative soit sur demande, de la conduite de dossiers individuels. Ils doivent motiver et notifier les décisions de classement des affaires pénales qu'ils prennent ; ces décisions peuvent faire l'objet de recours des citoyens.
Quant à la responsabilité de l'ensemble des magistrats.
Les chefs de cours, premiers présidents et procureurs généraux, peuvent saisir le Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire et non plus seulement le garde des sceaux. Les citoyens peuvent saisir des commissions situées auprès des cours d'appel, constituées non majoritairement de magistrats, lorsqu'ils estiment devoir formuler des réclamations contre le comportement d'un magistrat. Après examen, ces commissions peuvent transmettre cette réclamation au CSM. Les audiences disciplinaires du CSM sont publiques ; une information est donnée sur son activité en ce domaine (comportements poursuivis; sanctions prononcées). La composition du Conseil est profondément modifiée pour promouvoir l'ouverture à des personnalités extérieures, qui seront majoritaires, personnalités reconnues pour leur autorité morale et leur compétence dans les questions juridiques et pour favoriser le pluralisme des représentants des magistrats.
Tenir la balance égale : c'est l'essence même de la Justice. C'est le socle de la réforme que je vous propose, pour le bien des citoyens. Elle allie garantie institutionnelle renforcée pour les magistrats, maintien de la hiérarchie des parquets qui s'expriment au nom de la société et responsabilité disciplinaire plus simple à mettre en oeuvre pour les magistrats qui manquent à leurs devoirs.
Deuxièmement : Désarme-t-on l'Etat ?
La réforme maintient un équilibre entre une indépendance renforcée dans le traitement des affaires individuelles et la définition des instruments pour permettre au gouvernement de mettre en oeuvre la politique pénale qu'il détermine.
1-Le garde des Sceaux adresse des directives de politique pénale à caractère général aux procureurs généraux et aux procureurs de la République qui devront les appliquer. Ce droit d'adresser des directives est expressément reconnu au garde des Sceaux par les textes du code de procédure pénale ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, seule la dénonciation d'infraction à la loi pénale étant mentionnée dans l'article 36 du code de procédure pénale. Ces directives permettent d'assurer la cohérence de l'application des politiques pénales sur l'ensemble du territoire national et l'égalité des citoyens devant la loi. Elles seront plus précises et plus détaillées et, surtout utilisées différemment. Imaginons un conflit social. Qu'est-ce qui empêche le garde des Sceaux d'adresser, par fax, aux 35 procureurs généraux une directive générale en une demi page, en indiquant l'état des négociations menées par le gouvernement et ses recommandations pour le traitement des conflits en rapport avec la crise en cours? Qu'est ce qui empêche le ministre d'adapter, dès le lendemain et selon les mêmes modalités, ses directives à l'évolution du dispositif arrêté par le gouvernement ? Certes ce n'est pas la tradition dans ce ministère où les circulaires s'apparentent à des ouvrages d'art, souvent remis sur le métier avant d'être diffusées. Mais cela est possible : je l'ai fait.
2-Les procureurs généraux continuent de disposer du pouvoir de donner des instructions individuelles de poursuites aux procureurs de la République.
3-Les procureurs généraux et procureurs de la République établissent un rapport chaque année pour rendre compte de l'application de la politique pénale conduite dans leur ressorts et permettre au garde des Sceaux de présenter lui-même un rapport au Parlement.
4-Le garde des Sceaux dispose d'un droit d'action lui permettant d'agir directement devant les juridictions pénales quand le parquet n'a pas engagé de poursuites ou quand l'intérêt général le requiert. Ce droit d'action propre du ministre de la Justice consiste en deux pouvoirs nouveaux qui lui sont reconnus par la loi :
1°) le droit d'engager des poursuites en saisissant directement une juridiction pénale (juge d'instruction, tribunal correctionnel par exemple) soit d'initiative soit après un classement d'une affaire par le procureur, ou en exerçant des voies de recours contre les décisions des juridictions (appel, pourvoi en cassation) ;
2°) le droit de demander, dans une procédure en cours, des actes de procédure comme l'extension de la saisine d'un juge ou le regroupement de procédures, après avis d'une commission siégeant près la Cour de Cassation.
