Le droit d’ingérence désigne la possibilité pour les acteurs de la scène internationale d’intervenir dans un État, même sans son consentement, en cas de violation massive des droits de l’Homme. Il crée ainsi un lien entre assistance humanitaire et usage de la force, au nom d’une obligation morale.
L’idée de protéger des populations civiles hors du territoire national est ancienne. Elle remonte notamment, pour les Européens, à des interventions menées en 1860 dans l’Empire ottoman, lors des massacres de chrétiens dans la montagne libanaise, puis à Damas, quand Napoléon III envoie une expédition armée à but humanitaire, préfiguration du droit d’ingérence contemporain.
Dans son sens actuel, la notion naît quand la communauté internationale fait le bilan de son impuissance lors de la guerre du Biafra au Nigeria (1967-1970) et de la famine dans le pays. Le concept est forgé en 1979 par le philosophe Jean-François Revel qui associe la non-ingérence à de la "non-assistance à personne en danger". La notion de "devoir d’ingérence" est popularisée dans les années 1980 par le fondateur de Médecins sans frontières, Bernard Kouchner, et le juriste Mario Bettati. Il s’agit de défendre un devoir d’intervention et de protection des populations victimes ou menacées de crimes, qui permettrait :
- un libre accès aux victimes de catastrophes naturelles et politiques ;
- un usage possible de la force pour protéger les convois humanitaires et les victimes.
Le principe de l’assistance humanitaire a ensuite été consacré par la résolution 43/131 (1988) de l’Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU) pour les victimes de catastrophes naturelles ou autres situations d’urgence. L'idée est de permettre la fourniture d'une aide médicale et alimentaire d'urgence. L'Assemblée générale y invite les États ayant besoin de cette assistance et ceux situés à proximité à faciliter la mise en œuvre de cette assistance par les organisations internationales (OI) et les organisations non gouvernementales (ONG). Dans le cadre de conflits armés, l'assistance humanitaire était déjà réglementée par les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels.
Le qualificatif de "droit" d'ingérence prête à confusion, car cette notion n’est pas adossée à des textes juridiques contraignants. Conformément au droit international, l'ingérence humanitaire ne constitue pas une exception au principe d'interdiction du recours à la force.
L’article 2§7 de la Charte des Nations unies précise : "Aucune disposition de la présente charte n’autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État", afin de protéger la souveraineté des États. Plusieurs pays en développement rejettent ainsi le "soi-disant droit d’intervention humanitaire, qui n’a aucun fondement juridique dans la Charte des Nations unies et dans les principes généraux du droit international" (déclaration du "Groupe des 77" de 2000).
La notion de droit d'ingérence est dès lors controversée. Les pays en développement, en particulier, soupçonnent, derrière un prétexte humanitaire, que son usage réponde à des motivations politiques et craignent des dérives impérialistes. Certains dénoncent également la pratique du "deux poids, deux mesures", mettant en lumière les différences de positionnement selon que l’État sur le territoire duquel les violations de droits de l'Homme sont constatées est un allié ou non des puissances décisionnaires.
Tout en s’en distanciant, l’établissement d’une responsabilité de protéger s’inspire de ces débats. Si elle repose sur l’idée que la situation humanitaire peut entrer dans la catégorie des menaces à la paix et à la sécurité internationales, elle requiert l’exploration de moyens pacifiques et une autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies. La notion controversée d'ingérence est ainsi évitée.