Ce droit d'action est un instrument tout à fait novateur de politique pénale et confère au garde des Sceaux des prérogatives qu'il est loin de posséder actuellement. Le code de procédure pénale actuel ne donne au ministre de la Justice aucun pouvoir procédural à l'encontre d'un procureur qui refuserait de mettre en mouvement l'action publique à la suite d'instructions qui lui seraient adressées. Seules des poursuites disciplinaires sont envisageables. Ce ne sera plus ainsi : la garde disposera d'un pouvoir propre qu'il exercera sous sa seule responsabilité et non en dissimulant son action derrière une prétendue initiative d'un procureur.
Troisièmement : qu'en est-il de l'orientation à des fins politiques des dossiers pénaux ?
Les dispositions que je propose ne permettront plus au pouvoir politique d'intervenir dans les affaires individuelles. Le ministre de la Justice ne pourra plus donner d'instruction particulière dans un dossier.
S'il intervient en vertu du droit d'action propre qui lui sera octroyé par la loi, le Garde des Sceaux agira en pleine lumière. Cette action du ministre sera donc nécessairement transparente.
En tout état de cause, le pouvoir propre du ministre de la Justice ne lui permettra pas d'ordonner un classement sans suite et donc de faire bénéficier un ami politique d'une mesure injustifiée alors que l'infraction est établie.
Je me suis fait une règle depuis mon accession à la direction de ce ministère et conformément à la déclaration de politique générale du Premier Ministre de ne donner aucune instruction de nature à dévier le cours de la Justice. L'application de cette règle n'a souffert en 7 mois d'exercice aucune exception. Lorsque la réforme sera votée cette pratique sera inscrite dans la loi.
Quatrièmement : Est-ce la fin des nominations politiques ?
Actuellement,
Les procureurs généraux sont nommés en conseil des ministres. Les autres magistrats du parquet sont nommés sur proposition du garde des sceaux, après avis simple du Conseil supérieur de la magistrature qui n'ont pas toujours été suivis ces dernières années : chacun s'en souvient.
Qu'en sera-t-il demain ?
Tous les magistrats du parquet, y compris les procureurs généraux seront nommés avec l'avis conforme du CSM pour leur nomination. Aucun parquetier ne pourra être nommé contre la volonté du CSM qui dispose ainsi d'un droit de veto. La composition élargie du CSM, où les magistrats ne seront plus majoritaires, empêchera tant les nominations purement corporatistes que les nominations fondées uniquement sur des critères partisans.
Depuis juin je me suis appliquée cette règle par anticipation. J'exerce pleinement mes responsabilités. Je propose. Je ne passe jamais outre à un avis négatif. Chacun peut remarquer que le climat a changé. La qualité des nominations ne s'en est pas ressentie.
LA MISE EN OEUVRE DE LA REFORME
La formation des magistrats
Pour être aux termes même de leur serment " de bons et loyaux magistrats " les juges et les parquetiers ne doivent pas uniquement avoir des connaissances juridiques étendues et une technique professionnelle de haut niveau, ils doivent aussi avoir une haute conscience de leur mission et des dispositions d'écoute pour porter attention aux justiciables ;
Et c'est pour cela que l'Ecole de la magistrature doit développer la formation non seulement sur l'acquisition de méthodologies mais aussi sur la connaissance de l'environnement humain, économique et social de la Justice. Cette connaissance ne doit pas rester théorique, rien ne vaut les stages sur le terrain pour découvrir la réalité des choses.
Il faut également développer, dès l'origine, une réflexion sur les fonctions judiciaires, sur les principes fondamentaux de l'action du magistrat, sur sa déontologie ainsi que sur les relations de l'autorité judiciaire avec les autres institutions.
En outre, comme la société évolue, que le droit change, il est indispensable que les magistrats remettent à jour périodiquement leur connaissance. Ces périodes de formation continues doivent être prises en compte dans l'évolution de carrière des magistrats, plus qu'elles ne le sont actuellement.
Enfin, aucune institution ne peut prospérer seule. C'est pourquoi il est indispensables de favoriser les échanges, soit de formateurs soit de formations, avec d'autres écoles comme l'ENA, les écoles de police et de gendarmerie et les centres de formation du barreau. D'autre part, les échanges avec l'université favorisent la recherche juridique et le sens des évolutions du droit.
Les moyens
Pour mettre en oeuvre les réformes annoncées, un effort budgétaire significatif sera consenti en faveur de la Justice au cours des prochaines années. Le gouvernement s'y est engagé. Cet engagement ne prendra pas la voie d'une loi de programmation dont nous savons tous qu'elle est loin d'être l'assurance des promesses qui peuvent avoir été faites. Le budget de la Justice en 1997 en est la démonstration éclatante. Et même celui de 1996, initialement bon, s'est vu considérablement amputé en cours d'année. En revanche, les mesures déjà prises en faveur de la Justice depuis sept mois sont le gage de la volonté du gouvernement en cette matière : dégel de la totalité des crédits et des emplois et absence de régulation budgétaire en 1997, meilleur budget pour 1998, plan d'urgence pour le recrutement de fonctionnaires et de magistrats dès le début de cette année.
Les moyens budgétaires seront donc au rendez-vous :
- les effectifs de magistrats augmenteront pour faire face aux missions nouvelles,
-les effectifs de fonctionnaires permettront d'accompagner la hausse des effectifs de magistrats,
- les moyens de fonctionnement des juridictions et les réformes statutaires des magistrats et des fonctionnaires accompagneront la réforme,
- un effort d'équipement particulier sera consacré aux tribunaux pour permettre l'accueil des nouveaux personnels et la réforme de la carte judiciaire.
Le calendrier
Quant à la mise en oeuvre effective, je souhaite que les trois parties de la réforme progressent concomitamment. Tout ne relève pas de dispositions législatives. Certaines mesures sont réglementaires, d'autres reposent sur un changement de pratiques, j'irai même jusqu'à dire sur un changement culturel.
Je souhaite soumettre au parlement au début du second trimestre tout ce qui concerne la réforme constitutionnelle sur la réforme du CSM, les textes de loi organique et de procédure pénale relatifs aux liens entre les parquets et la Chancellerie, ainsi que les réformes de procédures pénales sur la présomption d'innocence. Un texte sur l'accès au droit devrait être déposé dans la même période. En même temps seront étudiées et mises en oeuvre les dispositions réglementaires concernant la simplification des procédures civiles. La mission sur la carte judiciaire, dont je vous ai parlé, devrait remettre ses premières constatations et préconisations à la fin de l'année 1998, sa priorité devrait être la situation des tribunaux de commerce. Enfin, un groupe de réflexion sur la famille est en cours de constitution et devrait permettre de vous soumettre une réforme cohérente en ce domaine en 1999.
Les changements qu'implique la réforme de la Justice ne pourront être mis en oeuvre qu'avec le concours de tous les personnels de Justice. Tous les métiers de Justice sont concernés. La place du juge dans la société, mais aussi sa façon de travailler sont en profonde évolution. Les personnels des greffes, de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse préparent quotidiennement les décisions des juges et assurent leur effectivité. Avec tous ceux qui concourent à l'oeuvre de Justice, et notamment les avocats, seront développés la réflexion et le travail en commun sur les métiers de la Justice, la finalité de l'intervention de l'institution judiciaire et l'amélioration du fonctionnement du service public de la Justice.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 17 septembre 2001)